La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/03/2022 | FRANCE | N°19BX04043

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 24 mars 2022, 19BX04043


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal des pensions de Bordeaux de réformer la décision du 7 mars 2016 par laquelle le ministre de la défense lui a attribué une pension militaire d'invalidité temporaire, avec jouissance du 19 décembre 2014 au 18 décembre 2017, pour l'infirmité d'état de stress post-traumatique, en tant qu'elle a limité le taux d'invalidité

à 30 %.

Par un jugement du 16 mai 2019, le tribunal a porté le taux de cette pension temporaire à 60 %.

Procédure devant la co

ur :

Par une requête enregistrée le 20 juin 2019 et un mémoire enregistré le 22 octobre 2020, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal des pensions de Bordeaux de réformer la décision du 7 mars 2016 par laquelle le ministre de la défense lui a attribué une pension militaire d'invalidité temporaire, avec jouissance du 19 décembre 2014 au 18 décembre 2017, pour l'infirmité d'état de stress post-traumatique, en tant qu'elle a limité le taux d'invalidité

à 30 %.

Par un jugement du 16 mai 2019, le tribunal a porté le taux de cette pension temporaire à 60 %.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 juin 2019 et un mémoire enregistré le 22 octobre 2020, la ministre des armées demande à la cour de réformer ce jugement et de confirmer la décision

du 7 mars 2016.

Elle soutient que :

- suite à la demande de révision de la pension pour aggravation présentée

le 24 juin 2016, une pension au taux de 60 %, temporaire à compter du 24 juin 2016 et définitive à compter du 19 décembre 2017, a été concédée à M. C... par arrêté du 26 août 2019 ; son appel porte sur le jugement qui a retenu un taux d'invalidité de 60 % à compter

du 19 décembre 2014, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et en portant une appréciation erronée sur les éléments médicaux du dossier ;

- les pièces médicales afférentes à la demande initiale du 19 décembre 2014 correspondent à un taux d'invalidité de 30 % ; pour retenir un taux de 60 %, le tribunal s'est fondé sur une expertise qui se réfère à une observation médicale du 3 juin 2016, relative à l'aggravation des troubles postérieurement à la demande ; le taux d'invalidité, qui a été porté

à 60 % à compter du 24 juin 2016, était de 30 % à compter du 19 décembre 2014 ;

- l'expert qui a examiné M. C... le 21 novembre 2015 dans le cadre de l'instruction de la demande de pension a retenu un état d'hyper-vigilance, un comportement phobique, des contacts avec quelques camarades, des troubles du sommeil et du caractère et une certaine exaltation qui l'a conduit à l'interroger quant à un surdosage de Seroplex ; le taux de 30 % qu'il a proposé correspond à un état de stress post-traumatique dont l'intensité des troubles permet à l'intéressé de s'inscrire dans des pratiques personnelles pour lutter contre sa pathologie ; ce taux a été confirmé par les avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité et de la commission consultative médicale.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 septembre 2020, M. C..., représenté par la SELARL MDMH, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de confirmer le taux d'invalidité de 60 % ainsi que le caractère définitif de son droit à pension, et de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi

du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il fait valoir que :

- alors que le fait générateur de l'état de stress post-traumatique remonte aux années 1993, 1994 et 1995, son état s'est aggravé en 2014, nécessitant une hospitalisation de deux mois à compter du 13 mai 2014, et il a été reconnu inapte au service et placé en congé de maladie à partir du 1er août, puis en congé de longue maladie imputable au service ; son état clinique a été médicalement constaté le 19 décembre 2014 ; le rapport d'expertise du 26 novembre 2015 était lacunaire, et le tribunal en a ordonné une nouvelle avec mission pour l'expert de se placer à la date de la demande ;

- il n'a pas présenté de demande d'aggravation, mais une demande de renouvellement de sa pension à l'issue de la première période triennale expirant le 18 décembre 2017, et conteste le taux de 30 % de la pension temporaire initiale ;

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu un taux de 60 %, comme l'a fait l'expert, qui n'a pas tenu compte d'éléments postérieurs à la demande de pension.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision

du 15 octobre 2020.

Par lettre du 22 mars 2022, les parties ont été informées, en application de

l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du non-lieu à statuer sur la période du 24 juin 2016 au 18 décembre 2017, compte tenu de l'arrêté du 26 août 2019 qui a concédé la pension au taux

de 60 % à compter du 24 juin 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Mougin, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., caporal-chef de l'armée de terre, a présenté le 19 décembre 2014 une demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité d'état de stress post-traumatique. Par une décision du 7 mars 2016, le ministre de la défense lui a attribué une première pension temporaire, avec jouissance du 19 décembre 2014 au 18 décembre 2017, pour l'infirmité " Etat de stress post-traumatique. Troubles du sommeil et des conduites, reviviscences fréquentes, nécessité d'une thérapie et d'un traitement ", en lien avec une blessure hors guerre en ex-Yougoslavie. M. C... a contesté cette décision devant le tribunal des pensions de Bordeaux en tant que le taux retenu de 30 % lui semblait insuffisant. Par un jugement du 16 mai 2019 dont la ministre des armées relève appel, le tribunal, après avoir ordonné une expertise, a porté le taux de la pension temporaire à 60 %.

Sur l'étendue du litige :

2. Il ressort des pièces produites en appel que par un arrêté du 26 août 2019 postérieur au jugement attaqué, la ministre des armées a porté le taux de la pension temporaire d'invalidité de M. C... à 60 % à compter du 24 juin 2016 pour l'infirmité aggravée " Etat de stress

post-traumatique associant un syndrome de reviviscence traumatique intense, troubles du caractère avec irritabilité constante et colère, troubles phobiques avec accès d'angoisse plusieurs fois par semaine, hypervigilance permanente sur fond dépressif nécessitant une prise en charge thérapeutique ", et a concédé cette pension au taux de 60 % à titre définitif à compter du 19 décembre 2017. Par suite, l'étendue du présent litige est limitée au taux de la pension temporaire entre le 19 décembre 2014 et le 23 juin 2016, et les conclusions de M. C... tendant à ce que la cour confirme le caractère définitif du droit à pension sont sans objet.

Sur l'appel de la ministre des armées :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. ". Il résulte de ces dispositions que l'évaluation de l'invalidité au titre de laquelle la pension est sollicitée doit être faite à la date de demande de la pension.

4. D'autre part, L. 9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dispose que " (...) / Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 %. (...) Pour l'application du présent article, un décret (...) détermine les règles et barèmes pour la classification des infirmités d'après leur gravité. (...) ". L'article L. 10 précise que " Les degrés de pourcentage d'invalidité figurant aux barèmes prévus par le quatrième alinéa de l'article L. 9 sont : / a) Impératifs, en ce qui concerne les amputations et les exérèses d'organe ; / b) Indicatifs dans les autres cas. / Ils correspondent à l'ensemble des troubles fonctionnels et tiennent compte, quand il y a lieu, de l'atteinte de l'état général. ". Selon le guide barème applicable aux pensions militaires d'invalidité : " L'attribution des pourcentages d'invalidité en matière de troubles psychiques présente d'importantes difficultés de mesure. En général, il est possible de quantifier (par des échelles à intervalles ou ordinales relativement rigoureuses) un degré d'invalidité dans le domaine somatobiologique proprement dit où l'expert s'appuie sur la notion d'intégrité physique (anatomique, physiologique et fonctionnelle). (...). En matière de troubles psychiques, ces pourcentages seront utilisés comme un code. Les éléments de celui-ci constituent une échelle nominale, dont les différents termes reçoivent à la fois une définition précise et explicite, s'appuyant sur des critères simples et généraux définissant le niveau d'altération du fonctionnement existentiel. Dans cette échelle, en pratique expertale, on peut distinguer six niveaux de troubles de fonctionnement décelables, qui seront évalués comme suit : / - absence de troubles décelables : 0 p. 100 ; / - troubles légers : 20 p. 100 ; / - troubles modérés : 40 p. 100 ; / - troubles intenses : 60 p. 100 ; / - troubles très intenses : 80 p. 100 ; / - déstructuration psychique totale avec perte de toute capacité existentielle propre, nécessitant une assistance de la société : 100 p. 100. "

5. L'expert qui a reçu M. C... les 3 et 17 novembre 2015 dans le cadre de l'instruction de la demande présentée le 19 décembre 2014 a constaté un état d'hypervigilance, un comportement phobique avec agoraphobie et évitement de la télévision, des contacts avec quelques camarades dont un a les mêmes symptômes, quelques troubles du sommeil avec des difficultés d'endormissement ainsi que des cauchemars ayant trait aux périodes traumatisantes et une hypersudation, un surinvestissement dans le sport, et des troubles du caractère avec irritabilité. S'il n'a pas relevé d'éléments dépressifs particuliers, il a souligné que M. C... était régulièrement suivi par un psychiatre et prenait un traitement antidépresseur dont la posologie avait été récemment augmentée, et s'est interrogé sur un éventuel surdosage au constat d'une certaine exaltation. M. C... se trouvant alors en congé de maladie depuis

le 1er août 2014, ce premier expert a conclu à l'existence d'un état de stress post-traumatique justifiant la mise en congé de longue maladie et a fixé le taux d'invalidité à 30 %, à réévaluer ultérieurement. Contrairement à ce que soutient la ministre des armées, le second expert, missionné par le tribunal des pensions de Bordeaux afin d'évaluer l'infirmité à la date

du 19 décembre 2014, s'est bien placé à cette date. Il n'a fait brièvement référence au certificat du psychiatre traitant du 3 juin 2016 que pour souligner la continuité des troubles imputables au fait générateur du 3 janvier 1994 à Sarajevo, lorsque M. C... s'est vu mourir gazé " comme dans les tranchées en 1914 ", dans un contexte de guerre où le risque de mort était présent inéluctablement et où il a été confronté à des spectacles horrifiques. Ce second expert, qui a retranscrit et analysé son entretien avec l'intéressé, a indiqué que l'apparence euphorique relevée par son confrère ne correspondait qu'à une attitude de prestance comme le démontre l'examen clinique, et que les symptômes post-traumatiques étaient restés identiques depuis 1996. Il a retenu à la date du 19 décembre 2014 de très importants symptômes post-traumatiques séquellaires en précisant notamment les caractéristiques de l'hypervigilance, du syndrome de répétition (caractérisé non seulement par les cauchemars, mais aussi par des céphalées, des oppressions et une perte des valeurs existentielles) et de l'évitement avec conduite de dérivation. Cette dernière, qui ne se limitait pas à un surinvestissement dans le sport, incluait un éthylisme chronique très marqué pour lequel M. C... avait été hospitalisé à sa demande du 13 mai

au 16 juillet 2014. Ces symptômes, sous-évalués en 2015, ont été à juste titre qualifiés d'intenses et cotés à 60 % comme le recommande le guide-barème.

6. Il résulte de ce qui précède que la ministre des armées n'est pas fondée à contester le droit de M. C... à une pension militaire d'invalidité au taux de 60 % entre

le 19 décembre 2014 et le 23 juin 2016, et que son appel doit être rejeté.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

7. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil

peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à Me Moumni.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur le taux de la pension entre le 24 juin 2016 et le 18 décembre 2017 ni sur les conclusions de M.C... tendant à la confirmation du caractère définitif de la pension.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la ministre des armées est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à Me Moumni une somme de 1 500 euros au titre des dispositions

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi

du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. B... C....

Une copie en sera adressée pour information au docteur D..., expert.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX04043


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04043
Date de la décision : 24/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

48-01 Pensions. - Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL MDMH

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-24;19bx04043 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award