Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner l'Etat à lui verser la somme de 401 707 euros en réparation du préjudice que lui ont causé les dysfonctionnements de l'administration maritime dans l'instruction du dossier des autorisations nécessaires à l'exploitation du navire de pêche le " Serious Fishing".
Par un jugement n° 1800374 du 28 juin 2019, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 septembre 2019 et le 18 novembre 2021, M. B..., représenté par l'AARPI Schmitt avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 401 707 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'impossibilité d'exploiter son navire ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en raison de sa motivation insuffisante sur les raisons qui ont conduit les juges à écarter les éléments sur lesquels il se fondait pour démontrer les dysfonctionnements et les fautes de l'administration ;
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, les éléments qu'il produit démontrent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration ;
- la procédure pénale a mis en évidence la réalité des dysfonctionnements administratifs auxquels il a été confronté ;
-l'Etat a commis une faute en lui délivrant le 8 novembre 2012 un permis de navigation illégal en raison de l'incompétence de son signataire et en suspendant ce permis dans l'attente d'une régularisation de sa part, nécessairement impossible ;
- de ce fait il a dû engager de nombreux frais pour obtenir la délivrance de nouvelles autorisations, qu'il détenait pourtant initialement ;
-il a alors été confronté à des délais de traitement anormalement longs et à un défaut d'examen sérieux de son dossier ce qui ne lui a permis d'obtenir un permis de navigation provisoire que plus de dix-sept mois après le permis initial;
- le permis de mise en exploitation ne pouvait être retiré le 20 décembre 2012 dès lors que le permis de navigation était seulement suspendu et que le délai de régularisation de trois mois n'était pas écoulé;
- ces fautes et dysfonctionnements ont eu pour conséquence directe et certaine l'immobilisation de son navire ce qui l'a mis dans l'impossibilité de l'exploiter et d'exercer son activité ;
- la délivrance d'un permis de navigation en juin 2020 démontre que son navire remplissait les conditions de sécurité pour naviguer ;
- la réalité et le montant de son préjudice sont établis par les pièces produites.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 août 2020, le ministre de la mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Me Schmitt pour M. B....
Une note en délibéré présentée pour M. B..., représenté par Me Schmitt avocats a été enregistrée le 3 février 2022.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., pêcheur professionnel alors installé à la Guadeloupe, a fait l'acquisition en 2012 d'un navire, dénommé le " Serious Fishing", pour l'exploiter en tant que navire de pêche. Un permis de navigation lui a été accordé le 8 novembre 2012 par l'administration des affaires maritimes de la Guadeloupe, au vu duquel lui ont été délivrés, le 27 novembre 2012, un permis de mise en exploitation et, le 30 novembre de la même année, un rôle d'équipage. Toutefois, le 6 décembre 2012, le chef du centre de sécurité des navires Antilles-Guyane a pris une décision de suspension du permis de navigation et a invité M. B... à se rapprocher de l'antenne en Guadeloupe du centre de sécurité des navires pour fournir un dossier approprié et faire réaliser une mise en service de son navire. Au vu de cette décision de suspension, le permis de mise en exploitation et le rôle d'équipage du navire ont été retirés par des décisions des 14 et 20 décembre 2012. Après un nouvel examen de son dossier, M. B... a obtenu, le 9 avril 2014, un permis de navigation provisoire valable jusqu'au 8 octobre 2014. Parallèlement, sa demande de permis de mise en exploitation a fait l'objet d'un ajournement pour insuffisance de pièces le 20 janvier 2014 puis d'un rejet. Ses demandes de délivrance d'un rôle d'équipage des 14 janvier 2013 et 2 avril 2014 ont également été rejetées en l'absence de permis de mise en exploitation. Estimant que l'administration avait commis des fautes dans la gestion de son dossier de demande d'autorisations d'exploitation, M. B... a sollicité auprès du tribunal administratif de la Guadeloupe la condamnation de l'Etat à indemniser le préjudice qu'il a subi du fait de l'impossibilité d'exercer son activité. Il relève appel du jugement du 28 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. En se bornant, après avoir rappelé que, dans le cadre d'un non-lieu, la qualification des faits par le juge pénal ne liait pas le tribunal, à relever que la démonstration de l'existence d'une faute de l'administration de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis du requérant n'était pas faite par celui-ci, sans préciser pourquoi les éléments exposés par l'intéressé ne permettaient pas de retenir une telle faute, le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement. Celui-ci doit, par suite, être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de la Guadeloupe.
Sur la responsabilité :
4. En premier lieu, la décision du ministre de la mer a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de M. B... qui s'inscrit dans le cadre d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision de rejet implicite de sa demande indemnitaire du 22 décembre 2017 est inopérant.
5. En deuxième lieu, si le fait pour l'administration d'avoir délivré à M. B... le 6 novembre 2012 un permis de navigation signé par un agent incompétent constitue une faute de nature à engager sa responsabilité, il résulte de l'instruction que l'administration s'est aperçue rapidement de son erreur et a retiré cette décision dès le 6 décembre 2012, dans le délai de quatre mois durant lequel elle a la faculté de procéder au retrait d'une décision créatrice de droits illégale. En outre, cette décision de retrait était également justifiée par le caractère incomplet du dossier de demande déposé par M. B..., en raison de l'absence de production des plans de structure et d'échantillonnage visés par une société de classification habilitée prévue par l'article 130.37 de la division 130 de l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires et à la prévention de la pollution. Ainsi, alors que le requérant ne conteste pas la réalité de ce motif qui était de nature à justifier à lui seul la décision de retrait, la faute résultant de l'incompétence du signataire de la décision du 6 novembre 2012 ne peut être regardée comme étant à l'origine du préjudice invoqué par le requérant lié à l'impossibilité d'exploiter son navire en l'absence des autorisations nécessaires. A cet égard la circonstance qu'il a obtenu en 2020 un permis de navigation, au demeurant dans une autre catégorie, pour ce même navire n'est pas de nature à établir que le dossier déposé en 2012 était complet.
6. En troisième lieu, dès lors que la décision de retrait du permis de navigation faisait clairement état des éléments manquants dans son dossier et l'invitait à déposer un dossier approprié, M. B... ne peut sérieusement soutenir qu'il lui était impossible de régulariser sa situation. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit, il n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les motifs tirés de l'incompétence du signataire et du caractère incomplet de son dossier, qui étaient de nature à justifier la suspension puis le retrait du permis de navigation accordé le 6 novembre 2012. Enfin, l'administration pouvait légalement se fonder sur l'absence de permis de navigation résultant de la décision de suspension du 6 décembre 2012, pour retirer, par la décision du 20 décembre 2012, le permis de mise en exploitation qui lui avait été accordé au vu de ce permis de navigation, quand bien même le délai de régularisation de trois mois qui lui avait été accordé lors de la suspension n'était pas écoulé. De ce fait, les décisions de refus de renouvellement du rôle d'équipage des 14 janvier 2013 et 2 avril 2014 ont pu légalement se fonder sur l'absence de permis de navigation et de permis de mise en exploitation. Le requérant ne saurait donc se prévaloir de l'illégalité fautive de ces décisions.
7. En quatrième lieu, M. B... se prévaut de la faute résultant selon lui de l'irrégularité de la décision de refus du permis de mise en exploitation du fait de l'absence de preuve de l'existence de la réunion de la commission régionale des pêches maritimes et de l'aquaculture marine du 27 novembre 2012. Toutefois, alors que la décision du 27 novembre 2012 lui accordant le permis de mise en exploitation avait été prise au vu de l'avis favorable émis par cette commission lors de cette réunion et que les décisions de retrait puis de refus d'attribution d'un nouveau permis de mise en exploitation ne sont pas fondées sur cet avis, aucun lien de causalité ne peut être retenu entre cette éventuelle irrégularité et le préjudice résultant de l'impossibilité d'exploiter son navire. De même, les frais engagés par M. B... pour faire établir un rapport par la société Véritas ne sont pas la conséquence de la décision irrégulière du 6 novembre 2012 et de son retrait mais résultent de l'application de la réglementation régissant la procédure d'autorisation pour les navires de pêche ainsi que des caractéristiques de son bateau.
8. Enfin, M. B... se prévaut des fautes résultant selon lui des délais de traitement anormalement longs et du défaut d'examen sérieux de son dossier, qui ne lui ont permis d'obtenir un permis de navigation provisoire que plus de dix-sept mois après le permis initial. D'une part, il résulte de l'instruction que la plus grande partie du délai d'un peu plus de seize mois qui s'est écoulé entre le 6 décembre 2012, date de la décision de retrait, et le 9 avril 2014, date de l'attribution d'un permis de navigation provisoire, n'est pas imputable à l'administration. En effet, M. B... n'a déposé son dossier complet auprès de l'administration et de la société Véritas que le 1er février 2013 et l'administration n'a disposé du rapport établi par cette société, préalable indispensable à la visite de contrôle, que le 14 octobre 2014. La visite de contrôle a ensuite été programmée le 21 mars 2015. Ainsi, seul un délai de cinq mois est imputable à l'administration, lequel, au regard de la technicité du dossier, ne peut être qualifié d'anormalement long. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 5, l'administration s'est rendue compte rapidement de l'erreur commise lors de la délivrance du permis de navigation initial. Dans ces conditions, les seules mentions du réquisitoire aux fins de non-lieu du procureur de la République du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, dépourvues de l'autorité de la chose jugée, ne sont pas de nature à caractériser des dysfonctionnements de nature à engager la responsabilité de l'administration. Ainsi, aucune faute ne peut être retenue du fait des conditions d'instruction du dossier de M. B.... Au demeurant, il résulte également de l'instruction que M. B... n'a pas déposé de nouvelles demandes après le refus de permis d'exploitation qui lui a été opposé en mai 2014, et dont il ne conteste pas les motifs, ni après l'expiration de son permis de navigation provisoire en octobre 2014. Ainsi, au-delà de cette date, l'absence d'exploitation résulte de ses propres choix et non des décisions ou du comportement de l'administration.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires de M. B... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. En l'absence de dépens, les conclusions de M. B... tendant à leur paiement ne peuvent qu'être rejetées.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. B....
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 28 juin 2019 est annulé.
Article 2 : La demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de la Guadeloupe et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre de la mer.
Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 mars 2022.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasLa présidente,
Marianne HardyLa greffière,
Stéphanie LarrueLa République mande et ordonne à la ministre de la mer en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX03797 2