Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I. Sous le n° 1603102, Mme E... G... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier de Libourne à lui verser des provisions
de 700 000 euros en sa qualité de représentante légale de sa fille D... C... et de 30 000 euros au titre de ses préjudices propres.
Par un jugement n° 1603102 du 14 mars 2017, le tribunal a condamné le centre hospitalier à verser à Mme G... des provisions de 200 000 euros en sa qualité de représentante légale de D... et de 15 000 euros au titre de ses préjudices propres.
II. Sous le n° 1603103, Mme G..., M. A... C... et M. F... G..., respectivement père et grand-père de D..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier de Libourne à verser à Mme G... les mêmes provisions de 700 000 euros en qualité de représentante légale de D... et de 30 000 euros au titre de ses préjudices propres, et à verser des provisions de 12 000 euros à M. C... et de 9 000 euros à M. G... au titre de leurs préjudices propres.
Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde a demandé au tribunal de condamner l'établissement hospitalier à lui verser la somme provisionnelle de 45 018,84 euros au titre des débours exposés pour D..., la somme
de 4 548,51 euros au titre des débours actuels exposés pour Mme G..., et de rembourser ses frais futurs à mesure qu'ils seront exposés ou par le versement d'un capital
de 182 356,96 euros.
Par un jugement n° 1603103 du 19 juin 2018, le tribunal a condamné le centre hospitalier à verser à Mme G... les sommes supplémentaires de 190 069 euros
en sa qualité de représentante légale de D... et de 35 000 euros au titre de ses préjudices propres, à verser au représentant légal de D... C..., sur la période du 19 juin 2018 au
10 février 2024, une rente payable par trimestre échu sur la base de 90 euros par jour au titre des frais liés au handicap, à verser les sommes de 10 000 euros à M. C..., de 9 000 euros
à M. G... et de 49 567,35 euros à la CPAM de la Gironde, et à rembourser les frais futurs de la caisse sur présentation de justificatifs dans la limite d'un montant de 182 356,96 euros.
Procédure initiale devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 21 mars 2017 sous le n° 17BX00912 et des mémoires enregistrés les 18 juillet et 10 novembre 2017, le 17 septembre 2018 et le 25 avril 2019,
le centre hospitalier de Libourne, représenté par la SELARL Abeille et Associés, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n°1603102
du 14 mars 2017 ;
2°) d'ordonner une expertise médicale ;
3°) de rejeter les demandes de Mme G... ;
4°) de rejeter les demandes de la CPAM de la Gironde, et à titre subsidiaire de les réduire à de plus justes proportions et de juger que les règlements des frais futurs interviendront à mesure de leur exposition.
Il soutient que :
- l'expertise diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) est lacunaire et n'a pas été contradictoire, en méconnaissance
de l'article L. 1142-12 du code de la santé publique ;
- en l'état, l'existence d'une faute présentant un lien direct et certain avec les dommages subis par D... est à la fois très contestable et formellement contestée au sens des dispositions de l'article L. 541-1 du code de justice administrative ;
- les indemnités provisionnelles demandées par Mme G... sont très excessives ;
- la CPAM ne justifie pas du montant des frais futurs.
Par un mémoire enregistré le 31 mai 2017, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'imputabilité des dommages subis par la jeune D... aux fautes commises par le centre hospitalier de Libourne est totale ;
- les conditions d'engagement de la solidarité nationale ne sont pas remplies.
Par des mémoires en défense enregistrés les 8 juin, 31 mai et 5 octobre 2017,
les 18 juillet et 5 septembre 2018 et le 3 mai 2019, Mme G..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de D..., représentée par Me Raffy, demande à la cour de réformer le jugement attaqué, de condamner le centre hospitalier de Libourne à lui verser une indemnité provisionnelle de 400 000 euros avec intérêts à compter de l'introduction de sa demande devant le tribunal administratif, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Libourne les entiers dépens ainsi que deux sommes de 3 000 euros au titre des frais qu'elle a exposés, respectivement, en première instance et en appel.
Elle fait valoir que :
- le centre hospitalier n'est pas fondé à contester la régularité formelle de l'expertise diligentée par la CCI ;
- le rapport d'expertise n'est pas lacunaire ;
- elle justifie du bien-fondé de ses demandes indemnitaires.
Par des mémoires enregistrés le 10 septembre 2018 et les 27 mars et 21 mai 2019, la CPAM de la Gironde, représentée par la SELARL Bardet et Associés, demande à la cour de condamner le centre hospitalier de Libourne à lui verser les sommes de 126 783,18 euros et
de 6 954,55 euros au titre des débours exposés aux bénéfices respectifs de D... C... et de Mme G..., à lui rembourser ses débours futurs à mesure qu'elle les aura exposés ou à lui verser un capital représentatif de 178 118,33 euros, le tout avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, et de mettre à la charge du centre hospitalier les sommes de 1 080 euros
au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, de 1 013 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de 13 euros au titre des droits de plaidoirie.
Elle soutient que :
- le centre hospitalier est entièrement responsable des dommages subis par ses assurées ;
- elle justifie du montant et de l'imputabilité de ses débours.
II. Par une requête enregistrée le 30 août 2018 sous le n° 18BX03314 et des mémoires enregistrés les 31 janvier et 3 mai 2019, Mme G..., agissant en son nom propre
et en qualité de représentante légale de D..., M. C... et M. G..., représentés
par Me Raffy, demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1603103 du 19 juin 2018 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Libourne à leur verser les sommes provisionnelles de 700 000 euros au bénéfice de D..., de 30 000 euros à Mme G...,
de 12 000 euros à M. C... et de 9 000 euros à M. G..., avec intérêts à compter de la demande préalable ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Libourne les entiers dépens ainsi que deux sommes de 4 000 euros au titre des frais exposés par Mme G... en première instance et en appel, et deux sommes de 1 500 euros chacun au titre des frais exposés par M. C...
et par M. G... en première instance et en appel.
Ils soutiennent que :
- il existe un lien de causalité direct et certain entre la faute commise par le centre hospitalier et leurs préjudices ;
- ils justifient de la réalité et du montant de leurs préjudices.
Par des mémoires en défense enregistrés les 19 novembre 2018 et 25 avril 2019, le centre hospitalier de Libourne, représenté par la SELARL Abeille et Associés, demande à la cour d'annuler le jugement attaqué, d'ordonner une expertise médicale, de rejeter les demandes des consorts G... et C..., ou à titre subsidiaire de les réduire à de plus justes proportions et de faire application d'un taux de perte de chance, de rejeter les demandes de la CPAM de la Gironde, ou à titre subsidiaire de les réduire à de plus justes proportions et de juger que les règlements des frais futurs interviendront à mesure de leur exposition, et de mettre à la charge des consorts G... et C... et de la CPAM de la Gironde une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- l'expertise diligentée par la CCI est lacunaire et n'a pas été contradictoire, en méconnaissance de l'article L. 1142-12 du code de la santé publique ;
- en l'état, l'existence d'une faute présentant un lien direct et certain avec les dommages subis par D... n'est pas établie ;
- les indemnités provisionnelles demandées par les appelants sont excessives et ne tiennent pas compte d'un taux de perte de chance ;
- la CPAM ne justifie pas du montant des frais futurs dont elle se prévaut.
Par un mémoire enregistré le 6 décembre 2018, l'ONIAM, représenté par
la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut aux mêmes fins que dans l'instance n° 17BX00912, par les mêmes moyens.
Par des mémoires, enregistrés les 27 mars et 21 mai 2019, la CPAM de la Gironde, représentée par la SELARL Bardet et Associés, conclut aux mêmes fins que dans l'instance n° 17BX00912, par les mêmes moyens.
III. Par une requête enregistrée le 31 août 2018 sous le n° 18BX03325 et un mémoire enregistré le 25 avril 2019, le centre hospitalier de Libourne, représenté par la SELARL Abeille et Associés, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1603103
du 19 juin 2018 ;
2°) d'ordonner une expertise médicale ;
3°) de rejeter les demandes des consorts G... et C..., ou à titre subsidiaire
de les réduire à de plus justes proportions et de faire application d'un taux de perte de chance ;
4°) de rejeter les demandes de la CPAM de la Gironde, ou à titre subsidiaire de les réduire à de plus justes proportions et de juger que les règlements des frais futurs interviendront à mesure de leur exposition ;
5°) de mettre à la charge des consorts G... et C... et de la CPAM de la Gironde une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ses écritures sont identiques à celles présentées dans l'instance n° 17BX00912.
Par des mémoires enregistrés le 19 octobre 2018 et les 25 mars
et 3 mai 2019, Mme G..., M. C... et M. G... concluent aux même fins que dans l'instance n° 18BX03314, par les mêmes moyens.
Par un mémoire enregistré le 6 décembre 2018, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut aux mêmes fins que dans l'instance n° 17BX00912, par les mêmes moyens.
Par des mémoires, enregistrés les 27 mars et 21 mai 2019, la CPAM de la Gironde, représentée par la SELARL Bardet et Associés, conclut aux mêmes fins que dans l'instance n° 17BX00912, par les mêmes moyens.
Par un arrêt nos 17BX00912, 18BX03314, 18BX03325 du 25 juin 2019, la cour a réformé les jugements du tribunal administratif de Bordeaux nos 1603102 du 14 mars 2017
et 1603103 du 19 juin 2018 en condamnant le centre hospitalier de Libourne à verser
à Mme G... des provisions de 538 480 euros en sa qualité de représentante légale
de D... et de 25 000 euros au titre de ses préjudices propres, à verser respectivement
à M. C... et à M. G... des provisions de 5 000 euros et 4 500 euros, et à rembourser à la CPAM de la Gironde la somme de 66 868,86 euros ainsi que ses frais futurs à mesure de leur exposition, avec application d'un taux de perte de chance de 50 %.
Par une décision n° 433863 du 27 mai 2021, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi présenté par Mme G..., M. C... et M. G..., a annulé cet arrêt en tant seulement qu'il retient un taux horaire de 13 euros pour évaluer le préjudice relatif au besoin d'assistance par une tierce personne et qu'il statue sur l'indemnisation des frais exposés pour la construction d'un logement adapté, et a renvoyé l'affaire à la cour dans cette mesure.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par des mémoires enregistrés les 20 juillet et 27 octobre 2021, Mme G..., agissant en qualité de représentante légale de D..., représentée par Me Raffy, demande
à la cour :
1°) de condamner le centre hospitalier de Libourne à lui verser une provision de 1 200 000 euros, déduction faite des provisions d'ores et déjà perçues, avec intérêts à compter du 18 juillet 2016 ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Libourne une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne l'assistance par une tierce personne :
- D... est entièrement dépendante de son entourage, présente des troubles du sommeil importants et se manifeste durant la nuit pour boire ; depuis plusieurs années, la présence simultanée de deux personnes est nécessaire pour la manipuler (habillage, déshabillage, douche, installation au fauteuil, mise au lit...) ; selon l'étude réalisée par l'association Handeo qui réunit plusieurs associations et fédérations du secteur du handicap, les coûts horaires des services à la personne en situation de handicap se situaient entre 22,40 et 24,40 euros en 2013 ; l'étude de mai 2016 réalisée à la demande de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et de la Direction générale de la cohésion sociale conclut à un coût horaire moyen
de 24,24 euros ; la grille tarifaire utilisée par les compagnies d'assurance prévoit des taux horaires variant de 26,55 euros à plus de 50 euros de l'heure pour des prestations d'entretien de la maison ; le coût horaire de l'aide dont bénéficie D... est de 24 euros en semaine et 36 euros le week-end, soit une moyenne de 27 euros ; le très lourd handicap de D..., qui
ne peut effectuer aucune démarche, nécessite un service prestataire unique ; comme l'a jugé la cour dans son arrêt du 25 juin 2019 qui n'a pas été annulé sur ce point, la déduction
de l'allocation de l'enfant handicapé et de la prestation de compensation du handicap ne se justifie pas compte tenu de l'application d'un taux de perte de chance ; sur la base d'un taux horaire moyen de 27 euros, de 24 heures par jour et d'une année de 412 jours, l'indemnité
due entre le 10 février 2009 (âge de 3 ans) et le 10 février 2024 (âge de 18 ans) s'élèverait
à 2 136 771,67 euros après application du taux de 50 % ;
En ce qui concerne la construction d'un logement adapté :
- le logement actuel, en location, ne peut être adapté au handicap ; en 2017, elle n'est pas parvenue à louer une maison adaptée au motif que sa candidature ne satisfaisait pas aux critères de l'assurance " loyers impayés ", et elle a été placée en invalidité le 29 janvier 2018, de sorte qu'elle ne pourra jamais accéder à la location d'un logement adapté ; les provisions obtenues devant la juridiction administrative lui ont permis d'acquérir un terrain pour un coût de 94 300 euros, un permis de construire lui a été accordé le 31 janvier 2019, et le montant des travaux est estimé à environ 480 000 euros ; la construction a été interrompue faute de financement après le paiement de factures pour un montant d'environ 225 000 euros.
Par lettre enregistrée le 2 août 2021, la CPAM de la Gironde indique à la cour qu'elle ne présentera pas de mémoire dès lors que la cassation partielle prononcée ne concerne pas ses droits.
Par des mémoires en défense enregistrés les 9 août, 22 octobre et 18 novembre 2021, le centre hospitalier de Libourne, représenté par la SELARL Abeille et Associés, conclut à titre principal au rejet de la demande de provision complémentaire de Mme G..., à titre subsidiaire à ce que la somme demandée soit réduite dans de très importantes proportions et à ce
qu'une expertise soit ordonnée afin de déterminer les surcoûts de la construction d'une maison imposés par le handicap, et au rejet des conclusions relatives aux intérêts et à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
En ce qui concerne l'assistance par une tierce personne :
- Mme G... ne peut prétendre à une indemnisation sur la base de 24 heures par jour dès lors que l'annulation prononcée par le Conseil d'Etat ne porte pas sur les 16 heures par jour retenues par la cour, mais seulement sur les modalités de détermination du taux horaire ; la demande de 27 euros par heure est manifestement excessive ; selon l'étude locale qu'il a fait réaliser, le coût horaire d'intervention se situe entre 19,26 et 24,23 euros, soit une moyenne de 21,74 euros qui dans un cadre subsidiaire pourrait être retenue ; en outre les prises en charge à hauteur de 50 % par les organismes sociaux devront venir en déduction des sommes qui pourront être allouées ;
En ce qui concerne la construction d'un logement adapté :
- s'il n'est pas contesté que le logement actuel en location ne peut être adapté au handicap, le refus opposé à Mme G... pour une autre location au motif qu'elle ne remplissait pas les conditions pour l'assurance des loyers impayés ne saurait justifier l'impossibilité totale d'accéder à un logement locatif, d'autant que la loi du 11 février 2005 impose désormais un aménagement adapté pour les logements neufs affectés à la location ou à la vente, ce qui augmente les chances de trouver un logement adapté en location ; l'acquisition d'un terrain de 3 500 m² et la construction d'une maison de 200 m² constituerait un enrichissement sans cause ;
- à titre subsidiaire, il conviendrait d'ordonner une expertise afin de déterminer les coûts effectivement imposés par le manquement qui lui est reproché.
Par lettre enregistrée le 8 décembre 2021, la mutuelle Ociane Matmut demande à la cour de déclarer opposable l'arrêt qui sera rendu par la cour.
Par lettre du 18 janvier 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office :
- l'irrecevabilité de la demande de provision à valoir sur la réparation des préjudices de D... en tant qu'elle excède le montant de 700 000 euros sollicité en première instance, alors que les préjudices invoqués ne se sont pas aggravés depuis le jugement, et n'ont pas davantage été révélés dans toute leur ampleur depuis cette date ;
- l'irrecevabilité de l'intervention de la mutuelle Ociane Matmut, qui est nouvelle en appel et n'a pas été présentée par un avocat, ni au moyen de l'application informatique prévue par les dispositions de l'article R. 414-1 du code de justice administrative.
Des observations ont été présentées pour Mme G... le 21 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Raffy, représentant Mme G... et de Me Del Risco, représentant le centre hospitalier de Libourne.
Considérant ce qui suit :
1. Par des jugements n° 1603102 du 14 mars 2017 et n° 1603103 du 19 juin 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le centre hospitalier de Libourne à verser à Mme G... des provisions d'un montant total de 390 069 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices de sa fille D... C..., atteinte d'une infirmité motrice cérébrale sévère en lien avec les conditions de sa naissance dans cet établissement le 10 février 2006. Par un arrêt
du 25 juin 2019, la cour, saisie d'appels à l'encontre de ces deux jugements, a limité la part de responsabilité du centre hospitalier de Libourne à 50 %, a condamné cet établissement à verser une indemnité provisionnelle de 538 480 euros à Mme G... en sa qualité de représentante légale de D..., incluant 428 480 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne
et 110 000 euros au titre des préjudices extra-patrimoniaux, ainsi que d'autres provisions aux proches de l'enfant au titre de leurs préjudices propres, et a rejeté le surplus des demandes des consorts G... et C..., notamment celle relative à la construction d'un logement adapté. Par une décision n° 433863 du 27 mai 2021, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant qu'il a retenu un taux horaire de 13 euros pour évaluer le préjudice relatif au besoin d'assistance par une tierce personne, et en tant qu'il a statué sur l'indemnisation des frais exposés pour la construction d'un logement adapté, et a renvoyé l'affaire à la cour dans cette mesure. Dans le dernier état de ses écritures, Mme G... demande à la cour de condamner le centre hospitalier de Libourne à lui verser une provision de 1 200 000 euros à valoir sur la réparation des préjudices de D..., déduction faite des provisions d'ores et déjà perçues.
Sur la demande de provision :
2. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle.
3. Mme G... a sollicité en première instance une provision de 700 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices de D... jusqu'au 10 février 2024, date de la majorité de cette dernière. Elle était alors en mesure d'évaluer les besoins relatifs à l'assistance d'une tierce personne et à la construction d'un logement nécessités par le handicap de sa fille. Ces préjudices ne se sont pas aggravés, et n'ont pas davantage été révélés dans toute leur ampleur depuis les jugements dont elle relève appel. Par suite, sa demande de condamnation du centre hospitalier de Libourne à lui verser une provision de 1 200 000 euros, nouvelle en appel en tant qu'elle excède le montant de 700 000 euros, y compris les provisions versées en exécution des jugements du tribunal administratif des 14 mars 2017 et 19 juin 2018 et de l'arrêt de la cour du 25 juin 2019, est irrecevable dans cette mesure.
En ce qui concerne les frais d'assistance par une tierce personne :
4. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.
5. L'arrêt de la cour du 25 juin 2019 est devenu définitif en tant qu'il a fixé à 16 heures par jour en moyenne le besoin d'assistance par une tierce personne à partir de l'âge de trois ans, y compris la surveillance nécessaire la nuit et compte tenu de la prise en charge institutionnelle le matin de trois à six ans puis " à la journée ", ainsi que de l'aide spécialisée existante à raison de 1 heure 30 par jour. Il résulte de l'instruction que D..., totalement dépendante, a besoin d'une aide spécialisée telle qu'en proposent les services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) agréés, à des tarifs horaires moyens variant, selon une étude Handéo de 2013, de 22,40 à 24,40 euros en 2012, alors qu'une étude de 2016 pilotée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et l'Etat, réalisée sur 44 SAAD répartis sur 10 départements avait retrouvé en 2013 un tarif moyen de 21,14 à 25,79 euros pour 50 % de l'échantillon, et que l'étude que le centre hospitalier de Libourne a fait réaliser en septembre 2021 par un ergothérapeute dans un rayon de 20 km du domicile de Mme G... fait apparaître des tarifs de 23,61 à 25,46 euros, l'unique prestataire proposant des services à 19,29 euros par heure n'intervenant pas la nuit. Par suite, en retenant un tarif horaire moyen de 22 euros correspondant à un minimum sur la période de 15 ans au titre de laquelle la provision est demandée, le coût de l'assistance d'une tierce personne durant 16 heures par jour entre le 10 février 2009 et le 10 février 2024 (5 478 jours) ne saurait être inférieur à 1 928 256 euros, dont 50 % à la charge de l'hôpital, soit 964 128 euros.
6. En vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des
victimes des dommages dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de
l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais
d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par
ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même
que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un
recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. La déduction n'a toutefois pas lieu
d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation
d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune. Ces règles rappelées ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime. Par suite, lorsque la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.
7. Il résulte de l'instruction que le cumul de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et de la prestation de compensation du handicap perçues et à percevoir par Mme G... sur l'ensemble de la période du 10 février 2009 au 10 février 2024 est inférieur à 964 128 euros. Par suite, il n'y a lieu de déduire aucune somme au titre de cette allocation et de cette prestation.
En ce qui concerne les frais liés à l'adaptation du logement :
8. Mme G... justifie, par les pièces produites, de l'inadaptation au handicap de D... du logement qu'elle occupe en location, ainsi que de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de louer une maison adaptée du fait de l'insuffisance de ses ressources. La circonstance, invoquée par le centre hospitalier, que la loi du 11 février 2005 impose désormais un aménagement adapté pour les logements neufs affectés à la location ou à la vente, n'est pas de nature à caractériser une possibilité effective d'accession à une location correspondant aux besoins de D.... Dans ces circonstances, la décision de construction d'une maison prise par Mme G..., qui a obtenu un permis de construire par arrêté du 31 janvier 2019, doit être regardée comme imposée par le handicap de D... et ouvre droit à une indemnisation. Toutefois, la somme non sérieusement contestable due par le centre hospitalier au titre de l'assistance par une tierce personne étant déjà supérieure à la provision demandée en première instance pour l'ensemble des préjudices de D..., il n'y a pas lieu, dans le cadre de la présente instance, d'ordonner une expertise afin de déterminer le coût de la superficie de la construction et de ses aménagements effectivement en lien avec le handicap, sur lequel les parties pourraient au demeurant s'accorder amiablement, le cas échéant avec l'aide d'un médiateur.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité provisionnelle que le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le centre hospitalier de Libourne à verser à Mme G... au titre des préjudices de D... doit être portée à 700 000 euros, sous déduction des sommes déjà versées, et que les conclusions présentées au-delà de cette somme ne peuvent être accueillies dans la présente instance.
Sur les intérêts :
10. Mme G... est fondée à demander que la provision allouée par le présent arrêt soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2016, date de réception de sa demande préalable par le centre hospitalier de Libourne.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Libourne une somme de 2 000 euros à verser à Mme G... au titre
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions de la mutuelle Ociane Matmut :
12. Une mutuelle ayant été mise à même de faire valoir ses droits devant le tribunal administratif mais ayant omis de demander en temps utile le remboursement des frais exposés antérieurement au jugement de ce tribunal n'est plus recevable à le demander devant le juge d'appel. Par suite, la mutuelle Ociane Matmut, qui a été appelée en cause par les premiers juges et n'est pas intervenue, n'est pas recevable à demander pour la première fois en appel, au demeurant après renvoi par le Conseil d'Etat dans la seule mesure exposée au point 1,
le remboursement des frais dont elle produit la liste, à supposer que tel soit l'objet de sa demande du 3 décembre 2021 tendant à ce que l'arrêt de la cour lui soit déclaré opposable. Au surplus, son intervention est également irrecevable en tant qu'elle n'a été présentée ni par un avocat, ni par l'application informatique prévue par les dispositions de l'article R. 414-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'indemnité provisionnelle que le centre hospitalier de Libourne a été condamné
à verser à Mme G... en sa qualité de représentante légale de D... C... est portée
à 700 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2016, dont devront être déduites les sommes déjà versées.
Article 2 : Les jugements du tribunal administratif de Bordeaux n° 1603102 du 14 mars 2017
et n° 1603103 du 19 juin 2018 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier de Libourne versera à Mme G... une somme
de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... G..., au centre hospitalier de Libourne, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, à la mutuelle Ociane Matmut et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 février 2022.
La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX02237