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05/05/2022 | FRANCE | N°20BX00538

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 05 mai 2022, 20BX00538


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Pau

de condamner la commune d'Auch, sous le n° 1701821, à lui verser une indemnité

de 496 066,25 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'accident de la circulation dont elle a été victime le 19 août 2011, et sous le n° 1801904, à lui verser la même indemnité sous déduction de la somme de 230 000 euros réglée par son assureur.

Dans les mêmes instances, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM)

du Gers a demandé au tribunal de condamner la commune à lui rembourser la somme de 179 889,15 euro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Pau

de condamner la commune d'Auch, sous le n° 1701821, à lui verser une indemnité

de 496 066,25 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'accident de la circulation dont elle a été victime le 19 août 2011, et sous le n° 1801904, à lui verser la même indemnité sous déduction de la somme de 230 000 euros réglée par son assureur.

Dans les mêmes instances, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Gers a demandé au tribunal de condamner la commune à lui rembourser la somme de 179 889,15 euros.

Par un jugement nos 1701821, 1801904 du 17 décembre 2019, le tribunal a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 février 2020 et un mémoire enregistré

le 3 septembre 2020, Mme A..., représenté par Me Faugère, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la commune d'Auch à lui verser une indemnité de 496 066,25 euros sous déduction de la somme de 230 000 euros réglée par son assureur ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Auch les entiers dépens ainsi qu'une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'a pas répondu au moyen tiré de ce que la présence en grande quantité de gravillons excédait les risques auxquels un usager même averti peut normalement s'attendre ;

- il résulte de son audition et de celle de deux témoins qu'elle a glissé sur les gravillons qui se trouvaient sur le bas-côté de la route en se déportant sur la droite pour éviter un véhicule venant en sens inverse qui roulait au milieu de la chaussée ;

- elle n'a pas été indemnisée de son entier préjudice fixé à 300 353,25 euros par un jugement du tribunal de grande instance d'Auch du 8 juin 2016 car son assureur lui a seulement versé 230 000 euros correspondant au montant plafonné de la garantie prévue par le contrat souscrit ;

- des gravillons s'étaient à nouveau amoncelés sur la route après l'aspiration réalisée fin juin 2011, aucune autre intervention n'avait eu lieu avant l'accident, et aucun panneau de limitation de vitesse n'était présent sur la chaussée, ce qui caractérise un défaut d'entretien normal ; les gravillons se trouvaient sur la route et non sur les bas-côté, lesquels n'étaient pas clairement matérialisés, de sorte qu'il était difficile pour les usagers de se situer sur la voie ; la présence de gravillons en grande quantité excédait les risques auxquels pouvait normalement s'attendre un usager même averti ; malgré l'absence de panneau de limitation, elle circulait à une vitesse modérée de 40 km / h et n'a commis aucune faute ; c'est ainsi à tort que le tribunal n'a pas retenu la responsabilité de la commune

- le rapport de l'expertise réalisé le 20 juin 2014 et pris en compte par le tribunal de grande instance d'Auch a été versé aux débats de première instance et peut être discuté par la commune ;

- les dépenses de prothèses restant à sa charge s'élèvent à une somme capitalisée

de 26 495,44 euros ; déduction faite de la pension d'invalidité qu'elle perçoit depuis

le 19 août 2014, ses pertes de gains professionnels s'élèvent à une somme capitalisée

de 183 491,81 euros ; l'incidence professionnelle caractérisée par l'inaptitude à exercer

sa profession d'auxiliaire de vie et la perte de chance de progresser dans toute carrière doit être indemnisée à hauteur de 180 569 euros ; elle sollicite les sommes de 3 490 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par l'expert, de 22 500 euros au titre des souffrances endurées évaluées à 4,5 sur 7, de 3 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, de 51 520 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 23 %, de 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément, et de 15 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ; son préjudice s'élève ainsi au total à 496 066,25 euros, que la commune d'Auch doit être condamnée à lui verser sous déduction de la somme de 230 000 euros réglée par son assureur.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 mai 2020, la commune d'Auch, représentée par la SELAS ADAMAS, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre

à la charge de Mme A... une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code

de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les moyens invoqués par Mme A... ne sont pas fondés.

Dans l'hypothèse où la cour annulerait le jugement :

- Mme A... n'était pas recevable à demander la réparation du préjudice correspondant à l'indemnité qui lui a déjà été versée par son assurance ;

- le lien de causalité entre le préjudice et un défaut d'entretien normal par la commune n'est pas démontré ;

- l'expertise qui n'a pas été réalisée à son contradictoire ne lui est pas opposable ;

- les sommes demandées sont excessives ;

- si elle était condamnée à réparer les préjudices subis par Mme A..., cette condamnation devrait être limitée à la différence entre le montant total alloué par la cour et l'indemnité versée par l'assurance.

Par des mémoires enregistrés le 28 juillet 2020 et le 12 mars 2021, la CPAM du Tarn agissant pour le compte de la CPAM du Gers, représentée par la SCPI Rastoul, Fontanier, Combarel, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 17 décembre 2019, de condamner la commune d'Auch à lui verser la somme de 153 146,09 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 2017, et de mettre à la charge de la commune les sommes de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement doit être annulé dès lors que la responsabilité de la commune doit être retenue en raison d'un défaut d'entretien normal caractérisé par l'absence de panneau de limitation de vitesse et d'avertissement du danger auquel Mme A... ne pouvait raisonnablement s'attendre ;

- elle est fondée à demander le remboursement de ses débours en lien avec l'accident, soit avant consolidation 28 955,42 euros de dépenses de santé et 36 459,08 euros d'indemnités journalières, et après consolidation 2 729,69 euros de frais médicaux en relation avec les prothèses, 4 655,55 euros d'indemnités journalières, 3 577,23 euros d'arrérages échus de la rente d'invalidité, et 76 769,12 euros de capital représentatifs des arrérages à échoir de cette pension.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Faugère représentant Mme A... et de Me Platel représentant la commune d'Auch.

Considérant ce qui suit :

1. Le 19 août 2011, alors qu'elle circulait sur le chemin communal de Roquelaure à Auch, Mme A... a perdu le contrôle de son véhicule en se déportant vers la droite où se trouvaient des gravillons, a percuté un talus, et le véhicule a terminé sa course sur le côté, lui écrasant la main gauche qui était passée par la fenêtre ouverte. Cette grave blessure a nécessité l'amputation des phalanges distales des deuxième et troisième doigts et l'a rendue inapte à sa profession d'auxiliaire de vie. Son assureur, condamné par un jugement du tribunal de grande instance d'Auch du 8 juin 2016 à lui verser une indemnité de 300 353,25 euros en réparation de ses préjudices, lui a versé la somme maximale de 230 000 euros prévue par la garantie souscrite. Mme A... s'est alors adressée à la commune d'Auch en invoquant un défaut d'entretien normal de la voie publique. Sa réclamation préalable ayant été rejetée, elle a saisi le tribunal administratif de Pau d'une demande de condamnation de la commune à lui verser une indemnité de 496 066,25 euros sous déduction de l'indemnité de 230 000 euros qu'elle avait perçue. Elle relève appel du jugement du 17 décembre 2019 par lequel le tribunal a rejeté sa demande. La CPAM du Tarn, agissant pour la compte de la CPAM du Gers, conteste le même jugement qui a rejeté sa demande de remboursement de ses débours.

Sur la régularité du jugement :

2. Pour écarter le moyen tiré du défaut d'entretien normal de la voie communale, les premiers juges ont relevé qu'il ressortait des procès-verbaux d'audition des témoins, des photographies prises le jour de l'accident, ainsi que les indications de la requérante elle-même, que les gravillons se trouvaient sur les bas-côtés de la route, et non sur la voie dont le caractère défectueux n'était pas établi. Ils ont ainsi, implicitement mais nécessairement, écarté l'argument, auquel ils n'étaient pas tenus de répondre expressément, tiré de de ce que les gravillons auraient excédé, par leur quantité, les risques auxquels un usager même averti peut normalement s'attendre. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à invoquer l'irrégularité du jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage d'apporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en apportant la preuve, soit de l'absence de défaut d'entretien normal, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

4. Le lien de causalité entre la présence de gravillons et l'accident, constaté par les services de police et par trois témoins, est établi.

5. Il résulte de l'instruction que la portion de la voie communale sur laquelle l'accident a eu lieu avait fait l'objet de travaux de réfection en juin 2011, la dernière intervention réalisée

le 22 juin 2011 ayant consisté à aspirer les gravillons sur la chaussée. Lors de son audition par les services de police le 30 septembre 2011, le responsable de la voirie de la commune a précisé avoir laissé par précaution les panneaux de signalisation du danger de gravillons et de limitation de vitesse à 30 km / h, car la fonte du goudron lors des fortes chaleurs impose de remettre une fine couche de gravier. Les photographies datées du jour de l'accident produites par la requérante montrent la présence d'une importante couche de gravillons sur le bas-côté de la route. Si Mme A... a déclaré, lors de son audition par les services de police le 20 septembre 2011, qu'elle avait dû serrer sur le bas-côté en croisant une Mercedes grise qui roulait au milieu de la chaussée, aucun des trois témoins de l'accident n'a confirmé cette version, et le conducteur du véhicule qui la suivait a précisé n'avoir croisé aucune voiture, de sorte que la nécessité de rouler sur l'accotement non destiné à cet usage n'est pas établie. Les nombreuses attestations produites par la requérante font état de la dangerosité de la route de juillet à septembre 2011 en raison de la présence de gravillons en grande quantité et d'une signalisation " désordonnée " avec des panneaux couchés et une contradiction entre la limitation de vitesse indiquée à 30 km / h dans le sens d'Auch à Roquelaure et à 50 km / h dans le sens inverse. Il résulte toutefois des constats des services de police qu'un panneau signalant le danger de gravillons était en place dans le sens de Roquelaure à Auch emprunté par Mme A..., à 86,40 m du point de choc. Dans ces circonstances, même en l'absence de panneau de limitation de vitesse, le danger constitué par la présence d'une couche de gravillons sur le bas-côté ne caractérise pas un défaut d'entretien normal de la voie communale. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

6. Il résulte de ce qui précède que l'appel de Mme A... et la demande de la CPAM du Tarn doivent être rejetées.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

7. Mme A... et la CPAM du Tarn, qui sont perdantes, ne sont pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La demande présentée par la caisse au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion doit être également rejetée, ainsi que celle de Mme A... relative aux dépens inexistants.

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de Mme A... au titre des frais exposés par la commune d'Auch à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... épouse A..., à la commune d'Auch et à la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn.

Délibéré après l'audience du 12 avril 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Anne Meyer, présidente, rapporteure,

Mme Christelle Brouard Lucas, première conseillère,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2022.

La première assesseure,

Christelle Brouard Lucas La présidente, rapporteure,

Anne B...

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au préfet du Gers en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX00538


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00538
Date de la décision : 05/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MEYER
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : ADALTYS – AARPI INTERBARREAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-05-05;20bx00538 ?
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