La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2022 | FRANCE | N°20BX02084

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 09 juin 2022, 20BX02084


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'université de Poitiers à lui verser la somme de 45 948,34 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison des retards et négligences commises par l'université dans la gestion de son dossier de mobilité étudiante à l'University of Technology de Sydney.

Par un jugement n° 1801095 du 19 décembre 2019, le tribunal admini

stratif de Poitiers a condamné l'université de Poitiers à verser à Mme C... une somme ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'université de Poitiers à lui verser la somme de 45 948,34 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison des retards et négligences commises par l'université dans la gestion de son dossier de mobilité étudiante à l'University of Technology de Sydney.

Par un jugement n° 1801095 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'université de Poitiers à verser à Mme C... une somme de 500 euros, tous intérêts échus.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 3 juillet 2020 et le 1er avril 2022, Mme C..., représentée par la SCP KPL Avocats, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 19 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a limité à 500 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'université de Poitiers en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

2°) de porter à la somme de 45 948,34 euros le montant de l'indemnité due au titre des fautes commises par l'université de Poitiers, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'université de Poitiers le versement à son conseil de la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le service des relations internationales de l'unité de formation et de recherche " Lettres et Langues " de l'université de Poitiers l'a incitée à partir dans le cadre de l'échange " Study Abroad - Mobility Grant " lorsque sa candidature au programme d'échange avec l'université de Sydney n'a pas été retenue, alors qu'il connaissait sa situation de boursière sur critères sociaux ; ce service lui a délivré des informations contradictoires quant à ce programme ;

- le service des relations internationales ne lui a jamais indiqué que le droit au tarif préférentiel du programme de mobilité étudiante " Study Abroad " était soumis à certaines conditions, et ne l'a pas informée de ce que l'intervention d'un agent extérieur à l'université lui ferait perdre ce droit ; le versement d'une bourse de mobilité internationale révèle d'ailleurs l'existence d'une faute ;

- l'université a commis une faute en tardant à constituer son dossier d'inscription auprès de l'University of Technology de Sydney ;

- l'université de Poitiers a commis une faute en conditionnant la conversion de ses notes de l'University of Technology de Sydney à la remise d'un rapport de fin de séjour et en ne procédant à cette conversion que le 10 février 2017 ; par ailleurs, ses notes ont été sous-évaluées lors de cette conversion ;

- elle a subi une perte de chance sérieuse de partir dans de meilleures conditions, ou, à tout le moins, de ne pas subir une aggravation de ses charges financières ;

- elle a subi un préjudice financier correspondant aux trois prêts bancaires qu'elle a dû contracter, soit 40 919,34 euros ;

- elle a subi un préjudice moral, qui doit être évalué à 5 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 février 2022, l'université de Poitiers, représentée par Me Gand, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 19 décembre 2019 en tant qu'il la condamne à verser une indemnité de 500 euros à Mme C... ;

2°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle n'a commis aucune faute ;

- Mme C... ne justifie pas des préjudices qu'elle aurait subis.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 29 avril 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... B...,

- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., inscrite en licence " Arts du spectacle - Cinéma " à l'université de Poitiers, a souhaité bénéficier du programme d'échange conclu entre cette université et l'University of Technology de Sydney en Australie pour l'année scolaire 2014-2015. Sa candidature n'ayant pas été retenue, Mme C... s'est orientée vers le programme " Study Abroad - Mobility Grant ", par lequel l'université de Poitiers réserve des places au sein de l'University of Technology de Sydney avec des tarifs d'inscription préférentiels, et a suivi deux semestres d'enseignement en 2015 au sein de cette université. Mme C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'université de Poitiers à lui verser la somme de 45 919,34 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de fautes qui auraient été commises dans la gestion administrative de son dossier de mobilité étudiante. Elle relève appel du jugement du 19 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a limité la condamnation de l'université de Poitiers à la somme de 500 euros. Par la voie de l'appel incident, l'université de Poitiers demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il la condamne à verser à Mme C... une somme de 500 euros.

Sur l'indemnisation :

En ce qui concerne la responsabilité de l'université de Poitiers :

2. En premier lieu, il résulte de l'instruction que si le service de mobilité internationale de l'université de Poitiers a informé Mme C... de l'existence du programme " Study Abroad - Mobility Grant ", par lequel les frais d'inscription au sein de l'University of Technology de Sydney doivent être acquittés par l'étudiant lui-même, elle ne peut être regardée comme ayant incité la requérante à s'orienter vers ce programme. En particulier, il résulte du courriel du 20 mai 2014 de la responsable de l'unité de formation et de recherche " Lettres et Langues " que cette dernière a fait part à Mme C... de ses réserves sur un projet qui la conduirait à s'endetter et l'invitait à considérer d'autres options pour une mobilité étudiante correspondant à son profil. Alors même que ce message est intervenu ultérieurement à la souscription d'un prêt étudiant par Mme C... le 17 mai 2014, il ne peut être regardé comme tardif dès lors que les démarches financières de l'intéressée étaient indépendantes de l'université, et qu'elle n'a d'ailleurs fait part à l'université de son intention de recourir à un tel prêt que le 15 mai 2014. Ce message n'est pas davantage contradictoire avec les informations qui lui auraient été délivrées antérieurement par l'université relatives à un accompagnement sur la constitution de son dossier si elle envisageait de s'inscrire au programme " Study Abroad - Mobility Grant ". Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que les conseils qui lui ont été donnés concernant le programme " Study Abroad " seraient fautifs.

3. En deuxième lieu, Mme C... a fait appel à un agent représentant l'University of Technology de Sydney, basé à Lyon, pour accélérer les démarches d'inscription au sein de cette université. Le recours à cet intermédiaire l'a privée du bénéfice des tarifs préférentiels d'inscription au sein de l'université australienne, seuls les étudiants ayant été inscrits par leur université de départ pouvant bénéficier cet avantage. Si l'université de Poitiers était informée des démarches effectuées par la requérante auprès de cet agent, il résulte de l'instruction, et notamment des courriels versés au dossier par l'intéressée, que c'est de sa propre initiative que Mme C... a décidé d'avoir recours à un tel intermédiaire, sans avoir demandé à ce dernier ou à l'université de Poitiers quelles pouvaient être les conséquences d'une inscription sans passer formellement par son université d'origine. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que l'université de Poitiers, en ne l'informant pas de ce que la " Mobility Grant ", dans le cadre du programme " Study Abroad ", était subordonnée à des conditions, aurait commis une faute

4. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que l'ensemble des documents nécessaires à l'inscription de Mme C... à l'University of Technology de Sydney a été transmis au mois de décembre 2014, pour une rentrée au mois de février 2015. Si la requérante soutient que les délais de constitution de son dossier sont fautifs, il ne résulte pas de l'échange de courriels produits au dossier que l'université ne lui aurait pas communiqué les documents demandés, contrairement à ce qu'elle soutient, alors qu'il résulte d'un message du 11 novembre 2014 que Mme C... rencontrait elle-même des difficultés de connexion l'empêchant de s'assurer de la bonne réception de ses messages, et qu'un seul document manquait à son dossier le 8 décembre 2014, qui a été transmis par l'université dès le 11 décembre suivant. Par ailleurs, si la requérante soutient que les délais de constitution de son dossier l'auraient empêchée de bénéficier d'une chambre sur le campus et de choisir les cours qui l'intéressaient, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait fait part à l'université de Poitiers de délais contraints pour ces choix. Par suite, les délais de constitution du dossier de mobilité internationale de Mme C... ne peuvent être regardés comme fautifs.

5. Enfin, il résulte de l'instruction que l'université de Poitiers a entendu subordonner la conversion des notes obtenues par Mme C... au cours des deux semestres passés à l'University of Technology de Sydney à la remise d'un rapport de fin de séjour. Toutefois, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, la remise d'un tel rapport ne pouvait être exigée dès lors que l'année d'études de Mme C... en Australie ne s'est pas déroulée dans le cadre d'un échange conclu avec cette université. Si l'université de Poitiers fait valoir que l'octroi d'une bourse d'aide à la mobilité internationale au cours de l'année 2015 justifiait qu'elle demande un compte-rendu de séjour à Mme C..., le versement de cette bourse n'est conditionné qu'à l'effectivité du séjour auprès de l'établissement d'accueil et l'assiduité aux cours de l'étudiant. Par suite, en conditionnant la conversion des notes de la requérante à la remise d'un rapport de fin de séjour, et en y procédant seulement le 10 février 2017, l'université de Poitiers a commis une faute.

6. Par ailleurs, il résulte de la transcription obtenue par Mme C... de ses résultats à l'University of Technology de Sydney par un traducteur assermenté que la mention " Crédit " correspond à des notes comprises entre 13/20 et 15,8/20, et que la mention " Admis " correspond quant à elle à des notes comprises entre 10/20 et 12,8/20. Dans ces conditions, la requérante, qui ne fournit aucun relevé détaillé des notes (" Marks ") obtenues dans l'université australienne, n'est pas fondée à soutenir que l'université de Poitiers, qui a converti deux " Credit " en 12,5/20, un " Admis " en 12,5/20 et trois " Admis " en 11/20, aurait commis une faute en sous-évaluant ses résultats.

En ce qui concerne les préjudices :

7. Il résulte de qui a été dit des points 2 à 6 que Mme C... peut seulement prétendre à l'indemnisation des préjudices directs et certains résultant de la faute commise par l'université de Poitiers en conditionnant la conversion de ses résultats à la remise d'un rapport de fin de séjour.

8. En premier lieu, Mme C... ne verse au dossier aucun élément qui permettrait de tenir pour établi que le retard de conversion de ses notes a fait obstacle à son inscription dans le cursus universitaire qu'elle souhaitait poursuivre. Ainsi, aucune indemnisation ne peut lui être accordée à ce titre.

9. En deuxième lieu, la faute commise par l'université de Poitiers ne peut être regardée comme ayant directement empêché Mme C... d'obtenir le diplôme qu'elle souhaitait et par conséquent d'obtenir un emploi pour rembourser le prêt étudiant qu'elle a contracté. Ce préjudice, qui ne revêt au demeurant aucun caractère certain, ne peut ouvrir droit à réparation.

10. En troisième lieu, le tribunal administratif de Poitiers a fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence subis par Mme C... à raison de la faute commise par l'université de Poitiers en condamnant cette université à lui verser une somme de 500 euros à ce titre.

11. Enfin, les autres préjudices dont se prévaut Mme C..., à savoir la perte de chance de partir étudier à l'University of Technology de Sydney dans de meilleures conditions, le préjudice financier lié à la souscription de prêts étudiants et les frais de transcription de ses notes par un traducteur assermenté, qu'elle justifie par la sous-évaluation que l'université aurait faite de ses résultats, sont sans lien direct et certain avec la faute décrite au point 5.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a limité la condamnation de l'université de Poitiers à 500 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis. L'appel incident de l'université de Poitiers doit également être rejeté.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'université de Poitiers, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme C... une somme à ce titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'université de Poitiers présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et à l'université de Poitiers.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juin 2022.

La rapporteure,

Charlotte B...La présidente,

Marianne Hardy

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX02084 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20BX02084
Date de la décision : 09/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-03 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SCP PIELBERG KOLENC

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-06-09;20bx02084 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award