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03/03/2022 | FRANCE | N°19BX04884

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 03 mars 2022, 19BX04884


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... et Mme E... G... épouse F... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à leur verser une indemnité

de 89 450 euros, avec intérêts à compter du 30 mars 2018 et capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait du percement du tunnel de la déviation de la route nationale n° 125

à Saint-Béat (Haute-Garonne).

Par un jugement n° 1801581 du 17 octobre 2019, le tribunal a condamné l'Etat à leur verser une indemnité de 28 100 euros av

ec intérêts à compter du 30 mars 2018 et capitalisation

à compter du 30 mars 2019, et a rejeté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... et Mme E... G... épouse F... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à leur verser une indemnité

de 89 450 euros, avec intérêts à compter du 30 mars 2018 et capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait du percement du tunnel de la déviation de la route nationale n° 125

à Saint-Béat (Haute-Garonne).

Par un jugement n° 1801581 du 17 octobre 2019, le tribunal a condamné l'Etat à leur verser une indemnité de 28 100 euros avec intérêts à compter du 30 mars 2018 et capitalisation

à compter du 30 mars 2019, et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 décembre 2019, M. et Mme F..., représentés

par Me Dince, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leur demande ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser une indemnité de 89 450 euros avec intérêts

à compter du 30 mars 2018 et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité de l'Etat du fait des dommages causés à leurs propriétés par les travaux publics de déviation de la route nationale ;

- l'expert a écarté à tort une partie du devis de l'entreprise Gallart Bâtiment au motif que cette entreprise réalise plus de 5 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, alors qu'il s'agit d'une entreprise spécialisée et que son devis réalisé deux ans après les travaux prend en compte la dégradation des murs, et a retenu à tort le devis de M. B..., qui réalise surtout des ouvrages en ferronnerie et des sculptures et n'a pas souscrit de garantie décennale ; les désordres s'aggravant, le montant du préjudice matériel doit être réévalué à 60 000 euros ; c'est à tort que le tribunal a fait application d'un abattement de 20 %, alors que l'expert avait tenu compte de la vétusté dans le chiffrage du préjudice ;

- à partir du 10 janvier 2015, ils ont dû baisser le loyer du n° 256 rue de Langlade

de 600 euros à 350 euros et non à 400 euros, et la maison ne pouvait plus être louée après le départ du locataire le 10 mars 2016 ; ainsi, la perte de loyer s'élève à 3 750 euros du 10 janvier 2015 au 10 avril 2016 et à 13 800 euros du 11 avril 2016 à ce jour, soit au total à 17 550 euros ;

- c'est à tort que l'expert et les premiers juges n'ont pas retenu de perte de revenus locatifs pour la chartreuse dont l'accès se fait soit par le n° 256 qui ne peut plus être loué, soit par le chemin conduisant au cimetière et au château, interdit en raison des travaux ; la perte

de 23 mois de loyers à 300 euros depuis avril 2016 s'élève à 6 900 euros ;

- la somme allouée au titre du préjudice moral est insuffisante et doit être portée

à 5 000 euros car ni l'Etat, ni les sociétés ayant réalisé les travaux publics ne leur ont proposé d'indemnisation, alors qu'ils sont dans l'incapacité financière de réaliser les travaux de réparation de leurs biens et se trouvent privés des revenus de location.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 mai 2021, la ministre de la transition écologique, de la cohésion des territoires et de la mer conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu un coût des travaux de remise en état de 30 000 TTC et ont appliqué un coefficient de vétusté de 20 % ; à titre subsidiaire, si la cour estimait qu'il n'y a pas lieu d'appliquer un coefficient de vétusté, il convient de tenir compte de ce que la crue exceptionnelle de la Garonne en 2013 avait inondé les immeubles situés aux nos 256 et 259 rue de Langlade, ce qui constitue une autre cause possible des désordres ;

- les sommes allouées au titre des pertes de revenus locatifs et du préjudice moral sont suffisantes.

Par ordonnance du 17 mai 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 18 juin 2021.

Un mémoire présenté par la société Guintoli a été enregistré le 3 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme F... sont propriétaires de deux ensembles immobiliers à Saint-Béat (Haute-Garonne). Le premier, situé au n° 256 rue de Langlade, est constitué par une maison de trois niveaux et demi en bordure de route sur la parcelle B n° 442, et par la parcelle B n° 1298 occupée par un jardin et une petite maison dite " chartreuse ". Le second, au n° 259 rue de Langlade, sur les parcelles B nos 437 et 477, est un immeuble de quatre niveaux divisé en quatre logements. Ayant constaté des désordres qu'ils attribuaient à la réalisation des travaux de percement du tunnel de déviation de la route nationale n° 125 réalisés au début de l'année 2014 sous la maîtrise d'ouvrage de l'Etat, M. et Mme F... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse d'une demande d'expertise, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 7 octobre 2016. Dans son rapport daté du 3 octobre 2017, l'expert a conclu que les désordres avaient pour cause des dépassements des seuils absolus de vibrations enregistrés lors de certains tirs de mines nécessaires au creusement de la galerie de secours Nord du tunnel entre avril et mai 2014, et a évalué les préjudices à 33 000 euros, dont 30 000 euros pour les travaux de remise en état et 3 000 euros au titre des pertes de loyers. Estimant cette évaluation insuffisante, M. et Mme F... ont sollicité 65 850 euros dans leur réclamation préalable du 20 novembre 2017, et en l'absence de réponse, ont saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande de condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité de 89 450 euros, avec intérêts à compter du 30 mars 2018 et capitalisation. Ils ont obtenu une provision

de 33 000 euros par ordonnance du juge des référés du 26 novembre 2018. Par un jugement

du 17 octobre 2019, le tribunal a condamné l'Etat à leur verser une indemnité de 28 100 euros, avec intérêts à compter du 30 mars 2018 et capitalisation à compter du 30 mars 2019, a mis les frais d'expertise de 8 908,09 euros à la charge de l'Etat, et a condamné solidairement les sociétés Guintoli, Soletanche Bachy France, Soletanche Bachy Tunnels et Impresa Pizzarotti à garantir l'Etat des condamnations prononcées à son encontre. M. et Mme F... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leur demande indemnitaire.

Sur la responsabilité :

2. L'Etat ne conteste pas sa responsabilité, retenue par les premiers juges à raison

des dommages causés par les travaux publics de déviation de la route nationale n° 125

aux propriétés de M. et Mme F..., qui ont la qualité de tiers.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les travaux de remise en état :

3. La nature des travaux retenus par l'expert, relatifs à la reconstruction de murs de

soutènement, à des reconstitutions de soutènements en pierre, au changement d'un poteau, au scellement d'une douche, à l'habillage de deux linteaux, et à des reconstitutions ou réfections de cloisons, de plafonds et de carrelages, n'est pas contestée. Leur coût a été évalué

à 30 000 euros TTC au regard des deux devis fournis par M. et Mme F.... Contrairement à ce qu'affirment les requérants, l'expert n'a pas écarté une partie du devis de la société Gallart Bâtiment au motif que cette entreprise réalise plus de 5 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, mais s'est borné, en réponse à un dire, à indiquer qu'une moyenne des chiffrages des deux devis ne lui semblait pas envisageable compte tenu de la trop grande différence entre les coûts pratiqués par un artisan et une grande entreprise. En se bornant à affirmer

que l'EURL B..., qui a établi à leur demande l'autre devis détaillé, réaliserait " surtout des ouvrages en ferronnerie et des sculptures " et n'aurait pas souscrit de garantie décennale, les requérants ne démontrent pas que les coûts retenus par l'expert en se référant tantôt à l'un, tantôt à l'autre de ces devis seraient sous-évalués. L'aggravation alléguée des désordres, ayant conduit M. et Mme F... à solliciter au titre des travaux de remise en état une somme de 45 000 euros dans leur demande préalable du 20 novembre 2017 puis de 60 000 euros devant le tribunal, n'est justifiée par aucune preuve. Par suite, les requérants, qui reprennent devant la cour l'argumentation développée devant les premiers juges, ne contestent pas utilement le coût des travaux fixé à 30 000 euros par le tribunal sur la base de l'expertise.

4. Si un huissier missionné par l'Etat a constaté le 23 avril 2013 la présence de fissures dans diverses pièces de la maison du n° 256 rue de Langlade, l'expert a tenu compte de cette vétusté en pratiquant un abattement de 50 % sur les réfections d'un plafond et de cloisons, les autres désordres étant survenus sur des éléments en bon état. Par suite, M. et Mme F... sont fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont appliqué à la somme de 30 000 euros un coefficient de vétusté de 20 % pour limiter à 24 000 euros l'indemnité due au titre des travaux de remise en état. La demande subsidiaire de la ministre de la transition écologique, de la cohésion des territoires et de la mer, tendant au maintien de la réduction de cette indemnité au motif que l'inondation des immeubles nos 256 et 259 rue de Langlade par une crue exceptionnelle de la Garonne en juin 2013 constituerait " une autre cause possible des désordres ", ne peut qu'être rejetée dès lors que l'expert a écarté expressément tout rôle causal de celle-ci dans les désordres en cause, dont il a mis en évidence le lien avec les vibrations excessives générées par quatre à cinq tirs du 11 au 23 avril 2014 sur un terrain de mauvaise qualité.

En ce qui concerne les pertes de loyers :

5. Les premiers juges se sont fondés sur l'expertise pour retenir une diminution de 200 euros par mois du loyer de la maison du n° 256 rue de Langlade, du fait des désordres causés par les travaux publics, pratiquée lorsqu'elle a été relouée en janvier 2015 après le départ en décembre 2014 des précédents locataires entrés dans les lieux en juillet 2013. Si les requérants affirment que cette diminution serait en réalité de 250 euros dès lors que le loyer mensuel de 400 euros à compter de janvier 2015 incluait 50 euros de charges, ils ne démontrent pas que ces dernières, dont ils ne précisent pas la nature, n'auraient pas été incluses dans le loyer de 600 euros figurant au contrat de location antérieur. Le dernier locataire ayant indiqué dans sa lettre de congé du 10 mars 2016 qu'il venait de perdre son emploi, l'existence d'un lien entre son départ et les désordres causés par les travaux publics ne peut être regardée comme établie, de même que l'impossibilité alléguée de relouer la maison depuis avril 2016 dès lors qu'elle a été occupée jusqu'au 11 avril 2016, qu'aucune aggravation des désordres depuis cette date n'est démontrée, et que l'expert a constaté l'absence d'activité de recherche de locataire, pouvant être justifiée par l'attente d'une éventuelle vente d'un bien vide d'occupants.

Par suite, M. et Mme F... ne sont pas fondés à demander le rehaussement de la somme

de 3 100 euros allouée par le tribunal au titre de leurs pertes de revenus locatifs durant quinze mois et demi, de janvier 2015 à mi-avril 2016.

6. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que l'accès à la chartreuse située au fond du jardin de la maison du n° 256 se fait en traversant le bâtiment principal, et que l'existence d'un droit d'accès par le chemin du cimetière appartenant au domaine privé de la commune et fermé depuis le début des travaux publics en litige n'a pas été établie. En se bornant à se prévaloir d'une prétendue impossibilité de relouer le n° 256, les requérants ne démontrent pas qu'une absence d'accès à la chartreuse, laquelle n'a subi aucun désordre et a été louée indépendamment de la maison, en dernier lieu en octobre 2014, serait à l'origine d'une perte de revenus locatifs.

En ce qui concerne le préjudice moral :

7. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation du préjudice moral de M. et Mme F... en leur allouant à ce titre une somme de 1 000 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme F... sont seulement fondés à demander que la somme que l'Etat, solidairement garanti par les sociétés Guintoli, Soletanche Bachy France, Soletanche Bachy Tunnels et Impresa Pizzarotti, a été condamné à leur verser, soit portée de 28 100 euros à 34 100 euros, dont il convient de déduire la provision

de 33 000 euros allouée par ordonnance du juge des référés du 26 novembre 2018. Les intérêts courront à compter du 30 mars 2018 jusqu'au 22 juillet 2019, date de versement de la provision, puis seulement sur le solde de 1 100 euros, et le cas échéant si le jugement du tribunal réduisant le montant alloué a été exécuté, sur le solde à compter de son remboursement. La capitalisation s'appliquera sur les intérêts courus sur la somme de 1 100 euros au 30 mars 2019 et à chaque échéance annuelle ultérieure, et ne sera effectuée pour le surplus que si une période d'au moins une année est constatée après la reprise du cours des intérêts.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que l'Etat, solidairement garanti par les sociétés Guintoli, Soletanche Bachy France, Soletanche Bachy Tunnels et Impresa Pizzarotti, a été condamné à verser

à M. et Mme F... est portée de 28 100 euros à 34 100 euros, dont il convient de déduire

la provision de 33 000 euros allouée par ordonnance du juge des référés du 26 novembre 2018, avec intérêts et capitalisation dans les conditions fixées au point 8.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1801581 du 17 octobre 2019

est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme F... une somme de 1 500 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F... et Mme E... G... épouse F..., à la ministre de la transition écologique, de la cohésion des territoires et de la mer, à la société Guintoli, à la société Soletanche Bachy France, à la société Soletanche Bachy Tunnels et à la société Impresa Pizzarotti. Des copies en seront adressées pour information à M. D..., expert, et au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 8 février 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mars 2022.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX04884


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04884
Date de la décision : 03/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-04 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages créés par l'exécution des travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : DINCE AUDREY

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-03;19bx04884 ?
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