Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2020 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2101835 du 29 juin 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 août 2021, M. A..., représenté par Me Pardoe, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 29 juin 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 22 décembre 2020 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour, ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- cette décision est insuffisamment motivée, et révèle que la préfète n'a pas procédé à l'examen de sa situation, dès lors qu'elle n'a pas pris en compte le rapport du service éducatif ;
- son état civil n'est pas falsifié et sa demande de titre de séjour était recevable ; par ailleurs, il a toujours été considéré comme mineur par l'administration et les autorités judiciaires lors de son arrivée en France ;
- il a fait l'objet d'une prise en charge par l'aide sociale à l'enfance dès son arrivée sur le territoire français ; il s'est inséré professionnellement, et fait preuve d'efforts d'insertion qui sont soulignés par la structure éducative ;
- il a suivi une formation professionnelle qualifiante en CAP Maçon et il bénéficie d'une convention de stage jusqu'au 9 juillet 2021 ;
- la structure éducative en charge de son suivi a émis un avis favorable à l'appui de sa demande de titre de séjour ;
- la préfète a commis une erreur de droit en exigeant une absence totale de liens avec son pays d'origine ; en outre, son père est décédé en 2016, et il n'a que très peu vécu avec sa mère ;
- il ne présente aucune menace pour l'ordre public ;
- les développements de la préfète sur son parcours migratoire ajoutent une condition supplémentaire à l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que son intégration au sein de la société française est réussie, qu'il y vit de manière ininterrompue depuis trois ans et qu'il est dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- les personnes précédant le signataire de la décision dans la chaîne des délégations de signature n'étaient ni empêchées ni absentes à la date à laquelle cette mesure a été prise ;
- cette décision se fonde sur une décision de refus de titre de séjour illégale ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- les personnes précédant le signataire de la décision dans la chaîne des délégations de signature n'étaient ni empêchées ni absentes à la date à laquelle cette mesure a été prise ;
- cette décision se fonde sur une décision portant obligation de quitter le territoire français illégale.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 décembre 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens de M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 29 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Charlotte Isoard,
- et les observations de Me Sirol, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant malien se disant né le 6 novembre 2001, entré sur le territoire français au mois de décembre 2017, a sollicité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par un arrêté du 22 décembre 2020, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer le titre de séjour demandé, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 29 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 décembre 2020.
Sur la légalité de l'arrêté du 22 décembre 2020 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. ".
3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., arrivé en France au mois de décembre 2017, à l'âge de seize ans, a été confié dès le 11 janvier 2018 par une ordonnance de placement provisoire au service d'aide sociale à l'enfance du département de la Gironde, et que ce placement a été renouvelé jusqu'à sa majorité. Par ailleurs, au moment de sa demande de titre de séjour, formulée le 25 septembre 2019, M. A... poursuivait une formation pour l'obtention du certificat d'aptitude professionnelle (CAP) en tant que maçon au lycée technique et professionnel privé Sainte Famille C... à Bordeaux, et a obtenu ce certificat le 9 octobre 2020. En outre, il ressort des différents rapports établis par des cadres
socio-éducatifs de la direction de la protection de l'enfance et de la famille du département de la Gironde que M. A... a fait preuve d'une très grande capacité d'adaptation, qu'il est motivé, volontaire et respectueux des règles et s'adapte avec succès aux valeurs de la République française. Ces rapports le décrivent comme déterminé et persévérant, très impliqué dans sa formation, ainsi que dans le suivi de son projet socio-professionnel. S'il présente des lacunes en langue française, ces rapports indiquent néanmoins qu'il a fait d'importants progrès depuis son arrivée sur le territoire national au mois de décembre 2017, date à laquelle il ne parlait pas du tout cette langue. Enfin, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé ne dispose plus d'attaches dans son pays d'origine dès lors son père est décédé au mois de février 2016, ainsi qu'en atteste le certificat de décès versé au dossier pour la première fois en appel, qu'il n'a plus de contacts avec sa mère depuis la séparation de ses parents, et que les relations avec sa belle-famille étaient très dégradées avant son départ du Mali. Au regard de ces éléments, et dans les circonstances de l'espèce, la préfète de la Gironde a commis une erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation de M. A... en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En second lieu, aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants. ". Le premier alinéa de l'article L. 111-6 du même code alors en vigueur prévoyait que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
7. Dans un rapport technique du 13 janvier 2020, la cellule fraude documentaire et à l'identité de Bordeaux a émis un avis défavorable quant aux documents d'identité produits par M. A... à l'appui de sa demande de titre de séjour. Toutefois, M. A... a versé au dossier un jugement supplétif du 9 novembre 2020, ainsi qu'un acte de naissance et un extrait d'acte de naissance établis à la même date, dont l'authenticité n'est pas contestée par la préfète de la Gironde. Ainsi, le requérant doit être regardé comme présentant des documents justifiant de son état civil et de sa nationalité à l'appui de sa demande de titre de séjour, ainsi que l'exige l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, la préfète ne pouvait donc se fonder sur la méconnaissance de cet article pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. A....
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement du 29 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande et l'annulation de l'arrêté du 22 décembre 2020 de la préfète de la Gironde.
Sur l'injonction :
9. Au regard de ses motifs, et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de droit ou de fait nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose à la demande du requérant une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique que la préfète de la Gironde délivre à M. A... un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " dans un délai de deux mois à compter de sa notification. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Pardoe d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 juin 2019 et l'arrêté de la préfète de la Gironde du 22 décembre 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " dans un délai de deux mois.
Article 3 : L'État versera à Me Pardoe une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur, à la préfète de la Gironde et à Me Maïwenn Pardoe.
Délibéré après l'audience du 20 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 février 2022.
La rapporteure,
Charlotte IsoardLa présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX03483 2