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17/02/2022 | FRANCE | N°19BX02811

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 17 février 2022, 19BX02811


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D..., M. C... B..., et la société Géminga ont demandé au tribunal administratif de Saint-Martin de condamner la Semsamar à leur verser les indemnités respectives de 742 934 euros et de 4 250 000 euros au titre, d'une part, de la valeur marchande du fonds de commerce, d'autre part, au titre du matériel et des investissements acquis, en réparation du préjudice que leur a causé le refus de renouvellement du bail commercial et d'assortir ces indemnités des intérêts au taux légal à compter du 29 m

ai 2015, date de leur mise en demeure.

Par un jugement n° 1800006 du 30 avr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D..., M. C... B..., et la société Géminga ont demandé au tribunal administratif de Saint-Martin de condamner la Semsamar à leur verser les indemnités respectives de 742 934 euros et de 4 250 000 euros au titre, d'une part, de la valeur marchande du fonds de commerce, d'autre part, au titre du matériel et des investissements acquis, en réparation du préjudice que leur a causé le refus de renouvellement du bail commercial et d'assortir ces indemnités des intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2015, date de leur mise en demeure.

Par un jugement n° 1800006 du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 3 juillet 2019, le 23 janvier 2020, le 29 décembre 2020, le 29 janvier 2021 et le 26 février 2021, M. D..., M. B..., et la société Géminga, représentés par Me Cornille, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Saint-Martin du 30 avril 2019 ;

2°) à titre principal, de condamner in solidum, la Semsamar et la collectivité de Saint-Martin à verser à M. D..., M. B... et à la société Géminga la somme de 4 992 934 euros en réparation de leurs préjudices ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la collectivité de Saint-Martin à verser à M. D..., M. B... et à la société Géminga la somme de 2 912 065,32 euros, à parfaire, au titre des dépenses d'investissement et d'aménagement réalisés par eux en pure perte pour l'exploitation du chantier naval sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;

4°) de mettre à la charge de la Semsamar et de la collectivité de Saint-Martin la somme de 10 000 euros à verser à M. D..., M. B... et à la société Géminga en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier car les notes en délibéré qui contenaient des éléments sur lesquels le tribunal s'est fondé, n'ont pas été communiquées ;

- la Semsamar n'était pas délégataire de service public sur les parcelles en cause qui ont été exondées et n'étaient pas incluses dans le périmètre de la délégation ; aussi la juridiction administrative est incompétente pour connaitre de ce litige ;

- la Semsamar, ayant contracté avec eux en qualité de propriétaire des biens fonciers loués et non en qualité de gestionnaire du domaine public loué, sa responsabilité l'oblige à réparer le préjudice causé et à les indemniser sur le fondement de la faute commise en concluant illégalement un bail commercial sur le domaine public, lequel n'a pas été renouvelé ;

- ils sont fondés à réclamer une indemnité d'éviction calculée à partir de l'évaluation du fonds de commerce perdu, sur la base des trois dernières années du chiffre d'affaires et des investissements réalisés sur le site, soit des indemnités qui peuvent être chiffrées à 742 934 euros au titre de la valeur marchande du fonds et à 4 250 000 euros s'agissant du matériel et des investissements.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 janvier 2020, le 29 décembre 2020, le 27 janvier 2021 et le 24 février 2021, la collectivité de Saint-Martin, représentée par Me Benjamin, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que la Semsamar la garantisse des condamnations prononcées à son égard et à ce que les requérants lui versent la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les conclusions de la requête en ce qu'elles sont dirigées contre elle sont irrecevables car nouvelles en appel et n'ont pas été précédées d'une demande d'indemnisation préalable, que les créances sont prescrites et qu'aucun des moyens n'est fondé.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 novembre 2020, le 1er février 2021 et le 26 février 2021, la Semsamar, représentée par Me Menage, conclut au rejet de la requête à ce que les requérants lui versent la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la requête est irrecevable pour n'avoir pas été précédée d'une demande préalable d'indemnisation, pour défaut d'intérêt à agir des requérants et qu'aucun des moyens n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me Cornille, représentant M. D... et autres, de Me Menage, représentant la société Semsamar et de Me Samin, représentant la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin.

Considérant ce qui suit :

1. En 1987, à la suite de la défaillance de la SCI La Royale alors concessionnaire de la Marina Port la Royale, la collectivité de Saint-Martin a confié à la Semsamar, société d'économie mixte, la concession portuaire. M. D... et M. B... ont conclu en 1996 avec la Semsamar un bail verbal locatif à usage commercial pour l'utilisation d'une vaste parcelle de terrain d'une superficie approximative de 13 240 m², située d'une part en bordure du lagon de Marigot à Saint-Martin et d'autre part le long de la route départementale 208 à hauteur de l'ancien musée des Arawaks. Le 7 avril 2006 la Semsamar et la société Géminga, constituée entre M. D... et M. B..., ont conclu un bail commercial de neuf années portant sur une surface augmentée à 14 720 m² pour l'exercice de " toute activité liée au nautisme et à la mer " commençant à courir le 15 avril 2006 pour se terminer le 15 avril 2015. Le 19 janvier 2015, la Semsamar a opposé un refus à la demande de renouvellement du bail de la société Géminga. Le 29 mai 2015, M. D..., M. B... et la société Géminga ont assigné la Semsamar devant le tribunal de grande instance de Basse-Terre en lui demandant de condamner cette dernière au paiement d'une indemnité d'éviction. Mais par une ordonnance du 26 mai 2016, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Basse-Terre a déclaré l'incompétence du juge judiciaire pour connaître du litige, et par un arrêt du 15 mars 2018, la cour d'appel de Basse-Terre a confirmé ce jugement. M. D..., M. B... et la société Géminga ont saisi le tribunal administratif de Saint-Martin d'une demande tendant à la condamnation de la Semsamar à les indemniser du préjudice subi du fait de ce refus de renouvellement du bail. Ils relèvent appel du jugement du 30 avril 2019 par lequel ce tribunal a rejeté leur demande.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Les requérants font valoir que les parcelles, sur lesquelles le bail commercial dont ils ont bénéficié a été conclu, n'étaient pas incluses dans le périmètre de la concession, relevaient du domaine privé de la collectivité et qu'ainsi le litige doit être regardé comme étant relatif à un contrat de droit privé relevant de la juridiction judiciaire, laquelle s'est à tort déclarée incompétente.

3. Aux termes de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires (...) ".

4. D'une part, en ce qui concerne la qualification des terres en cause, il ressort des pièces du dossier, et notamment des photographies anciennes produites, que les parcelles occupées par les requérants et sur lesquelles portent le bail commercial dont le renouvellement a été refusé par la Semsamar, sont toutes issues de terrains exondés. Si les requérants soutiennent que certaines des parcelles seraient incluses dans le domaine privé de la collectivité dès lors qu'elles sont comprises dans les " cinquante pas géométriques ", cette allégation est contredite par la photographie aérienne datant de 1969 qui démontre qu'à cette date, aucune des parcelles en cause n'existait. Or les travaux de remblaiement exécutés sur le domaine public maritime n'ont pas, par eux-mêmes, eu pour effet de détacher du domaine public naturel les surfaces concernées, pour les rattacher à la réserve dite des " cinquante pas géométriques ", ni, par suite, de faire entrer ces surfaces dans le domaine privé d'une collectivité. En outre, il ne ressort pas des pièces et il n'est pas allégué que l'appartenance de ces terrains au domaine public aurait fait l'objet d'une modification. Par suite, les parcelles en cause appartiennent nécessairement au domaine public s'agissant de terres exondées.

5. D'autre part, en ce qui concerne la qualité de concessionnaire du signataire du bail, il ressort des pièces du dossier, qu'à la date du bail en cause le 7 avril 2006, la Semsamar était concessionnaire du port de plaisance en remplacement de la SCI Port Royale et s'était vue concéder la gestion, l'entretien et l'exploitation du port de plaisance et du chenal d'accès. Par suite, en accordant aux requérants l'autorisation d'occuper une parcelle du domaine public, constituée des matériaux issus de travaux de dragages réalisés dans le cadre de la mission de service public de la Semsamar, par elle-même ou par des tiers, et alors que cette parcelle est affectée au port de plaisance, en vue de l'installation d'une activité de chantier naval, la Semsamar a nécessairement agi en qualité de concessionnaire du domaine portuaire, quand bien même les terrains en cause n'étaient pas matériellement inclus dans le périmètre de cette délégation, compte tenu de leur création postérieure à l'acte portant concession.

6. Il résulte de ce qui précède, que le litige qui oppose les requérants à la Semsamar, doit être regardé comme portant sur un contrat comportant occupation du domaine public, conclu par le concessionnaire d'une personne publique et relève, en application de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, de la juridiction administrative.

Sur la régularité du jugement :

7. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ".

8. Il ressort des pièces du dossier de première instance que deux notes en délibéré ont été produites par la Semsamar et par la collectivité de Saint-Martin et qu'elles ont été visées dans le jugement sans être communiquées aux requérants. Le tribunal ne s'est pas fondé dans les motifs de son jugement, sur des éléments de droit ou de fait qui n'auraient été contenus que dans ces notes en délibéré et que les requérants n'auraient pas eu la possibilité de discuter. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal aurait méconnu le caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle en ne leur communiquant pas ces deux productions.

Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre la collectivité de Saint-Martin :

9. La demande de M. D..., M. B... et la société Géminga devant le tribunal administratif de Saint-Martin était exclusivement dirigée contre la Semsamar. Les conclusions à l'encontre de la collectivité de Saint-Martin sont présentées pour la première fois en appel. Elles ne sont, par suite, pas recevables.

Sur la responsabilité de la Semsamar :

10. Il résulte de l'instruction que la Semsamar a conclu avec les requérants un " bail commercial " sur des parcelles appartenant au domaine public ainsi qu'il a été dit au point 4.

11. Toutefois, en raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l'autorité gestionnaire du domaine public conclut un " bail commercial " pour l'exploitation d'un bien sur le domaine public ou laisse croire à l'exploitant de ce bien qu'il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l'ensemble des dépenses dont il justifie qu'elles n'ont été exposées que dans la perspective d'une exploitation dans le cadre d'un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu'a commise l'autorité gestionnaire du domaine public en l'induisant en erreur sur l'étendue de ses droits.

12. Eu égard à ce qui vient d'être dit ci-dessus, les requérants devaient dont être regardés comme détenant une autorisation d'occupation du domaine public et non un bail commercial. Il résulte également de l'instruction, que les requérants, qui avaient obtenu en 1996 une autorisation d'occupation du domaine public, qui avaient une parfaite connaissance de la nature du domaine public en cause et qui depuis 2002 avaient demandé à plusieurs reprises le renouvellement de l'autorisation d'occuper le domaine public, à l'Etat, à la commune puis à la collectivité de Saint-Martin, ne pouvaient ignorer l'impossibilité d'obtenir un bail commercial sur ces terres, compte tenu des termes des courriers adressés à la collectivité ou à l'Etat, et compte tenu du contenu des réponses qui leur ont été faites quant à la nature de domaine public des terres en cause gérées par le concessionnaire. Dès lors, si la Semsamar a commis une faute en signant un contrat intitulé " bail commercial " dans lequel elle se désigne à tort comme étant propriétaire des parcelles, il résulte cependant de l'instruction, que les requérants n'ont pas été induit en erreur et n'ont pas pu raisonnablement croire qu'ils occupaient ces terrains dans les conditions prévues par la législation sur les baux commerciaux. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, en signant le contrat en cause, les requérants qui n'ignoraient pas être seulement titulaires d'une autorisation d'occupation du domaine public, ont commis une faute qui est de nature à exonérer totalement la Semsamar de sa responsabilité.

14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, que les requérants ne sont pas fondés à se plaindre, de ce que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté leur demande.

Sur les frais liés à l'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Semsamar et de la collectivité de Saint-Martin, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que demande les requérants au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme de 1 500 euros qu'ils verseront à la Semsamar et à la collectivité de Saint-Martin.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D..., M. B... et la société Géminga est rejetée.

Article 2 : M. D..., M. B... et la société Géminga verseront la somme de 1 500 euros à la collectivité de Saint-Martin et la somme de 1 500 euros à la Semsamar.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., M. C... B... et la société Géminga, à la collectivité de Saint-Martin et à la Semsamar.

Délibéré après l'audience du 20 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 février 2022.

La rapporteure,

Fabienne Zuccarello La présidente,

Marianne Hardy

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au préfet de Saint-Martin, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX02811


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX02811
Date de la décision : 17/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04-02 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Responsabilité et illégalité. - Illégalité n'engageant pas la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Fabienne ZUCCARELLO
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SCP CORNILLE - POUYANNE-FOUCHET

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-02-17;19bx02811 ?
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