La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2022 | FRANCE | N°20BX01964

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 09 juin 2022, 20BX01964


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 6 juin 2018 par lequel le maire de Lège-Cap-Ferret a retiré le permis de construire qui lui a été délivré tacitement le 15 mars 2018 pour la rénovation et l'extension d'une maison d'habitation située 12 rue des Joncs, et d'annuler l'arrêté du 15 juin 2018 de cette autorité refusant ce même permis.

Par un jugement n° 1803394 du 13 février 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
>Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 juin 2020 et l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 6 juin 2018 par lequel le maire de Lège-Cap-Ferret a retiré le permis de construire qui lui a été délivré tacitement le 15 mars 2018 pour la rénovation et l'extension d'une maison d'habitation située 12 rue des Joncs, et d'annuler l'arrêté du 15 juin 2018 de cette autorité refusant ce même permis.

Par un jugement n° 1803394 du 13 février 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 juin 2020 et le 3 janvier 2022, Mme A... D..., représentée par Me Cornille, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 février 2020 ;

2°) d'annuler les arrêtés des 6 et 15 juin 2018 du maire de Lège-Cap-Ferret ;

3°) d'enjoindre au maire de Lège-Cap-Ferret de lui délivrer, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, le certificat de permis de construire tacite prévu par l'article R. 424-13 du code de l'urbanisme ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Lège-Cap-Ferret une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier car il n'est pas signé conformément à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- la procédure contradictoire obligatoire préalable à l'arrêté de retrait n'a pas été respectée car l'étude Artelia et les courriers du préfet des 21 mars et 25 mai 2018 ne lui ont pas été communiqués ou l'ont été tardivement ;

- en se fondant sur les dispositions de l'article R 111-2 du code de l'urbanisme pour retirer l'autorisation tacitement accordée puis refuser le permis de construire sollicité, le maire de Lège-Cap-Ferret a commis une erreur manifeste d'appréciation, une erreur de fait et une erreur de droit ; en effet le terrain d'assiette est bordé par un " perré " de 60 m sur 3 m qui est autorisé par l'Etat, qui assure une protection suffisante contre le risque d'érosion, et qui n'est au demeurant pas soumis à un aléa fort dans le secteur concerné ; enfin, le pétitionnaire n'a pas à apporter de garantie quant à la pérennité de l'ouvrage public de protection dont l'entretien revient exclusivement à l'Etat ;

- la demande ne portait que sur une extension limitée et une rénovation autorisées en zone UDhal ;

- les deux arrêtés attaqués entraînent une rupture d'égalité entre les administrés dès lors que pour une situation identique, le maire avait délivré le permis de construire sollicité ;

- le maire et le préfet ont commis une erreur d'appréciation en opposant un refus à la demande de permis de construire en litige alors que l'autorisation aurait pu être délivrée sous réserve de prescriptions spéciales tenant d'une part à la remise en état du perré et d'autre part à la production d'un plan de gestion et d'entretien du " perré " validé par l'Etat.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2021, la commune de Lège-Cap-Ferret, représentée par la Scp Cazcarra-Jeanneau, conclut au rejet de la requête et à ce que Mme D... lui verse la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé dès lors que le maire était en situation de compétence liée eu égard à l'avis conforme négatif du préfet.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... C...,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me Fouchet, représentant Mme D..., et de Me Cordier Amour, représentant la commune de Lège-Cap-Ferret.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... est propriétaire d'une parcelle cadastrée section LN n°129 située 12 rue des Joncs à Lège-Cap-Ferret. Elle a déposé, le 15 janvier 2018, une demande de permis de construire pour la rénovation et l'extension d'une maison d'habitation sur cette parcelle. Un permis de construire tacite est né le 15 mars 2018 à défaut de réponse du maire de Lège-Cap-Ferret. Mais par un arrêté du 6 juin 2018 le maire a retiré ce permis de construire, puis a pris, le 15 juin 2018, un arrêté refusant le permis de construire sollicité au motif que le projet était de nature à porter atteinte à la salubrité et à la sécurité publique dès lors que sa situation, dans une bande de 50 mètres à partir du rivage, l'exposait à un aléa fort d'érosion. Mme D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler ces arrêtés des 6 juin 2018 et 15 juin 2018. Elle relève appel du jugement du 13 février 2020 rejetant sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs (...) la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort de l'examen de la minute du jugement attaqué que celle-ci comporte les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience, requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté et le jugement n'est pas entaché de l'irrégularité invoquée.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme : " Lorsque le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale est compétent, il recueille l'avis conforme du préfet si le projet est situé : a) Sur une partie du territoire communal non couverte par une carte communale, un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu (...) ". Selon l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme : " (...) le permis de construire ou d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s'ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions (...) ". L'article R. 111-2 du même code dispose que : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ". Enfin l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 (...) sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".

En ce qui concerne l'arrêté retirant le permis tacite :

4. Pour retirer, par sa décision du 6 juin 2018, le permis tacite dont Mme D... était devenue bénéficiaire, le maire de Lège-Cap-Ferret s'est fondé sur l'absence d'avis conforme du préfet en méconnaissance de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme.

5. En premier lieu, il est constant qu'à la date des décisions contestées, la commune de Lège-Cap-Ferret n'était pas couverte par une carte communale, un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu. Par suite, la demande de Mme D... devait être soumise à l'avis conforme du préfet.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que les avis défavorables du préfet de la Gironde des 21 mars et 25 mai 2018 sont fondés sur la circonstance que " le projet est situé dans une bande de 50 mètres à partir du rivage, considérée comme exposée à un risque d'aléa fort d'érosion dans laquelle aucune construction nouvelle ou extension ne doit être autorisée en application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ". L'avis ajoute que si la parcelle sur laquelle est édifiée la construction existante comporte un ouvrage de protection, " l'étude jointe à la demande pointe l'état moyen de cet ouvrage et l'absence de garantie sur sa pérennité ". Pour contester cet avis, la requérante fait valoir que l'aléa érosion n'est pas établi et que son perré est suffisant pour la protéger de cet éventuel aléa.

7. Il appartient à l'autorité d'urbanisme compétente et au juge de l'excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d'atteinte à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent. Pour l'application de ces dispositions et en ce qui concerne les risques d'érosion ou de submersion marine, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, en l'état des données scientifiques disponibles, ces risques en prenant en compte notamment la situation de la zone du projet au regard du niveau de la mer, sa situation à l'arrière d'un ouvrage de défense contre la mer, le cas échéant, le risque de rupture ou de submersion de cet ouvrage en tenant compte notamment de son état, de sa solidité et des précédents connus de rupture ou de submersion.

8. En l'espèce, d'une part, il ressort des pièces du dossier que le phénomène de l'érosion marine observé à Lège-Cap Ferret, y compris dans la zone du Mimbeau, a fait l'objet d'une étude réalisée en novembre 2015 par le cabinet Artelia. Elle porte sur le recul du trait de côte, lequel est défini comme la ligne d'intersection de la surface topographique avec le niveau des plus hautes mers et, par extension, la limite entre la mer et la terre. Les indicateurs de référence sont le pied de dune, qui peut être marqué par une rupture morphologique franche dans les zones en érosion, ou, le cas échéant, le pied d'ouvrage. Les auteurs de l'étude ont alors élaboré plusieurs scenarios prospectifs d'évolution du trait de côte aux horizons 2020, 2025 et 2045 en fonction de deux hypothèses, la première correspondant à l'absence d'ouvrages de protection et la seconde à la présence de ces ouvrages. L'étude conclut à un recul du trait de côte de 2 mètres par an dans le premier cas de figure et à un recul de 0,5 mètre par an dans le second. Aussi, pour apprécier le risque que le recul du trait de côte fait peser sur la sécurité publique au regard de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, le préfet a retenu l'hypothèse minimale d'une érosion marine de 0,5 mètre par an, ce qui l'a conduit à identifier une bande de 50 mètres à partir du trait de côte comme étant soumise à un aléa fort d'érosion. Or le terrain d'assiette du projet de Mme D... se situe dans la bande de 50 mètres et doit être regardé comme soumis à un phénomène d'érosion marine avéré.

9. D'autre part, pour contredire l'avis du préfet, Mme D... se prévaut de l'existence d'un perré et d'une étude réalisée à sa demande par la société Casalec, laquelle a réalisé un diagnostic du perré et des murs maçonnés qui entourent sa propriété. Cependant, il ressort de cette étude que le perré au droit de la propriété de la requérante n'est pas entretenu et nécessite à court terme une reprise globale des nombreux désordres de l'ouvrage qui n'est pas étanche, qui présente des dégradations et fissures importantes y compris dans ses fondations alors que le reste de l'ouvrage est en état moyen avec des signes d'altération dus au vieillissement et au manque d'entretien. Par suite, l'efficacité de la protection contre l'érosion censée être assurée par l'ouvrage n'est pas certaine en raison notamment de son état d'entretien, de sorte que l'hypothèse d'un recul plus rapide du trait de côte demeure envisageable. La circonstance que l'Etat ait autorisé la requérante à occuper privativement une dépendance du domaine public maritime pour édifier un perré de défense contre la mer est, par ailleurs, sans incidence sur l'appréciation de l'efficacité de ce dispositif pour lutter contre l'érosion maritime.

10. Enfin, si la requérante se prévaut des dispositions du plan local d'urbanisme qui autoriserait dans la zone UDhal les travaux de construction et de rénovation, ce plan local d'urbanisme n'avait pas été approuvé à la date des décisions attaquées et ne trouvait donc pas à s'appliquer.

11. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que l'avis défavorable du préfet de la Gironde ne méconnaissait pas les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et n'était pas entaché d'erreur dans l'appréciation du risque lié au recul du trait de côte. Par ailleurs, le préfet n'a pas entaché sa décision d'illégalité en n'émettant pas un avis favorable sous réserve de prescriptions spéciales relatives aux travaux de consolidation du " perré ", dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que des travaux seraient de nature à prévenir les risques de submersions marines sur le secteur, lequel en outre connait un affaiblissement de la flèche de Mimbeau, rempart naturel qui tend à se fissurer.

12. Il résulte des points 5 à 11 que, à défaut d'avoir recueilli l'avis conforme du préfet en application des dispositions citées au point 3, le permis de construire tacite dont était bénéficiaire Mme D... était illégal. Par suite, le maire a pu légalement, par sa décision du 6 juin 2018, intervenue dans le délai de 3 mois prévu par l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, retirer ce permis tacite.

13. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que par son avis défavorable du 25 mai 2018 le préfet de la Gironde doit être regardé comme ayant demandé au maire de Lège-Cap-Ferret de retirer le permis de construire tacite du 15 mars 2018. Dans ces conditions, dès lors que le maire se trouvait en situation de compétence liée, l'article L.122-1 du code des relations entre le public et l'administration ne trouvait pas à s'appliquer. Par suite, le moyen tiré du non-respect de la procédure contradictoire préalable au retrait ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la décision de refus de permis de construire :

14. En application des dispositions de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme citées au point 3, le préfet de la Gironde a émis, le 21 mars 2018, un avis défavorable sur la demande de permis de construire présentée par Mme D.... Le maire de Lège-Cap-Ferret était dès lors tenu, sans avoir à porter une appréciation sur les faits de l'espèce, de se conformer à cet avis et de refuser de délivrer le permis sollicité. Par suite, les moyens dirigés contre cette décision sont inopérants.

15. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Lège-Cap-Ferret, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la requérante au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Mme D... la somme de 1 500 euros qu'elle versera à la commune de Lège-Cap-Ferret sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Mme D... versera la somme de 1 500 euros à la commune de Lège-Cap-Ferret au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et à la commune de Lège-Cap-Ferret.

Copie en sera délivrée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juin 2022.

La rapporteure,

Fabienne C... La présidente,

Marianne HardyLa greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne à la préfète de la Gironde en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX01964


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01964
Date de la décision : 09/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Fabienne ZUCCARELLO
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SCP CORNILLE - POUYANNE-FOUCHET

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-06-09;20bx01964 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award