Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 884 337,15 euros, dont 396 869,15 euros en sa qualité d'ayant droit de son père décédé, B... A..., et 487 468 euros en son nom propre, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'absence de dispositions prises par l'Etat afin d'éviter ou minorer les violences perpétrées à leur encontre en Algérie, ainsi que du fait du manquement l'Etat aux droits et libertés fondamentaux dans le traitement qui leur a été réservé à leur arrivée en France, dans des camps, et jusqu'à aujourd'hui.
Par un jugement n° 1705275 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 août 2020, M. A..., représenté par Me Magrini, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 18 juin 2020 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 884 337,15 euros, dont 396 869,15 euros en sa qualité d'ayant droit de son père décédé, B... A..., et 487 468 euros en son nom propre, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'absence de dispositions prises par l'Etat afin d'éviter ou minorer les violences perpétrées à leur encontre en Algérie, ainsi que du fait du manquement de l'Etat aux droits et libertés fondamentaux dans le traitement qui leur a été réservé à leur arrivée en France, dans des camps, et jusqu'à aujourd'hui ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier pour n'être pas suffisamment motivé en ce qui concerne le délai de départ de la prescription quadriennale et en ce qui concerne le caractère non détachable de la conduite des relations entre la France et l'Algérie ;
- si le juge administratif n'est pas compétent pour connaitre des actes de gouvernement, il reste compétent pour réparer les conséquences dommageables de ces actes ;
- les préjudices subis sont continus et la prescription quadriennale ne pouvait donc pas être opposée pour les 4 dernières années ;
- le point de départ du délai de prescription ne saurait être la sortie du camp dès lors qu'il ne maitrisait ni la langue française ni le fonctionnement des institutions républicaines et ce point de départ n'a pu courir qu'à compter de la reconnaissance par l'Etat français de sa responsabilité soit le jugement du tribunal administratif de Cergy du 10 juillet 2014 ;
- ces préjudices doivent donc être indemnisés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2022, la ministre des armées, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que le juge administratif est bien incompétent en ce qui concerne l'acte non détachable des relations avec l'Etat algérien et aucun des moyens n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l'Algérie, dites " accords d'Evian" ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n°2022-229 du 23 février 2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 31 décembre 1953 en Algérie, fils D... B... A..., aujourd'hui décédé, serait arrivé en France avec sa famille en 1962 en qualité d'ancien supplétif de l'armée française. Par un courrier du 7 juillet 2017, il a adressé au Premier ministre une demande tendant à la réparation des préjudices subis par lui-même et par son père. Devant le silence du Premier ministre, M. A... a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 884 337,15 euros en réparation des préjudices subis par lui et par son père. Il relève appel du jugement de ce tribunal du 18 juin 2020 rejetant sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des termes du jugement contesté que les premiers juges ont répondu, de manière suffisamment motivée d'une part, en faisant droit à l'exception de prescription quadriennale opposée par la ministre des armées, en écartant notamment la circonstance invoquée par M. A... selon laquelle ce dernier était dans l'ignorance légitime de sa créance et d'autre part, en rejetant les conclusions indemnitaires relatives aux préjudices liés à l'absence de dispositions prises par la France, après les accords d'Evian, pour protéger en Algérie les harkis et leurs familles. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments avancés par le requérant, n'ont ainsi pas entaché leur jugement d'une insuffisance de motivation. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que ce jugement serait entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, M. A... soutient que la responsabilité de l'Etat doit être engagée du fait de l'absence de dispositions prises par la France, après les accords d'Evian, pour protéger les anciens supplétifs de l'armée française et leurs familles.
4. A l'appui de sa demande de réparation, M. A... met en cause la responsabilité pour faute de l'Etat en soutenant que celle-ci était engagée par le fait de n'avoir pas fait obstacle aux représailles et aux massacres dont les supplétifs de l'armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien, après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie, le 5 juillet 1962, en méconnaissance des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, dites " accords d'Evian ". Cependant, les préjudices ainsi invoqués ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et l'Algérie et ne sauraient engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la faute. Par suite, il n'appartient pas aux juridictions administratives de connaître des conséquences dommageables de ces décisions, choix ou compromis ayant conduit l'Etat français à ne pas intervenir pour mettre fin aux exactions et aux massacres des populations harkis sur le territoire algérien après la signature des accords d'Evian et de surcroît après l'accession à l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962.
5. En second lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". Selon l'article 3 de cette même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés.
6. M. A... met en cause la responsabilité pour faute de l'Etat du fait des conditions d'accueil et de vie qui ont été réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles. Toutefois, M. A..., qui au demeurant ne précise pas la durée et le camp dans lequel il aurait séjourné avec sa famille, doit être regardé comme étant, dès son départ du camp de transit et d'hébergement qui ne peut être postérieur à la date de fermeture de ces camps sur le territoire national en 1976, ou, à la date de sa majorité, en mesure de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles un dommage aurait pu être imputable à l'Etat français du fait des conditions indignes dans lesquelles ils avaient vécu dans ces camps. M. A... ne peut ainsi soutenir avoir été dans l'ignorance de sa créance, dont le point de départ de la prescription ne saurait être la survenance de décisions du juge administratif ayant fait droit à des actions en responsabilité dirigées contre l'Etat par des personnes placées dans des situations similaires à la sienne, de telles décisions juridictionnelles ne constituant pas le fait générateur de la créance dont M. A... demande l'indemnisation. Enfin, si M. A... se prévaut d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence qui seraient continus, de tels préjudices n'existent que lorsque le fait générateur de ce dommage se répète dans le temps, la créance indemnitaire qui se rattache à un préjudice continu devant alors être rattachée à chacune des années au cours desquelles il a été subi. En l'espèce, le fait générateur, à savoir la faute commise par l'Etat du fait des conditions indignes dans lesquelles M. A... et son père ont vécu, a cessé depuis au plus tard 1976. Dès lors, et ainsi que l'a jugé le juge de première instance, la ministre des armées était fondée, dans cette instance, à opposer aux conclusions tendant à l'indemnisation de ces conséquences dommageables, la prescription quadriennale prévue par les dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, sans préjudice de l'application de la loi n°2022-229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.
7. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mars 2022.
La rapporteure,
Fabienne Zuccarello La présidente,
Marianne HardyLa greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02627