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30/12/2021 | FRANCE | N°19BX02979

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 30 décembre 2021, 19BX02979


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C..., M. E... D..., M. A... F..., la société C Cube LLC ont demandé au tribunal administratif de Saint-Martin de dire et juger que la société exploitation Saint-Martin aéroport (SESMA), délégataire de service public, a engagé sa responsabilité par l'insuffisance de ses installations et a ainsi contribué à l'aggravation des dégâts matériels subis par leurs avions stationnés sur l'aéroport de Grand-Case lors de l'ouragan Gonzalo du 14 octobre 2014, de condamner la SESMA à leur payer, avec in

térêt légal à compter de la première mise en demeure, diverses sommes représenta...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C..., M. E... D..., M. A... F..., la société C Cube LLC ont demandé au tribunal administratif de Saint-Martin de dire et juger que la société exploitation Saint-Martin aéroport (SESMA), délégataire de service public, a engagé sa responsabilité par l'insuffisance de ses installations et a ainsi contribué à l'aggravation des dégâts matériels subis par leurs avions stationnés sur l'aéroport de Grand-Case lors de l'ouragan Gonzalo du 14 octobre 2014, de condamner la SESMA à leur payer, avec intérêt légal à compter de la première mise en demeure, diverses sommes représentant la destruction de quatre aéronefs, le remboursement des frais de grutage, la réparation des préjudices de jouissance et ceux subis du fait de la résistance abusive, l'indemnisation de la perte d'exploitation ainsi que la somme de 3 000 euros à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1700042 du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, des pièces et des mémoires, enregistrés les 4 août 2019, 8 août 2019, 15 décembre 2020 et 28 février 2021, M. C..., M. D..., M. F... et la société C Cube LLC, représentés par Me Chiche-Maizener, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Saint-Martin du 30 avril 2019 ;

2°) de condamner la Société Edeis Aéroport Saint Martin, venant aux droits de la SESMA, délégataire de service public, à les indemniser des préjudices qu'ils ont subis, avec intérêt légal à compter de la mise en demeure du 24 mars 2015, soit les sommes correspondant à la contrevaleur en euro au jour du prononcé de la décision de :

- 60 000,00, 150 000,00, 60 000,00 et 125 000,00 US dollars au titre de la destruction des aéronefs immatriculés N8716N, N1ONZ, N800SP et N5008A,

- 5 000 euros chacun au titre des différents frais notamment de grutage,

- 25 000 euros chacun au titre des dommages intérêts pour préjudice de jouissance et préjudice moral,

- 267 631 US dollars en réparation de la perte d'exploitation et 38 233 US dollars pour indemniser la perte de revenu annuel à la société C CUBE LLC,

- 245 952 US dollars en réparation de la perte d'exploitation et 35 136 US dollars pour indemniser la perte de revenu annuel à M. C... ;

3°) de mettre à la charge de la société Edeis Aéroport Saint Martin, venant aux droits de la SESMA, la somme de 3 500 euros à chacun des requérants en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 624 euros relatifs aux frais de traduction.

Ils soutiennent que :

- la SESMA est responsable contractuellement en raison du contrat d'abonnement des requérants soit par une interprétation du contrat en faveur de l'usager conformément aux règles applicables aux contrats d'adhésion, soit par une interprétation aux risques et périls de l'usager en raison des règles applicables aux contrats de location ;

- la SESMA est responsable en qualité de délégataire, au titre de ses obligations de service public en raison de l'inexécution des clauses ayant un caractère règlementaire, en raison du défaut d'entretien normal et vices de construction de l'aire de stationnement, en raison du manquement de l'exploitant de l'aéroport à ses obligations de sécurité, en raison du manquement à ses obligations de construction et d'entretien de l'ouvrage public ;

- la SESMA est responsable des dommages causés par l'ouvrage public et ne peut s'exonérer de cette responsabilité ;

- leur préjudices s'élèvent, pour l'indemnisation de valeur des avions détruits à, 60 000 USD pour l'aéronef immatriculé N8716N de M. C..., 150 000 USD pour l'aéronef immatriculé N10NZ de M. F..., 60 000 USD pour l'aéronef de M. D... et 125 000 USD pour l'aéronef N5008A de M. D... représentant de la société C CUBE LLC, chaque somme devant être réglées avec intérêt légal à compter de la mise en demeure du 24 mars 2015 en contrevaleur en euros ;

- leurs préjudices liés au frais de grutage s'élèvent à 5 000 euros chacun ;

- leurs préjudices liés à la perte d'exploitation s'élèvent à, 245 952 USD s'agissant de M. C..., 267 631 USD s'agissant de M. D... représentant de la société C CUBE LLC ;

- leurs préjudices de jouissance et moral s'élèvent à 25 000 euros chacun.

Par un mémoire en défense et des pièces complémentaires, enregistrés les 28 octobre 2020 et 29 janvier 2021, la SESMA, représentée par Me Guijarro, demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal administratif de Saint-Martin, de rejeter l'ensemble des demandes requérants et de les condamner solidairement à verser la somme de 4 000 euros à la SESMA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'aviation civile ;

- le code des transports ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me Chiche-Maizener, représentant les requérants et de Me Guijarro, représentant la SESMA.

Considérant ce qui suit :

1. Depuis le 1er avril 2011, la Société d'exploitation Saint-Martin Aéroport (SESMA) s'est vue confier par le conseil territorial de Saint-Martin la gestion de l'aéroport de Grand-Case par le biais d'une convention de délégation de service public relatif à l'extension, la rénovation et la gestion de l'aéroport sous la forme d'une concession. Dans la nuit du 13 au 14 octobre 2014, le passage de l'ouragan Gonzalo a eu pour conséquence la destruction de quatre aéronefs stationnant à l'air libre dans l'enceinte de l'aéroport immatriculés N8716N, N10NZ, N800SP et N5008A appartenant respectivement à M. C..., M. D..., M. F... et la société C Cube LLC. Par un courrier du 24 mars 2015, renouvelé le 4 mai 2015, les requérants ont mis en demeure la SESMA de leur régler la somme totale de 390 000 USD correspondant à la valeur des aéronefs détruits, en considérant que leur dommage résultait de l'absence de toute mesure adéquate de conservation et de prévention de la part de l'aéroport. La SESMA a rejeté leur demande d'indemnisation par un courrier du 23 juin 2015. Par une ordonnance du 3 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Basse-Terre s'est déclaré incompétent pour connaitre de ce litige. M. B... C..., M. E... D..., M. A... F..., la société C Cube LLC, ont demandé au tribunal administratif de Saint-Martin de condamner la SESMA à leur verser respectivement les sommes de 81 123,23 USD, 150 000 USD, 60 000 USD et 125 000 USD au titre de la destruction de leurs aéronefs, la somme de 5 000 euros chacun au titre des différents frais notamment de grutage, la somme de 25 000 euros chacun au titre de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance, la somme de 10 000 euros chacun au titre de la résistance abusive de la SESMA, et les sommes de 225 000 USD et 105 408 USD à la société C Cube LLC et à M. C... au titre des pertes d'exploitation. Par un jugement n° 1700042 du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté leur demande. M. C..., M. D..., M. F... et la société C Cube LLC relèvent appel de ce jugement.

Sur le principe de la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : " Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au service (...) ". Aux termes de l'article L. 2111-16 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le domaine public aéronautique est constitué des biens immobiliers appartenant à une personne publique mentionnée à l'article L. 1 et affectés aux besoins de la circulation aérienne publique. Il comprend notamment les emprises des aérodromes et les installations nécessaires pour les besoins de la sécurité de la circulation aérienne situées en dehors de ces emprises ". Selon l'article L. 2331-1 du même code : " Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires (...) ". En outre, les contrats conclus par une personne morale de droit privé délégataire de service public, avec des tiers en vue d'une occupation du domaine public sur lequel elle exerce sa mission de service public sont des contrats administratifs. Enfin aux termes de l'article 12 de l'arrêté du 22 juillet 1959 relatif aux conditions d'établissements et de perception des redevances de stationnement des aéronefs sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique : " La perception de la redevance de stationnement n'implique pas pour l'exploitant de l'aérodrome, ou le ministre chargé de l'aviation civile et commerciale, la charge de la garde, de la conservation et des frais et risques d'amarrage des aéronefs en stationnement ".

3. Pour demander la condamnation de la SESMA à les indemniser de leurs préjudices, les requérants invoquent d'une part la responsabilité contractuelle du concessionnaire à leur égard, d'autre part le défaut d'entretien de l'ouvrage public et enfin la faute commise par la SESMA du fait du non-respect de ses obligations de service public résultant de la concession.

4. En premier lieu, le contrat d'abonnement " atterrissage, stationnement " conclut entre les requérants et la SESMA, et au titre duquel ils versent une redevance, a pour seul objet de les autoriser à occuper le domaine public aéroportuaire notamment pour y stationner. Ainsi, si les requérants soutiennent que l'accident qui a endommagé leurs aéronefs, à l'occasion du passage de l'ouragan Gonzalo, trouve son origine dans l'insuffisance des installations de l'ouvrage public aéroportuaire et dans sa surveillance, il résulte de l'instruction que le contrat d'abonnement en cause ne comporte aucune obligation particulière, dans la garde et la conservation des aéronefs stationnés sur le domaine public, à la charge du concessionnaire. Par suite, la responsabilité de la SESMA ne peut, en tout état de cause, être engagée sur le fondement contractuel.

5. En deuxième lieu, il appartient à l'usager, victime d'un dommage survenu du fait d'un ouvrage public, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre cet ouvrage et le dommage dont il se plaint. La personne en charge de l'ouvrage public doit alors, pour s'exonérer de sa responsabilité, établir que celui-ci faisait l'objet d'un entretien normal ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à la force majeure. Il est constant que la SESMA est chargée de la gestion et de l'entretien des aires de stationnement de l'aéroport de Saint-Martin, lesquelles constituent des ouvrages publics à l'égard desquels les requérants ont la qualité d'usagers.

6. Il résulte de l'instruction, que les dommages causés aux aéronefs des requérants ont pour seule origine les fortes rafales de vent qui se sont abattues sur l'île de Saint-Martin les 13 et 14 octobre 2014 lors du passage de l'ouragan Gonzalo. S'il est constant que les aires de stationnement des aéronefs ne comportaient pas d'amarrage au sol ni de hangar, l'absence de tels dispositifs ne saurait constituer un défaut d'entretien de l'ouvrage public, dès lors que lesdites aires de stationnement ont seulement pour vocation d'accueillir les aéronefs mais non d'en assurer la conservation ou la garde. Par suite la responsabilité de la SESMA ne peut être engagée sur ce fondement.

7. En troisième lieu, les requérants soutiennent que les dommages dont ils demandent réparation résulteraient du non-respect par la SESMA de ses obligations de délégataire du service public aéroportuaire, et notamment de ses obligations en matière de sécurité. Toutefois, d'une part il ressort de la convention de Chicago du 7 décembre 1944 relative à l'aviation civile internationale que les normes adoptées par l'organisation de l'aviation civile internationale, compte tenu de leur nature et notamment des possibilités de dérogations qu'elles comportent, constituent des recommandations s'adressant aux Etats et ne peuvent être invoquées utilement par les requérants. D'autre part, en se bornant à invoquer le plan d'urgence de l'aérodrome de Grand Case, l'arrêté du 19 avril 2011 relatif à la mise en place d'un système de gestion de la sécurité par les exploitants d'aérodrome et une circulaire du 10 novembre 1999, les requérants ne démontrent pas le lien entre l'éventuelle insuffisance des documents de planification en matière d'urgence et de sécurité, et les dommages dont ils demandent la réparation qui résultent du seul passage de l'ouragan Gonzalo et qui ne sont pas dûs à un élément dont le gestionnaire aurait eu la garde et qui serait venu percuter les aéronefs ou aurait contribué à leur envol. Enfin, il appartenait à l'exploitant de l'aéroport de fermer l'accès à l'aéroport dès le 13 octobre 2014, conformément aux prescriptions des autorités de l'Etat qui avaient imposées le confinement de la population à partir de 14h, afin de sécuriser les installations et de protéger les personnes dès lors qu'il n'était pas en mesure d'empêcher le passage de l'ouragan. Au demeurant il ne résulte pas de l'instruction que le 13 octobre 2014 entre 11h52, heure à laquelle les autorités préfectorales ont placé l'île en vigilance rouge et 12h, heure à laquelle la SESMA a décidé la fermeture totale de l'aéroport, les requérants auraient été en capacité de déplacer leurs aéronefs vers un site sécurisé. Par suite, la responsabilité de la SESMA ne peut davantage être engagée sur le terrain de la faute.

8. Il résulte de tout ce qui précède, que M. C..., de M. D..., de M. F... et de la société C Cube LLC, ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté leur demande.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SESMA, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent les requérants au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme de 1 500 euros à la SESMA au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C..., de M. D..., de M. F... et de la société C Cube LLC est rejetée.

Article 2 : M. C..., M. D..., M. F... et la société C Cube LLC verseront la somme totale de 1 500 euros à la Société Edeis Aéroport Saint Martin, venant aux droits de la SESMA, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à M. E... D..., à M. A... F... à la société C Cube LLC et à la Société Edeis Aéroport Saint Martin, venant aux droits de la SESMA.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Fabienne Zuccarello, présidente,

Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 décembre 2021.

La présidente,

Fabienne ZuccarelloL'assesseure la plus ancienne,

Christelle Brouard-Lucas

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX02979 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX02979
Date de la décision : 30/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme ZUCCARELLO
Rapporteur ?: Mme Fabienne ZUCCARELLO
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SELARL CHEVRIER AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-30;19bx02979 ?
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