La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/02/2022 | FRANCE | N°19BX03946

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 03 février 2022, 19BX03946


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal des pensions militaires de Toulouse d'annuler la décision du 4 décembre 2017 par laquelle la ministre des armées a refusé de faire droit à sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité " psycho-syndrome post-traumatique ".

Par un jugement n°18/00006 du 2 juillet 2019, le tribunal des pensions militaires de Toulouse a annulé la décision de la ministre des armées du 4 décembre 2017 et a enjoint à la ministre des arm

ées de liquider la pension d'invalidité de M. B... au taux de 60 % à compter du 1er...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal des pensions militaires de Toulouse d'annuler la décision du 4 décembre 2017 par laquelle la ministre des armées a refusé de faire droit à sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité " psycho-syndrome post-traumatique ".

Par un jugement n°18/00006 du 2 juillet 2019, le tribunal des pensions militaires de Toulouse a annulé la décision de la ministre des armées du 4 décembre 2017 et a enjoint à la ministre des armées de liquider la pension d'invalidité de M. B... au taux de 60 % à compter du 1er septembre 2016.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2019, la ministre des armées a demandé à la cour régionale des pensions militaires de Toulouse :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a porté au taux de 60 % la pension militaire d'invalidité de M. B... initialement concédée au taux de 20 % ;

2°) de ramener le taux de cette pension à 30 %.

Elle soutient qu'au regard des signes cliniques décrits par les experts, l'aggravation du syndrome de M. B... ne saurait excéder 10 %, et que le tribunal a fixé le taux d'invalidité résultant de l'aggravation de manière arbitraire, en débit des éléments médicaux versés au dossier.

Par un acte de transmission des dossiers, en application des dispositions du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, la cour administrative d'appel de Bordeaux a été saisie de la requête de la ministre des armées, enregistrée sous le n° 19BX03946.

Par des mémoires, enregistrés les 16 janvier, 2 juillet et 4 août 2020, la ministre des armées conclut aux mêmes fins que sa requête.

Elle soutient en outre que :

- il convient en l'espèce de déterminer si l'état de santé de M. B... justifie, à la date de sa demande, qu'une pension au taux de 60 % lui soit octroyée ; les avis médicaux convergent sur une évaluation de ce taux à 30 %, sans qualifier d'intenses les troubles présentés par

M. B... ;

- ni les compétences, ni l'impartialité du tribunal ne sont remises en cause ; il est seulement reproché au tribunal d'avoir procédé à une évaluation médicale sans se référer aux pièces médicales du dossier ;

- le rapport établi le 5 juin 2020 par un psychiatre, produit par M. B..., a été établi pour les besoins de la cause et ne se prononce pas sur l'état de santé de M. B... à la date

de sa demande de révision du 1er septembre 2016.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 juin et 21 juillet 2020, M. B..., représenté par Me Maumont, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'État d'une somme de 3 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration appelante accuse les premiers juges de subjectivité ; la composition du tribunal était pourtant conforme aux dispositions alors en vigueur, et le tribunal, dont le jugement est motivé, n'a pas failli à sa mission ;

- l'expertise ordonnée par le tribunal constate une aggravation très importante de son syndrome, en soulignant qu'elle lui rend impossible toute vie normale et en qualifiant son syndrome post-traumatique de grave ; la description faite par l'expert n'est pas en cohérence avec le taux qu'il propose ; le tribunal a ainsi estimé à juste titre que l'infirmité présentait un caractère intense, justifiant un taux d'invalidité de 60 % selon le guide barème ;

- il produit un rapport établi par un psychiatre qui confirme l'ampleur de l'aggravation de son syndrome post-traumatique en se plaçant dans le contexte de la demande ; selon ce rapport, il présente de nombreux symptômes qui le rendent inadaptable à la vie quotidienne ; il a perdu tout élan vital, ainsi que toute aptitude à participer à des opérations extérieures ; il a été contraint de modifier son suivi médical et de rompre le lien de confiance noué avec le psychiatre qui le suivait en raison de la peur générée par l'emprunt d'un moyen de transport ferroviaire ; sa compagne a attesté de la gravité de son syndrome, de son impact sur leur quotidien et de l'aggravation constatée depuis la fin de l'année 2015.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision

du 16 janvier 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Maumont, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... s'est engagé dans l'armée de terre à partir du 1er février 2005 et détient le grade de sergent-chef depuis le 1er octobre 2016. Par un arrêté du 7 septembre 2009, il s'est vu octroyer une pension militaire d'invalidité au taux de 20 % pour un psycho-syndrome

post-traumatique consécutif à sa participation, le 18 août 2008, à l'opération militaire menée en riposte à l'embuscade d'Uzbin, en Afghanistan. Par une décision du 4 décembre 2017, la ministre des armées a refusé de faire droit à sa demande de révision de sa pension présentée

le 1er septembre 2016 pour aggravation de son psycho-syndrome post-traumatique. Par un jugement du 2 juillet 2019, le tribunal des pensions militaires de Toulouse, après avoir ordonné avant-dire droit une expertise médicale dont le rapport a été remis le 31 mars 2019, a estimé que le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité pensionnée était supérieur de 40 points par

rapport au pourcentage antérieur. Le tribunal a en conséquence annulé la décision de refus de révision du 4 décembre 2017 et ordonné à la ministre des armées de liquider la pension d'invalidité de M. B... au taux de 60 % à compter du 1er septembre 2016. La ministre des armées relève appel de ce jugement en tant qu'il a retenu un taux d'invalidité de 60 %, et demande à la cour de ramener ce taux à 30 %.

2. Aux termes de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable : " La pension prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme (...). / L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande ". Il résulte de ces dispositions que c'est à cette date qu'il faut se placer pour évaluer le taux des infirmités à raison desquelles la pension ou sa révision est demandée. Aux termes du premier alinéa de

l'article L. 29 du même code, alors applicable : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 p 100 au moins au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ".

3. Aux termes de l'article L. 9 de ce même code : " (...) / Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 %. (...) Pour l'application du présent article, un décret (...) détermine les règles et barèmes pour la classification des infirmités d'après leur gravité. (...) ". L'article L. 10 précise que " Les degrés de pourcentage d'invalidité figurant aux barèmes prévus par le quatrième alinéa de l'article L. 9 sont : / a) Impératifs, en ce qui concerne les amputations et les exérèses d'organe ; / b) Indicatifs dans les autres cas. / Ils correspondent à l'ensemble des troubles fonctionnels et tiennent compte, quand il y a lieu, de l'atteinte de l'état général. ". Selon le guide barème annexé au décret du 10 janvier 1992 : " L'attribution des pourcentages d'invalidité en matière de troubles psychiques présente d'importantes difficultés de mesure. En général, il est possible de quantifier (par des échelles à intervalles ou ordinales relativement rigoureuses) un degré d'invalidité dans le domaine somatobiologique proprement dit où l'expert s'appuie sur la notion d'intégrité physique (anatomique, physiologique et fonctionnelle). (...). En matière de troubles psychiques, ces pourcentages seront utilisés comme un code. Les éléments de celui-ci constituent une échelle nominale, dont les différents termes reçoivent à la fois une définition précise et explicite, s'appuyant sur des critères simples et généraux définissant le niveau d'altération du fonctionnement existentiel. Dans cette échelle, en pratique expertale, on peut distinguer six niveaux de troubles de fonctionnement décelables, qui seront évalués comme suit : absence de troubles décelables : 0 p. 100; troubles légers : 20 p. 100; troubles modérés : 40 p. 100; troubles intenses : 60 p. 100; troubles très intenses : 80 p. 100; déstructuration psychique totale avec perte de toute capacité existentielle propre, nécessitant une assistance de la société : 100 p. 100 ".

4. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise psychiatrique diligentée par l'administration dans le cadre de la demande de M. B... de révision de sa pension pour aggravation, que le psycho-syndrome post-traumatique présenté par l'intéressé et initialement pensionné au taux de 20 % s'est aggravé à partir de l'année 2012, à la suite des attentats commis à Toulouse, et de nouveau depuis la fin de l'année 2015, à la suite de la vague d'attentats commis en région parisienne. Cette expertise, dont le rapport a été rédigé le 7 janvier 2017, décrit un sentiment d'impuissance et de culpabilité, une fascination de l'intéressé pour l'évènement traumatique à l'origine de son syndrome, des reviviscences dont la fréquence est estimée à une fois tous les 15 jours, des difficultés d'endormissement et des cauchemars environ une fois par mois, le développement d'une hypervigilance et d'une réactivité aux bruits et à certains détails, une irritabilité et une agressivité ainsi qu'un repli sur soi et des difficultés dans le contact générant des tensions au sein de son couple. L'expert précise que M. B... a repris un suivi thérapeutique à raison d'une consultation par mois et prend un traitement antidépresseur à raison d'un comprimé chaque soir, et estime que l'infirmité résultant du syndrome

post-traumatique peut être évaluée, du fait de cette aggravation, au taux de 30 %, lequel correspond à des troubles légers à modérés suivant les orientations précitées du guide barème.

5. L'expertise ordonnée avant-dire droit par le tribunal des pensions militaires de Toulouse, dont le rapport a été remis le 31 mars 2019, décrit une symptomatologie nettement plus prononcée, qualifiant l'aggravation du syndrome post-traumatique dont M. B... est atteint de " dramatique " en raison de son " obsession " pour l'embuscade d'Uzbin, avec un effondrement de sa vie familiale, professionnelle et sociale, des cauchemars deux à trois fois par nuit, une angoisse et une réminiscence permanentes et des idées suicidaires. Cependant, cette expertise, établie le 31 mars 2019, relève que la symptomatologie de M. B... s'est progressivement aggravée depuis 2016 et en particulier depuis la naissance de son fils en 2017 puis au moment de la commémoration des dix ans de l'embuscade d'Uzbin en 2018, et décrit l'état de l'intéressé " à ce jour ", et non pas à la date du 1er septembre 2016 de sa demande de révision. Or, l'évolution du degré d'invalidité s'apprécie à la date du dépôt de la demande de révision de la pension, laquelle lie le contentieux ultérieur. De même, si M. B... produit devant la cour un rapport établi par un psychiatre le 12 mars 2020 selon lequel le syndrome

post-traumatique est désormais d'une " intensité sévère ", cette analyse médicale décrit l'état actuel de l'intéressé, auquel il appartient, s'il s'y croit fondé, de présenter à ce titre une nouvelle demande.

6. Dans ces conditions, compte tenu des éléments retenus par l'expertise psychiatrique du 7 janvier 2017, les troubles présentés par M. B... à la date du 1er septembre 2016 doivent être qualifiés entre modérés et intenses au sens des orientations précitées du guide barème. Le pourcentage d'invalidité en résultant doit en conséquence être fixé à 50 % à la date de la demande de révision de M. B.... Si ce supplément d'invalidité de 30 % ouvre droit à

M. B... à une révision de sa pension pour aggravation, la ministre est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal lui a enjoint de liquider la pension d'invalidité de M. B... au taux de 60 % à compter du 1er septembre 2016, et à demander, dans cette mesure, la réformation du jugement.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est enjoint à la ministre des armées de liquider la pension d'invalidité de

M. B... au taux de 50 % à compter du 1er septembre 2016.

Article 2 : Le jugement n°19/00006 du 2 juillet 2019 du tribunal des pensions militaires de Toulouse est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2022.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX03946


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03946
Date de la décision : 03/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

48-01 Pensions. - Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL MDMH

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-02-03;19bx03946 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award