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24/05/2022 | FRANCE | N°21BX03548

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 24 mai 2022, 21BX03548


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 4 juin 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligée à quitter sans délai le territoire français en fixant le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2103377 du 8 juin 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :
>Par une requête enregistrée le 27 août 2021, Mme C..., représentée par Me Cohen, demande à la co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 4 juin 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligée à quitter sans délai le territoire français en fixant le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2103377 du 8 juin 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 août 2021, Mme C..., représentée par Me Cohen, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse du 8 juin 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 4 juin 2021du préfet de la Haute-Garonne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français contestée est entachée d'un défaut de motivation au regard des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors que l'abus de droit n'est pas caractérisé en l'espèce ; elle ne précise pas en quoi son comportement est constitutif d'une menace à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; cette motivation ne permet pas de démontrer que le préfet s'est livré à un examen réel et sérieux de sa situation personnelle ;

- la mesure d'éloignement est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation liées à la méconnaissance des dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est fondée à tort sur l'abus de droit, alors qu'elle a réalisé des allers-retours entre la France et la Bulgarie pour rendre visite à ses enfants, ce que le préfet ne conteste pas ; le préfet n'établit pas qu'elle a eu effectivement recours au système d'assurance sociale français ; la substitution de motifs demandée en première instance n'est pas fondée dès lors que son comportement ne constitue pas une menace à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; le racolage passif ne constitue plus une infraction ; l'arrêté municipal interdisant la prostitution dans différents quartiers de Toulouse n'est pas fondé sur une menace réelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société du point de vue de l'ordre public ; l'occupation illégale d'un terrain ne constitue pas non plus une menace à l'ordre public ;

- la décision contestée refusant de lui accorder un délai de départ volontaire est entachée d'un défaut de motivation en fait, notamment quant à la condition liée à l'urgence ; ni le fait de se livrer à la prostitution ni le fait de résider dans un campement illicite ne peut caractériser l'urgence requise par l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; cette motivation révèle un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ;

- la décision contestée refusant de lui accorder un délai de départ volontaire est dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ; le préfet a recouru de façon automatique à la privation du délai de départ volontaire sans rechercher si la condition liée à l'urgence pouvait la justifier ; pour ce motif, elle méconnaît l'impératif de proportionnalité ;

- la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an est entachée d'une motivation insuffisante en fait au regard de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an est illégale pour voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette mesure est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de renvoi contestée est illégale pour voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 février 2022, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête de Mme C... en s'en remettant à ses écritures de premières instances. Il fait valoir que les moyens invoqués par Mme C... ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juillet 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre l'administration et le public ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 pris pour son application ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... B... a été entendu au cours de l'audience publique :

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... C..., née le 25 mai 1979 à Teteven (Bulgarie), a déclaré être entrée en France au cours de l'année 2016. Interpellée le 3 juin 2021 par les services de police, Mme C... a été placée en rétention administrative aux fins de vérification du droit de circulation et de séjour en France. Par un arrêté du 4 juin 2021, le préfet de la Haute-Garonne l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme C... relève appel du jugement du 8 juin 2021 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile inséré au titre V " Décision d'éloignement " du livre II " Dispositions applicables aux citoyens de l'Union européenne et aux membres de leur famille " : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ; 3° Leur séjour est constitutif d'un abus de droit. Constitue un abus de droit le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois dans le but de se maintenir sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne sont pas remplies, ainsi que le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d'assistance sociale. L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ".

3. Il appartient à l'autorité administrative d'un État membre qui envisage de prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un ressortissant d'un autre État membre de ne pas se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, mais d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. L'ensemble de ces conditions doivent être appréciées en fonction de la situation individuelle de la personne, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

4. Si l'exercice de la prostitution est parfois lié à d'autres activités qui constituent une menace pour l'ordre public, cette pratique ne suffit pas à elle seule à caractériser une menace pour l'ordre public. Toutefois, l'autorité administrative peut valablement caractériser l'existence d'un tel trouble en faisant état des conditions dans lesquelles la personne concernée se livre à cette activité ou des circonstances exceptionnelles qui entourent l'exercice de cette pratique. Il incombe au préfet, qui fonde sa décision d'éloignement sur les dispositions de l'article L. 251-1 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'établir les conditions dans lesquelles l'exercice de la prostitution est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française.

5. Si l'arrêté contesté portant obligation de quitter sans délai le territoire français est fondé sur la circonstance que le séjour en France de la requérante est constitutif d'un abus de droit au sens du 3° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Haute-Garonne a reconnu à l'audience devant le premier juge que sa décision était entachée d'erreur de fait sur ce point et s'est prévalu d'un nouveau motif, tiré de ce que le comportement de l'intéressée constituait une menace à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société au sens des dispositions précitées du 2° du même article.

6. Toutefois, le préfet se borne à indiquer dans ses écritures que la requérante se livrait à une activité de prostitution. Bien que celle-ci a reconnu lors de son audition par les services de police se livrer effectivement à la prostitution de manière habituelle depuis quatre mois environ à la date de la décision contestée, et résider dans un terrain vague occupé illégalement situé chemin de Gabardie à Toulouse, ces seuls faits ne suffisent pas, en l'absence d'autres circonstances particulières, à établir que sa présence en France est constitutive d'une menace réelle et actuelle suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. De même, la circonstance que le maire de Toulouse avait pris, antérieurement à l'interpellation de Mme C..., un arrêté de police, en date du 22 octobre 2019, interdisant la prostitution dans certains quartiers de la ville, ne suffit pas à faire regarder la présence de l'intéressée en France comme constitutive d'une telle menace alors qu'au demeurant l'interdiction municipale édictée pour une durée de six mois, à compter du 23 octobre 2019, n'était alors plus en vigueur lors de l'interpellation de l'intéressée. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ait fait l'objet de verbalisations au regard de cet arrêté et il n'est pas établi ni même soutenu en défense que Mme C... soit défavorablement connue des services de police. Par ailleurs, la circonstance que l'intéressée ait résidé dans un terrain vague occupé illégalement ne suffit pas en tant que telle à caractériser une menace pour l'ordre public. Dès lors, en considérant que le comportement de la requérante constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave portée à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société en raison du fait qu'elle se livrerait à la prostitution, le préfet de la Haute-Garonne a entaché la mesure d'éloignement prise à l'encontre de Mme C... d'une erreur d'appréciation.

7. Le préfet de la Haute-Garonne, dans ses écritures, ne se fonde plus sur le 3° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais se place exclusivement sur le 2° de cet article. Dès lors, la décision portant obligation de quitter sans délai le territoire français doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, celle portant fixation du pays de renvoi et la décision d'interdiction de circulation pour une durée d'une année qui en procèdent.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 juin 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligée à quitter sans délai le territoire français en fixant le pays de renvoi a prononcé une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an.

Sur les frais d'instance :

9. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État, partie perdante, une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que le conseil de Mme C... renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2103377 du 8 juin 2021 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse, ainsi que l'arrêté du 4 juin 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a obligé Mme C... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an, sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera au conseil de Mme C... la somme de 1 500 euros sous réserve que Me Cohen renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 2 mai 2022, à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mai 2022.

La rapporteure,

Agnès B...Le président,

Didier ARTUSLa greffière,

Sylvie HAYET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX003548


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03548
Date de la décision : 24/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Agnès BOURJOL
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : COHEN

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-05-24;21bx03548 ?
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