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24/03/2022 | FRANCE | N°21BX04181

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 24 mars 2022, 21BX04181


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C..., son épouse Mme A... B..., et leur fille aînée Mme D... C... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 1er mars 2021

par lesquels le préfet de l'Ariège les a assignés à résidence pour une durée de trois mois.

Par un jugement n° 2101223, 2101224, 2101225 du 12 octobre 2021, le tribunal administratif de Toulouse a annulé les arrêtés du 1er mars 2021 et mis à la charge de l'Etat

la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761

-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C..., son épouse Mme A... B..., et leur fille aînée Mme D... C... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 1er mars 2021

par lesquels le préfet de l'Ariège les a assignés à résidence pour une durée de trois mois.

Par un jugement n° 2101223, 2101224, 2101225 du 12 octobre 2021, le tribunal administratif de Toulouse a annulé les arrêtés du 1er mars 2021 et mis à la charge de l'Etat

la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 novembre 2021, la préfète de l'Ariège demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 12 octobre 2021.

Elle soutient que c'est à tort que le tribunal a considéré que les arrêtés en litige méconnaissaient les articles L. 561-1 et R. 511-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : les assignations à résidence sont légales en ce qu'elles sont fondées sur des interdictions de retour non exécutées, mesures d'éloignement autonomes et opposables ; ces dernières ont pu légalement être prises sur le fondement du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les dispositions de l'article L. 561-2 du même code prévoient la possibilité de prendre une mesure d'assignation à résidence lorsque l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction de retour, et les intéressés ont fait l'objet le 17 septembre 2020 d'une interdiction de retour ; seul compte le caractère exécutoire des obligations de quitter le territoire français ; enfin, les dispositions du " 3° de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " ne prévoient pas de délai d'un an comme en matière d'obligation de quitter le territoire français, ce qui permet d'assigner à résidence sur ce fondement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2022, les consorts C..., représentés par Me Amari de Beaufort, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise

à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi

du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que les moyens de la préfète ne sont pas fondés.

Mme A... B..., Mme D... C... et M. F... C... ont été maintenus

au bénéfice de l'aide juridictionnelle par décisions du 20 janvier 2022.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... et son épouse Mme A... B..., ainsi que leur fille aînée Rebeka C..., ressortissants géorgiens, déclarent être entrés irrégulièrement en France le 19 septembre 2018. Leurs demandes d'asile ayant été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 21 juin 2019, ils ont fait l'objet par arrêtés en date du 17 octobre 2019 d'obligations de quitter le territoire français, confirmées par jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 16 décembre 2019, ainsi que par la cour administrative d'appel

de Bordeaux le 14 décembre 2020. Par arrêtés du 17 septembre 2020, la préfète de l'Ariège leur a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Les requêtes en annulation de ces arrêtés ont été rejetées comme tardives par le tribunal administratif de Toulouse, par un jugement du 4 janvier 2021. Par trois arrêtés du 1er mars 2021, la préfète de l'Ariège a assigné les intéressés à résidence sur le fondement de ces interdictions de retour. La préfète relève appel du jugement n° 2101223, 2101224, 2101225 du 12 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé ces arrêtés du 1er mars 2021 et mis à la charge de l'Etat

la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, dans sa rédaction applicable au litige : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. (...) Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative prononce une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) / Les modalités de constat de la date d'exécution de l'obligation de quitter le territoire français de l'étranger faisant l'objet d'une interdiction de retour sont déterminées par voie réglementaire. ". Aux termes de l'article R. 511-5 de ce code : " L'étranger auquel est notifiée une interdiction de retour sur le territoire français est informé du caractère exécutoire de cette mesure et de ce que sa durée courra à compter de la date à laquelle il aura satisfait à son obligation de quitter le territoire français en rejoignant le pays dont il possède la nationalité, ou tout autre pays non membre de l'Union européenne et avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen. Il est également informé des dispositions de l'article R. 511-4. " Aux termes de cet article R. 511-4 : " L'obligation de quitter le territoire français est réputée exécutée à la date à laquelle a été apposé sur les documents de voyage de l'étranger qui en fait l'objet le cachet mentionné à l'article 11 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) lors de son passage aux frontières extérieures des Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990. (...) ". Il résulte de ces dispositions, qui transposent l'article 11 de la directive 2008/115/CE du Parlement et du Conseil du 16 décembre 2008 telle qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, laquelle a expressément jugé que la durée d'une interdiction de retour devait " être calculée à partir de la date à laquelle l'intéressé a effectivement quitté le territoire des Etats membres " (26 juillet 2017, Ouhrami, C-225/16, point 58) que, si la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français, prise suite à l'inexécution d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, est exécutoire à compter de sa notification, la durée fixée par cette mesure ne commence à courir qu'à compter de la date à laquelle l'obligation de quitter le territoire français a été exécutée.

3. Aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date des arrêtés en litige : " Lorsque l'étranger justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, l'autorité administrative peut, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, l'autoriser à se maintenir provisoirement sur le territoire français en l'assignant à résidence, dans les cas suivants : (...) 1° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai ou si le délai de départ volontaire qui lui a été accordé est expiré (...) 4° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction de retour ou d'une interdiction de circulation sur le territoire français (...) La décision d'assignation à résidence est motivée. Elle peut être prise pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois dans la même limite de durée, par une décision également motivée. (...) Par exception : a) Dans le cas prévu au 4° du présent article, la décision d'assignation à résidence peut être renouvelée tant que l'interdiction de retour ou l'interdiction de circulation sur le territoire français demeure exécutoire ;(...)".

4. L'article L.561-2 du même code prévoyait que : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger (...) 5° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé ; 6° Doit être reconduit d'office à la frontière en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une interdiction de circulation sur le territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire ; 7° Ayant fait l'objet d'une décision d'assignation à résidence en application des 1° à 6° du présent article ou de placement en rétention administrative en application de l'article L. 551-1, n'a pas déféré à la mesure d'éloignement dont il fait l'objet ou, y ayant déféré, est revenu en France alors que cette mesure est toujours exécutoire.".

5. Il résulte de ces dispositions combinées que l'assignation à résidence, qui a pour objet de permettre la mise à exécution d'une mesure d'éloignement, ne peut être fondée sur une interdiction de retour sur le territoire que lorsque celle-ci a commencé à courir, donc après l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français et le retour irrégulier de l'intéressé.

6. Les décisions d'assignation à résidence attaquées sont fondées

sur l'article L561-1 (4°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors pourtant que le préfet ne vise aucune demande des intéressés. Si en appel le préfet, qui a donc procédé d'office à l'assignation à résidence, invoque la rédaction de l'article L.561-2 et pourrait être regardé comme sollicitant une substitution de base légale, il résulte de ce qui précède que ce fondement ne peut davantage justifier légalement les arrêtés attaqués, dès lors que les décisions portant obligation de quitter le territoire français n'ont pas été exécutées par les intéressés et que par suite les interdictions de retour prises à leur encontre n'ont pas commencé à courir. Dans ces conditions, alors qu'il est constant que le préfet ne pouvait se fonder, dès lors que l'obligation de quitter le territoire français comme d'ailleurs le jugement du tribunal administratif la validant dataient de plus d'un an, sur les dispositions du 5°

de l'article L.561-2, c'est à bon droit que le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de l'erreur de droit pour annuler les arrêtés d'assignation à résidence en litige, fondés seulement sur l'existence d'une interdiction de retour sur le territoire français.

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Amari de Beaufort sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la préfète de l'Ariège est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Amari de Beaufort une somme de 1 200 euros au titre

des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. F... C..., Mme A... B... et Mme D... C.... Copie en sera adressée à la préfète de l'Ariège.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mars 2022.

La présidente-assesseure,

Anne Meyer

La présidente, rapporteure,

Catherine E...

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX04181 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04181
Date de la décision : 24/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-04-01 ÉTRANGERS. - SÉJOUR DES ÉTRANGERS. - RESTRICTIONS APPORTÉES AU SÉJOUR. - ASSIGNATION À RÉSIDENCE. - POSSIBILITÉ DE FONDER UNE ASSIGNATION À RÉSIDENCE SUR UNE INTERDICTION DE RETOUR- ABSENCE LORSQUE L'OBLIGATION DE QUITTER LE TERRITOIRE FRANÇAIS N'A PAS ÉTÉ EXÉCUTÉE.

335-01-04-01 L'assignation à résidence, qui a pour objet de permettre la mise à exécution d'une mesure d'éloignement, ne peut être fondée sur une interdiction du territoire que lorsque celle-ci a commencé à courir, donc après l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français et le retour irrégulier de l'intéressé.


Références :

Comp : Cass Civ 1ère n°20-17.139 du 17 novembre 2021 concernant les rétentions fondées sur une interdiction de retour.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : ATY AVOCATS ASSOCIES AMARI DE BEAUFORT-TERCERO-YEPONDE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-24;21bx04181 ?
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