Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile agricole de Bérive a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler le permis de construire tacite obtenu par la SCI Varsidhi pour la construction d'une station-service, d'un restaurant de 240 places et de deux boutiques sur les parcelles cadastrées ER 220 et ER 229 situées 10 impasse Toolsy au lieudit Terre Rouge sur le territoire de la commune de Saint-Pierre, et remis en vigueur par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 octobre 2014.
Par un jugement n° 1701127 du 12 novembre 2019, le tribunal administratif de La Réunion a annulé le permis de construire tacite né le 16 octobre 2014.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un bordereau de pièces, enregistrés les 17 décembre 2019 et 21 janvier 2020, la SCI Varsidhi, représentée par Me Vialatte, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 12 novembre 2019 ;
2°) de mettre à la charge de la SCA de Bérive une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête de première instance de la SCA Bérive est tardive dès lors qu'elle a régulièrement procédé à l'affichage du permis de construire tacite et que les voies et délais de recours lui étaient opposables ; elle avait nécessairement connaissance de l'affichage du permis de construire ainsi que des voies et délais de recours puisqu'elle est propriétaire d'une parcelle attenante ;
- la SCA de Bérive ne justifie nullement d'un intérêt à agir au regard des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme ;
- le dossier de demande du permis de construire est complet de sorte que le permis tacite en litige n'est pas entaché d'un vice de procédure ;
- le projet de construction est conforme aux dispositions du plan local d'urbanisme dès lors qu'il comporte une importante zone de distribution d'énergie, que le président de la région reconnaît la cohérence de ce projet et a émis un avis favorable au raccordement de ce projet de station-service à la voie RN2, et qu'elle a obtenu toutes les autorisations nécessaires ;
- le permis tacite n'est pas devenu caduc dès lors que les travaux ont commencé avant le délai de péremption prévu à l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire, enregistré le 28 janvier 2020, la commune de Saint-Pierre, représentée par Me Domitile, demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 12 novembre 2019 et de mettre à la charge de la SCA de Bérive une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'affichage du permis de construire est régulier de sorte que les délais de recours sont opposables à la SCA de Bérive ;
- cette société avait nécessairement connaissance du permis de construire en litige ainsi que des voies et délais de recours pour en solliciter l'annulation dès lors qu'elle est propriétaire de l'impasse Toolsy où se situe le panneau d'affichage.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2020, la SCA de Bérive, représentée par Me Diot, conclut au rejet de la requête et à ce que la SCI Varsidhi et la commune de Saint-Pierre lui versent solidairement la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête d'appel est irrecevable dès lors qu'elle ne critique pas le jugement attaqué ;
- sa requête de première instance est recevable en raison de l'affichage irrégulier situé impasse Toolsy, en l'absence des voies et délais de recours, de l'adresse de la mairie et de la surface du terrain, de l'affichage inadéquat le long de la route nationale qui, de par sa situation, ne permettait pas de lire les informations qui y étaient portées et qui étaient, au demeurant, incomplètes, et de l'affichage différent et incomplet sur le pont menant à Terre Rouge ;
- elle est propriétaire d'une parcelle mitoyenne du terrain d'assiette du projet de sorte qu'elle justifie d'un intérêt à agir en qualité de voisin immédiat ;
- le projet est contraire au plan local d'urbanisme puisqu'il est proscrit de construire des commerces et un restaurant dans la zone Apf ;
- il ne respecte pas non plus l'article A 3 du règlement dès lors que tout accès par la route nationale est interdit ;
- il méconnaît l'article A12.1 du règlement dès lors qu'il ne prévoit pas le nombre de places de stationnement nécessaire ;
- il méconnaît l'article R. 111-5 du code de l'urbanisme eu égard à la dangerosité des accès.
Par une ordonnance du 29 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 1er septembre 2020 à 12h00.
Des pièces ont été produites pour la SCI Varsidhi et enregistrées les 28 février, 1er et 7 mars 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction et n'ont pas été communiquées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evelyne Balzamo,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,
- et les observations de Me Vialatte représentant la SCI Varsidhi et les observations de Me Diot, représentant la SCA de Bérive.
Une note en délibéré présentée par la SCA de Bérive a été enregistrée le 9 mars 2022.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Varsidhi a déposé, le 15 juillet 2010, une demande de permis de construire auprès de la commune de Saint-Pierre pour réaliser un ensemble immobilier composé d'une station-service, de deux boutiques et d'un restaurant, pour une surface totale de 1 179,43 m² sur des parcelles cadastrées ER 220 et ER 229 situées au 10 impasse Toolsy au lieudit Terre Rouge. Par un arrêté du 14 octobre 2010, le maire de la commune de Saint-Pierre a refusé de délivrer à la SCI Varsidhi le permis sollicité. Par un arrêt n° 13BX00286 du 16 octobre 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement n° 1001239 du tribunal administratif de Saint-Denis du 22 novembre 2012 qui avait rejeté la demande de la SCI tendant à l'annulation de cet arrêté, ainsi que l'arrêté du maire de Saint-Pierre au motif qu'il devait être regardé comme ayant retiré un permis de construire tacite né le 16 octobre 2010 au terme d'une procédure irrégulière. Par une requête enregistrée le 18 décembre 2017 au greffe du tribunal administratif de La Réunion, la SCA de Bérive a sollicité l'annulation de ce permis de construire tacite remis en vigueur par l'annulation du refus de permis de construire. Par un jugement n° 1701127 du 12 novembre 2019, le tribunal administratif de La Réunion a annulé le permis de construire tacite né le 16 octobre 2014. Par la présente requête, la SCI Varsidhi relève appel de ce jugement.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
En ce qui concerne la tardiveté de la demande de la SCA de Bérive :
2. Aux termes de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme : " Le délai de recours contentieux à l'encontre (...) d'un permis de construire (...) court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l'article R. 424-15 ". L'article R. 424-15 du même code dispose que : " Mention du permis explicite ou tacite ou de la déclaration préalable doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l'extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l'arrêté ou dès la date à laquelle le permis tacite ou la décision de non-opposition à la déclaration préalable est acquis et pendant toute la durée du chantier (...) Cet affichage mentionne également l'obligation, prévue à peine d'irrecevabilité par l'article R. 600-1, de notifier tout recours administratif ou tout recours contentieux à l'auteur de la décision et au bénéficiaire du permis ou de la décision prise sur la déclaration préalable (...) Un arrêté du ministre chargé de l'urbanisme règle le contenu et les formes de l'affichage ". En application de l'article A. 424-15 de ce code : " L'affichage sur le terrain du permis de construire (...) est assuré par les soins du bénéficiaire du permis (...) sur un panneau rectangulaire dont les dimensions sont supérieures à 80 centimètres ". L'article A. 424-16 du même code dans sa rédaction applicable dispose : " Le panneau prévu à l'article A. 424-1 indique le nom, la raison sociale ou la dénomination sociale du bénéficiaire, la date et le numéro du permis, la nature du projet et la superficie du terrain ainsi que l'adresse de la mairie où le dossier peut être consulté. / Il indique également, en fonction de la nature du projet : / a) Si le projet prévoit des constructions, la surface de plancher autorisée ainsi que la hauteur de la ou des constructions, exprimée en mètres par rapport au sol naturel (...) ". Aux termes de l'article A. 424-17 du même code : " Le panneau d'affichage comprend la mention suivante : " Droit de recours : le délai de recours contentieux est de deux mois à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain du présent panneau (art. R.600-2 du code de l'urbanisme). / Tout recours administratif ou tout recours contentieux doit, à peine d'irrecevabilité, être notifié à l'auteur de la décision et au bénéficiaire du permis (...). Cette notification doit être adressée par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du recours (art. R. 600-1 du code de l'urbanisme) ". Enfin, aux termes de l'article A. 424-18 du même code : " Le panneau d'affichage doit être installé de telle sorte que les renseignements qu'il contient demeurent lisibles de la voie publique ou des espaces ouverts au public pendant toute la durée du chantier ". Il résulte des dispositions précitées que l'affichage continu et régulier sur le terrain de l'autorisation d'urbanisme enclenche le délai de deux mois de recours contentieux des tiers à son encontre. S'il incombe au bénéficiaire d'un permis de construire de justifier qu'il a bien rempli les formalités d'affichage prescrites par ces dispositions, le juge doit apprécier la conformité de l'affichage en examinant l'ensemble des pièces qui figure au dossier qui lui est soumis.
3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des constats d'huissier réalisés les 24 juin, 26 juillet et 26 août 2016, que trois panneaux d'affichage ont été implantés sur le terrain d'assiette du projet, faisant mention du permis de construire tacite délivré à la SCI Varsidhi.
S'agissant du panneau d'affichage situé impasse Toolsy :
4. En premier lieu, en imposant que figurent sur le panneau d'affichage du permis de construire diverses informations sur le permis et le lieu de consultation du dossier, les dispositions citées au point 2 ont notamment pour objet de mettre les tiers à même de consulter le dossier du permis. Il s'ensuit que, si les mentions relatives à l'identification du permis et au lieu de consultation du dossier prévues par l'article A. 424-16 du code de l'urbanisme doivent, en principe, figurer sur le panneau d'affichage, une erreur ou omission entachant l'une d'entre elles ne conduit à faire obstacle au déclenchement du délai de recours que dans le cas où cette erreur est de nature à affecter la capacité des tiers à identifier, à la seule lecture du panneau d'affichage, le permis et l'administration à laquelle il convient de s'adresser pour consulter le dossier.
5. Il ressort des constats d'huissier versés au dossier que le premier panneau d'affichage du permis en litige, dont la présence a été constatée par huissier les 24 juin, 26 juillet et 24 août 2016, ainsi que le 6 décembre 2017 est positionné sur le portail donnant sur l'impasse Toolsy, voie privée ouverte au public, et contient les éléments prévus à l'article A. 424-16 précité. Si la SCA de Bérive soutient que n'y figure pas l'adresse de la mairie, il ressort des pièces du dossier que figure sur ce panneau, la déclaration d'ouverture de chantier sur laquelle est mentionnée la mairie de Saint-Pierre. Ainsi, les tiers étaient renseignés sur l'administration à laquelle s'adresser de sorte que l'absence d'adresse de la mairie n'a pas fait obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux.
6. En second lieu, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment par les tiers un permis de construire, une décision de non-opposition à une déclaration préalable, un permis d'aménager ou un permis de démolir. Dans le cas où l'affichage du permis ou de la déclaration, par ailleurs conforme aux prescriptions de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme, n'a pas fait courir le délai de recours de deux mois prévu à l'article R. 600-2, faute de mentionner ce délai comme l'exigeait l'article A. 424-17, un recours contentieux doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter du premier jour de la période continue de deux mois d'affichage sur le terrain. En règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable.
7. Si les constats d'huissier produits au dossier font état de l'absence de mention du délai de recours des tiers exigé par l'article A. 424-17 du code de l'urbanisme, l'affichage n'a pas pu faire courir le délai de recours de deux mois prévu à l'article R. 600-2. En revanche, et alors qu'il ressort des mentions de ces constats d'huissier que cet affichage, par ailleurs conforme aux autres prescriptions du code de l'urbanisme, a duré deux mois, il a fait courir le délai raisonnable imparti aux tiers pour attaquer le permis. Ce délai raisonnable d'un an était expiré lorsque la SCA de Bérive a, le 18 décembre 2017, saisi le tribunal administratif de La Réunion.
S'agissant des panneaux d'affichage implantés en bordure de la route nationale 2 et sur le pont menant à Terre Rouge :
8. Les 2ème et 3ème panneaux d'affichage implantés en bordure de la route nationale 2 pour l'un, et sur le pont menant à Terre Rouge, pour l'autre, mentionnent tous les éléments de l'article A. 424-16 excepté l'adresse de la mairie mais indiquent " mairie de Saint-Pierre ", contrairement à ce qui est soutenu par la SCA de Bérive. Compte tenu de ce qui précède aux points 4 et 5 du présent arrêt, cette omission ne conduit pas à faire obstacle au déclenchement du délai de recours. Par ailleurs, ces panneaux mentionnent également les voies et délais de recours prévues aux dispositions précitées. Si la société défenderesse soutient que de par sa situation, en retrait important de la route et en hauteur sur un talus, les mentions apposées sur l'affichage en bordure de la route nationale 2 n'étaient pas lisibles, il ressort des pièces du dossier que le 3e panneau d'affichage était, quant à lui, aisément visible depuis la voie publique et comportait les mentions requises par les dispositions précitées du code de l'urbanisme permettant aux tiers d'identifier le permis de construire et l'administration à laquelle s'adresser pour consulter le dossier. Par suite, et alors qu'il ressort des constats d'huissiers produits au dossier que l'affichage a été effectué de façon continue pendant deux mois, le délai de recours de deux mois, qui a couru à compter du 26 août 2016, était expiré le 18 décembre 2017, date à laquelle la demande de la SCA de Bérive a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de La Réunion.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Varsidihi est fondée à soutenir que la demande de première instance de la SCA de Bérive était tardive, et par suite, irrecevable. Elle est par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a annulé le permis de construire tacite né le 16 octobre 2014.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de la SCA de Bérive le versement d'une somme de 1 500 euros à la SCI Varsidhi. En revanche il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune de Saint Pierre tendant au versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions. Les mêmes dispositions s'opposent à ce que la SCA de Bérive, qui est la partie perdante dans la présente instance, puisse en invoquer le bénéfice.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1701127 du 12 novembre 2019 du tribunal administratif de La Réunion est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SCA de Bérive devant le tribunal administratif de La Réunion et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : La SCA de Bérive versera à la SCI Varsidhi une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Varsidhi, à la SCA de Bérive et à la commune de Saint-Pierre.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Nicolas Normand premier conseiller ;
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 avril 2022.
L'assesseur le plus ancien,
Nicolas NormandLa présidente-rapporteure,
Evelyne Balzamo
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX04907 2