Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Esprit Bastide, Mme N... M..., épouse O..., Mme H... G..., Mme Q... G..., Mme E... F..., épouse R..., M. L... C..., M. J... K..., M. A... P..., M. S... T... et M. I... D... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2018 par lequel le maire de Bordeaux a définitivement interdit la circulation des véhicules automobiles sur le Pont de Pierre.
Par jugement n° 1900481 du 23 septembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Par une requête et un mémoire en communication de pièces, enregistrés les 19 et 20 novembre 2020, l'association Esprit Bastide, Mme M..., épouse O..., Mme H... G..., Mme Q... G..., Mme F..., épouse R..., M. C..., M. K..., M. P..., M. T... et M. D..., représentés par Me Clavel, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 23 septembre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2018 par lequel le maire de Bordeaux a définitivement interdit la circulation des véhicules automobiles sur le Pont de Pierre ;
3°) d'enjoindre au maire de Bordeaux de prendre, sous huit jours, toute mesure nécessaire pour procéder à l'ouverture effective du Pont de Pierre à la circulation automobile, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Bordeaux la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé, dès lors que les visas sont trop généraux, certains des articles cités du code général des collectivités territoriales ne constituant pas la base légale de l'arrêté, et la motivation ne constitue pas une démonstration cohérente de la nécessité de fermer le pont à la circulation, en méconnaissance de la loi du 11 juillet 1979 ;
- il est entaché d'un vice de procédure, dès lors qu'il se fonde sur des études menées par Bordeaux Métropole, présidée à l'époque par la même personne que la commune, et par la commune elle-même, qui est à la fois juge et partie ;
- il est entaché d'un détournement de procédure, la ville ayant agi par prolongations successives aboutissant à une prolongation anormalement longue, qui aurait dû être précédée d'études d'impact sérieuses et impartiales et d'une véritable concertation ;
- la décision est entachée d'erreur de fait, dès lors que seules deux lignes de transport en commun empruntent ce pont avec une fréquence très insuffisante, que la ville privilégie notoirement les aspects esthétiques et touristiques au détriment des usagers habituels de cet ouvrage et favorise ainsi certains usages au détriment des autres, aggravant de la sorte les conflits d'usages entre les administrés ; que les adaptations réalisées en faveur des commerçants sont inadaptées et bien souvent superfétatoires ; qu'il n'est pas tenu compte de l'augmentation des embouteillages et de la pollution atmosphérique engendrée par l'allongement des trajets automobiles dû à l'interdiction de circulation sur cet axe direct ; qu'il n'est nullement fait référence aux difficultés induites par le prolongement des délais de réalisation du nouveau pont en construction, qui vont lourdement impacter la circulation automobile dans l'agglomération bordelaise ;
- loin de servir l'intérêt général, l'arrêté n'a été pris que dans l'intérêt des touristes et des piétons, au détriment des commerçants et artisans du Cœur de Bastide ;
- l'arrêté est entaché d'erreur de droit, dès lors qu'il ne respecte pas les limites imposées par le 1° de l'article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales, aucune limite temporelle à l'interdiction n'étant posée, ce qui revient à édicter une interdiction générale et absolue ;
- le choix de l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales comme base légale est erroné, dès lors que ce texte ne s'applique qu'aux espaces ruraux, et ne peut justifier des mesures visant à améliorer les transports publics et la sécurité des piétons et des cyclistes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2022, la commune de Bordeaux, représentée par Me Sagalovitsch, conclut au rejet de la requête et à ce que les appelants soient solidairement condamnés à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
-le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès,
- les conclusions de Mme Florence Madelaigue,
- et les observations de Me Richardeau, représentant la commune de Bordeaux.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 3 décembre 2018, le maire de Bordeaux a interdit la circulation sur le Pont de Pierre aux véhicules de toute nature, à l'exception, notamment, des vélos, bus et véhicules assurant un service de transport et des taxis. L'association Esprit Bastide et autres ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Ils relèvent appel du jugement du 23 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif a rejeté cette demande.
2. Aux termes de l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut, par arrêté motivé, interdire l'accès de certaines voies ou de certaines portions de voies ou de certains secteurs de la commune aux véhicules dont la circulation sur ces voies ou dans ces secteurs est de nature à compromettre soit la tranquillité publique, soit la qualité de l'air, soit la protection des espèces animales ou végétales, soit la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques (...) "
Sur la légalité externe :
3. En premier lieu, l'arrêté contesté, qui doit être motivé en application des dispositions rappelées ci-dessus, vise notamment l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales et énonce les éléments de faits qui en constituent le fondement. La circonstance qu'il vise également la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, dite loi SRU, le code de la route et le code pénal, sans préciser les articles en cause, ainsi que les articles L. 2212-2 et L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales, relatifs à l'objet de la police municipale et à la police de la circulation, ne vicie pas sa motivation, de même que la circonstance, qui au surplus en l'espèce n'est pas avérée, que la motivation ne constituerait pas une démonstration cohérente de la nécessité de fermer le pont à la circulation. À cet égard, les requérants ne peuvent utilement soutenir que les chiffres cités ne seraient pas cohérents, dès lors que l'arrêté contesté n'en cite aucun, et il ne ressort nullement des dispositions de l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales que la motivation devrait être de nature à démontrer que " la situation de fait et de droit ne peut qu'impérativement aboutir à la décision de fermeture prise ". Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 3 décembre 2018 doit être écarté.
4. En second lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'obligeait la commune à se fonder sur des études d'impact menées par une institution indépendante ou à conduire une consultation auprès de sa population. Le moyen tiré du vice de procédure qui entacherait l'arrêté litigieux, dès lors qu'il se fonde sur des études menées par Bordeaux Métropole, présidée à l'époque par la même personne que la commune, et par la commune elle-même, ce qui révélerait un " conflit d'intérêt ", et qu'il n'a pas été précédé de la consultation des personnes intéressées, à l'exclusion de quelques réunions d'information, est par suite inopérant et doit être écarté. De même, la circonstance que M. B..., alors maire-adjoint de la Bastide, serait marchand de vélos place Stalingrad n'est pas de nature, à elle seule, à vicier la procédure.
Sur la légalité interne :
5. En premier lieu, les requérants soutiennent que le maire de Bordeaux a entaché sa décision d'une erreur dans l'appréciation des circonstances de faits constatées après plus d'un an d'expérimentation. Ils font ainsi valoir que seules deux lignes de transport en commun empruntent ce pont avec une fréquence très insuffisante pour permettre le développement des transports publics, qu'il n'est tenu aucun compte de l'augmentation de la pollution atmosphérique engendrée par l'allongement des trajets automobiles, eu égard aux délais de réalisation du nouveau pont en construction, et des embouteillages. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'étude du comité de pilotage décisionnel de Bordeaux Métropole du 5 juillet 2018, que les passages des transports publics avaient nettement augmenté depuis le début de l'expérimentation, qu'il s'agisse de la ligne A du tramway, qui a connu une progression de 9 % en 2017 et de 8 % sur les quatre premiers mois de 2018, mais aussi des lignes de bus n° 45 et n° 27. Il ressort de cette même étude que les temps de parcours pour les automobilistes, le matin, étaient passés, pour le parcours Cenon-Bordeaux-centre de 31,53 minutes à l'automne 2016 à 29,38 minutes au printemps 2018, et pour le parcours Paludate-Mériadeck de 23 à 19,21 minutes. S'agissant de la pollution, la commune a produit devant les premiers juges une étude réalisée par l'Atmo Nouvelle-Aquitaine, l'observatoire régional de l'air, en date du mois de juillet 2018, qui évalue l'impact de l'expérimentation menée depuis le 1er août 2017 sur la qualité de l'air, et qui démontre que le niveau de pollution a diminué dans le secteur du Pont de Pierre, dans des proportions de 7 à 38 %, et augmenté entre le Pont Saint-Jean et le Pont Chaban-Delmas, dans des proportions de 6 à 14 %. Cette étude conclut que " sur les 38 580 habitants vivant sur une bande de 150 m de part et d'autre des axes routiers impactés par la réservation du pont, environ 24 % d'entre eux se situent dans une zone où les concentrations de NO2 ont augmenté soit environ 9 400 habitants, alors que 40 % environ se trouvent dans une zone ou une diminution est observée soit environ 15 650 habitants. Ainsi l'effet global est davantage favorable à une amélioration relative de la qualité de l'air plutôt qu'à une dégradation, d'autant plus que les améliorations sont plus fortes que les dégradations ". En se bornant à produire, comme en première instance, le résumé d'une thèse de doctorat en génie civil de l'université de Lille, intitulée " Analyse des vibrations induites par le trafic routier et étude de l'efficacité des systèmes de réduction de ces vibrations ", sans rapport avec le litige, un article du journal Sud-ouest du 26 septembre 2019, intitulé " Bouchons à Bordeaux : les solutions suggérées par les experts ", qui fait état de façon générale des problèmes de circulation automobile dans l'agglomération bordelaise sans dire un mot de la limitation de la circulation sur le Pont de Pierre, et de nombreuses attestations de commerçants et riverains du quartier Bastide, les requérants ne contestent pas utilement les chiffres et constats des études ainsi produites devant le tribunal administratif de Bordeaux. Enfin, si les requérants soutiennent que " les adaptations réalisées en faveur des commerçants sont inadaptées et bien souvent superfétatoires ", ils n'apportent aucun élément ni précision au soutien de cette affirmation. Par suite, le moyen doit être écarté.
6. En deuxième lieu, l'arrêté contesté étant fondé sur les dispositions de l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales, le moyen tiré de la méconnaissance du 1° de l'article L. 2213-2 du même code est inopérant et doit être écarté.
7. En troisième lieu, l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales sur lequel l'arrêté litigieux est fondé, qui n'a pas vocation à ne s'appliquer qu'aux espaces ruraux, autorise le maire à interdire l'accès à certaines voies ou à certaines portions de voies aux véhicules dont la circulation sur ces voies est de nature à compromettre, notamment, la protection des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques ou touristiques. Par suite, l'arrêté, qui est motivé, notamment, par le " caractère d'ouvrage phare du patrimoine architectural de la ville de Bordeaux " du Pont de Pierre et la nécessité " de prendre des mesures visant à sa mise en valeur esthétique et touristique " n'est pas entaché d'erreur de droit, nonobstant la circonstance qu'il a également pour objet de faciliter la rapidité de la circulation des véhicules de transport collectif et d'assurer la sécurité des piétons et des cyclistes.
8. En quatrième lieu, l'arrêté contesté, qui interdit la circulation sur le Pont de Pierre aux véhicules de toute nature, à l'exception, notamment, des vélos, bus et véhicules assurant un service de transport et taxis, n'édicte pas une interdiction générale et absolue.
9. En dernier lieu, comme il vient d'être rappelé au point 7, le maire tient de l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales le droit d'interdire l'accès de certaines voies aux véhicules dont la circulation sur ces voies est de nature à compromettre la mise en valeur des sites à des fins esthétiques ou touristiques. Ainsi, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi. De même, en se livrant à des interdictions de circulation temporaires et expérimentales, prolongées plusieurs fois avant l'adoption de l'interdiction définitive, le maire de Bordeaux n'a pas commis de détournement de procédure.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter leurs conclusions à fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que, dans les circonstances de l'espèce, celles présentées à ce titre par la commune de Bordeaux.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'association Esprit Bastide et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêté sera notifié à l'association Esprit Bastide, à Mme N... M..., épouse O..., à Mme H... G..., à Mme Q... G..., à Mme E... F..., épouse R..., à M. L... C..., à M. J... K..., à M. A... P..., à M. S... T..., à M. I... D... et à la commune de Bordeaux.
Délibéré après l'audience du 10 mars 2022 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 avril 2022
La rapporteure,
Frédérique Munoz-Pauziès Le président
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX03771