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04/04/2022 | FRANCE | N°21BX04486

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 04 avril 2022, 21BX04486


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2019 par lequel le préfet de la Guyane lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixé le pays de renvoi et prononcé contre lui une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1901577 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 29 juillet 2019 en tant qu'il porte interdiction de retour s

ur le territoire français d'un an.

Procédure devant la cour :

Par une requête enr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2019 par lequel le préfet de la Guyane lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixé le pays de renvoi et prononcé contre lui une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1901577 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 29 juillet 2019 en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français d'un an.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 décembre 2021, le préfet de la Guyane, représenté par Me Tomasi, demande à la cour d'annuler ce jugement n° 1901577 en tant qu'il a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français au motif qu'elle était insuffisamment motivée ; la décision attaquée comportait, dans son ensemble, un exposé détaillé de la situation personnelle du requérant ; il était donc possible pour lui de comprendre les considérations de fait qui ont motivé l'interdiction de retour sur le territoire français ;

- les autres moyens de première instance doivent être écartés compte tenu des éléments avancés dans ses écritures de première instance ; en particulier, l'arrêté en litige n'a pas porté au droit du requérant à une vie privée et familiale une atteinte disproportionnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 janvier 2022, M. B... A..., représenté par Me Balima, conclut :

1°) au rejet de la requête du préfet de la Guyane ;

2°) à l'annulation en toutes ses dispositions de l'arrêté préfectoral du 29 juillet 2019 ;

3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ; à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint au préfet de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. Il ajoute que l'obligation de quitter le territoire français sans délai et la décision fixant le pays de renvoi doivent être annulés en se référant à ses moyens de première instance.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frédéric Faïck, a été entendu au cours de l'audience publique :

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen né le 8 avril 1985, est entré irrégulièrement en France selon ses déclarations en 2013. Il a déposé en préfecture de Guyane une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 octobre 2018, le préfet a rejeté cette demande, assorti sa décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de renvoi. Le 29 juillet 2019, M. A... a fait l'objet d'une interpellation dans le cadre d'une vérification de son droit au séjour. Après avoir constaté qu'il ne justifiait d'aucun titre l'autorisant à demeurer sur le territoire français, le préfet de la Guyane a pris à l'encontre de M. A... un arrêté du 29 juillet 2019 portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. A la demande de M. A..., le tribunal administratif de la Guyane a annulé cet arrêté du 29 juillet 2019 en tant qu'il a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français. Le préfet de la Guyane relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé cette dernière décision.

Sur l'appel principal du préfet :

2. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

3. L'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi. Il incombe ainsi à l'autorité compétente d'indiquer dans quel cas, susceptible de justifier une interdiction de retour sur le territoire français, se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté sa décision, dans son principe et dans sa durée, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet.

4. L'arrêté en litige rappelle les dispositions du premier alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vertu desquelles une interdiction de retour sur le territoire français est prononcée lorsque, comme en l'espèce, l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ. L'arrêté relate le parcours de M. A... depuis son entrée en France en rappelant qu'il avait déjà formulé une demande de titre de séjour rejetée par un arrêté préfectoral du 24 octobre 2018, assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et de la désignation du pays de renvoi. L'arrêté indique que M. A... a déclaré être célibataire, sans charge de famille et que, s'il a prétendu vivre avec une amie, détentrice d'une attestation de demande d'asile et enceinte de cinq mois, cette circonstance ne lui confère pas, à elle seule, un droit au séjour en France. A cet égard, le préfet a relevé que M. A... n'a apporté aucun élément confirmant ses allégations selon lesquelles il vivrait en concubinage avec son amie. Il est encore indiqué dans la décision en litige que M. A... a fait l'objet d'une interpellation le 29 juillet 2019 et qu'il n'a pu à cette occasion justifier être en possession d'un document de séjour alors qu'il a reconnu avoir pénétré clandestinement sur le territoire français en 2013. De tels motifs révèlent que le préfet a apprécié la situation de M. A... au regard des critères légaux avant de prendre sa décision. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de la Guyane a annulé, pour insuffisance de motivation, l'interdiction de retour sur le territoire français en litige.

5. Il appartient à la cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance à l'encontre de l'interdiction de retour sur le territoire français.

6. En premier lieu, en vertu des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le pouvoir de police lié, notamment, à l'éloignement des ressortissants étrangers appartient, non au représentant de la collectivité territoriale de Guyane, mais au préfet de la Guyane, représentant de l'Etat sur le territoire.

7. Par ailleurs, la décision en litige a été signée par le chef de la section de l'éloignement des étrangers en vertu d'une délégation de signature consentie par l'article 7 de l'arrêté préfectoral du 4 avril 2019, lequel a été régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture.

8. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence doit être écarté.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Pour attester de l'ancienneté de son séjour en France, M. A... produit des récépissés de dépôt de sa demande d'asile et un certificat de vaccination datant de 2013, des avis de non-imposition pour les années 2014 à 2016 et 2019 et d'autres documents de nature diverse. Toutefois, ces pièces ne sont pas suffisantes pour faire regarder M. A... comme s'étant particulièrement intégré, au plan social ou professionnel, dans la société française où il s'est maintenu en dépit d'un refus de titre de séjour assorti d'une mesure d'éloignement prise à son encontre le 24 octobre 2018.

11. M. A... fait néanmoins valoir qu'il vit sur le territoire français en concubinage avec une compatriote bénéficiaire d'une attestation de demande d'asile. M. A..., qui produit à cette fin un contrat de location à son nom et au nom de sa conjointe daté du 19 juillet 2019, s'est marié le 24 octobre 2019 avec cette dernière qui a donné naissance à un enfant le 19 décembre 2019. Toutefois, il ressort de ces éléments, qui pour certains sont postérieurs à la décision attaquée, que la relation entre M. A... et sa conjointe, laquelle séjourne en France sous couvert d'un simple récépissé de demande d'asile, était récente lors de la décision en litige. A la date à laquelle elle a été prise, cette décision n'avait pas pour objet ou pour effet de séparer durablement le requérant et sa conjointe qui ont la même nationalité et sont ainsi admissibles dans leur pays d'origine. Quant à la promesse d'embauche du 3 décembre 2018 produite par le requérant, elle ne suffit pas non plus à établir qu'il aurait noué en France des liens privés ou familiaux présentant un caractère stable, ancien et intense auxquels la décision contestée aurait porté une atteinte disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Guyane est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français contenue dans l'arrêté du 1er août 2019. Dès lors, ce jugement doit être annulé en tant qu'il prononce l'annulation de cette décision.

Sur l'appel incident de M. A... dirigé contre l'obligation de quitter le territoire français, le refus de délai de départ volontaire et la décision fixant le pays de renvoi:

13. En premier lieu, le moyen tiré de l'incompétence doit être écarté compte tenu de ce qui a été dit précédemment.

14. En deuxième lieu, à l'appui de ses moyens tirés de l'insuffisance de motivation des décisions contestées, de l'erreur de droit, de la méconnaissance des articles L. 313-11-7°, L. 313-10 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste d'appréciation, le requérant ne se prévaut, devant la cour, d'aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation devant les premiers juges. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents du tribunal.

15. En troisième et dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté compte tenu de ce qui a été dit précédemment.

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... :

16. Le présent arrêt n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37- 2 de la loi du 10 juillet 1991 :

17. Il y a lieu de rejeter les conclusions présentées contre l'Etat qui n'est pas la partie perdante à l'instance.

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 1901577 du 28 octobre 2021 du tribunal administratif de la Guyane est annulé en tant qu'il annule l'interdiction de retour sur le territoire français contenue dans l'arrêté préfectoral du 29 juillet 2019.

Article 2 : La demande de première instance présentée par M. A... à l'encontre de l'interdiction de retour sur le territoire français contenue dans l'arrêté du 29 juillet 2019 et ses conclusions d'appel incident sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de M. A... présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A.... Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Guyane.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2022 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2022.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

Le président,

Didier Artus

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX04486 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04486
Date de la décision : 04/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : TOMASI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-04-04;21bx04486 ?
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