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17/12/2021 | FRANCE | N°19BX03833

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 17 décembre 2021, 19BX03833


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 2 octobre 2019, 22 février 2021, 5 mars 2021 et 9 avril 2021, la société Parc Eolien de Cellefrouin, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 6 août 2019 par lequel la préfète de la Charente a refusé de faire droit à sa demande tendant à la délivrance d'une autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien sur la commune de Cellefrouin ;

2)° de lui délivrer l'autorisation d'exploiter sollicitée ;

3°)

à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète de la Charente de lui délivrer l'autorisation soll...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 2 octobre 2019, 22 février 2021, 5 mars 2021 et 9 avril 2021, la société Parc Eolien de Cellefrouin, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 6 août 2019 par lequel la préfète de la Charente a refusé de faire droit à sa demande tendant à la délivrance d'une autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien sur la commune de Cellefrouin ;

2)° de lui délivrer l'autorisation d'exploiter sollicitée ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète de la Charente de lui délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre à la préfète de la Charente de prendre une décision sur la demande d'autorisation dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat et de chacun des intervenants la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les intervenants n'ont pas intérêt à intervenir ; leurs arguments manquent en fait et en droit ;

- la décision attaquée est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 511-1 et L. 512-1 du code de l'environnement ; le projet ne portera pas atteinte à l'avifaune, aux chiroptères et au paysage proche ; il ne présente pas davantage de nuisances sonores.

Par des mémoires en intervention enregistrés les 18 mars 2020 et 24 mars 2021 et un mémoire en production de pièces enregistré le 27 janvier 2021, l'association Sonnette D'Alarme, Mme B... E..., Mme A... F... et Mme D... C..., représentés par Me Cadro, demandent à la cour de rejeter la requête de la société Parc Eolien de Cellefrouin. Elles font valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention enregistré le 12 août 2020 l'association La Demeure Historique, représentée par Me Callon, demande à la cour de rejeter la requête de la société Parc Eolien de Cellefrouin. Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 février 2021, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Nicolas Normand,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,

- et les observations de Me Durand, représentant la société Parc Eolien de Cellefrouin, et les observations de Me Cadro, représentant l'association Sonnette D'Alarme, Mme B... E..., Mme A... F... et Mme D... C....

Une note en délibéré, présentée par l'association Sonnette D'Alarme, Mme B... E..., Mme A... F... et Mme D... C... a été enregistrée le 8 décembre 2021.

Une note en délibéré présentée par la société Parc Eolien de Cellefrouin a été enregistrée le 13 décembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Le 26 septembre 2017, la société Parc éolien de Cellefrouin a présenté une demande en vue d'obtenir l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent, regroupant 4 aérogénérateurs, d'une puissance unitaire de 3,6 MW, d'une hauteur de 180 mètres en bout de pâle, avec de 2 postes de livraison, sur le territoire de la commune de Cellefrouin (Charente). Une enquête publique s'est déroulée du 20 septembre au 22 octobre 2018 à l'issue de laquelle le commissaire enquêteur émettait un avis défavorable au projet le 4 décembre 2018. Par un arrêté du 6 août 2019 dont la société Parc Eolien Cellefrouin demande l'annulation, la préfète de la Charente a refusé de faire droit à sa demande.

Sur les interventions :

2. Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.

3. L'association Sonnette D'Alarme a pour but la défense de l'environnement et de l'urbanisme dans les communes de la vallée du Son-Sonnette et de ses affluents, au nombre desquelles figure la commune de Cellefrouin. Dès lors, eu égard aux intérêts qu'elle se donne pour mission de défendre et au ressort géographique de son action, au cœur duquel se situe le projet d'implantation du site éolien en litige, cette association justifie d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien des conclusions en défense, même postérieures, présentées, par l'Etat. Ainsi l'intervention collective de cette association et de Mme B... E..., Mme A... F... et Mme D... C... est recevable.

4. L'association La Demeure Historique, reconnue d'utilité publique par décret du 29 janvier 1965, a été agréée pour la protection de l'environnement dans le cadre national au titre de l'article L. 141-1 du code de l'environnement par arrêté du 11 avril 2016. Aux termes de ses statuts, elle a pour objet d'œuvrer pour la défense et la sauvegarde du patrimoine architectural, historique, artistique et naturel, ses abords et plus largement tout ce qui concerne la protection des perspectives et des paysages. Dans ses conditions cette association justifie d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien des conclusions en défense, même postérieures, présentées par l'Etat.

Sur la légalité du refus d'autorisation d'exploiter :

5. En premier lieu, par l'arrêté attaqué, la préfète de la Charente a refusé au visa, notamment du titre VIII du livre 1er et du titre 1er du livre V du code de l'environnement, de l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale et de l'arrêté ministériel du 26 août 2011 modifié relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, de délivrer à la société Parc Eolien de Cellefrouin une autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent. Pour refuser de délivrer l'autorisation attaquée, la préfète de la Charente a relevé que 65 espèces d'oiseaux ont été recensées dans un rayon d'un kilomètre autour de la zone d'implantation dont deux présentant un enjeu fort pendant la période de reproduction (l'Alouette des champs et le Busard-Saint-Martin) et deux pendant la période de migration (Vanneau huppé et la grue cendrée), que douze espèces de chiroptères sur les vingt-quatre présentes dans le département de la Charente ont été comptabilisées dans l'aire d'étude du projet et que l'enjeu est fort pour la pipistrelle de Kuhl, la pipistrelle de Nathusius et la pipistrelle commune, que deux éoliennes (E2 et E4) se situent à proximité de lisières de bois, que les mesures de bridage envisagées ne permettent pas d'éviter le risque de mortalité pour les chiroptères, que la proximité du parc éolien de Moquepanier composé de huit éoliennes (2,5 kilomètres au sud) est susceptible d'engendrer un risque d'impact cumulé et de saturation visuelle compte-tenu, notamment, du rapport d'échelle entre les paysages et les éoliennes, ce risque étant particulièrement élevé pour les lieux-dits " Le Madinteau " et " Pradelières " situés sur la commune de Cellefrouin. L'arrêté ajoute qu'en dépit des mesures de bridage qui seront mises en place si nécessaire, le résultat des simulations acoustiques conclut à un possible dépassement des émergences réglementaires au lieu-dit " les Pradelières " quand le vent souffle à 10 mètres/seconde du secteur sud-ouest, de nuit. Dès lors que l'administration n'est pas tenue de prendre explicitement parti sur le respect par le projet qui lui est soumis de chacune des règles dont il lui appartient d'assurer le contrôle ni de retracer l'ensemble des étapes de la procédure préalable à son édiction, cet arrêté qui identifie les inconvénients du projet au regard de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, est suffisamment motivé en droit et en fait.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. (...) ". Aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. ". Il appartient au juge du plein contentieux de l'autorisation environnementale, d'apprécier le respect des règles de fond régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

S'agissant de l'impact sur l'avifaune :

7. La société requérante soutient que le motif de refus précité retenu par la préfète révèle certes un enjeu important du projet pour 4 espèces d'avifaune mais ne démontre pas d'atteintes à celles-ci, lesquelles sont d'ailleurs prévenues par de nombreuses mesures et notamment, la mesure NA-R6 qui consiste à mettre en place un calendrier de chantier pour l'avifaune permettant le lancement des travaux en dehors de la période de nidification des espèces nichant au sol, la mesure NA-R1 qui met en place un suivi environnemental de chantier ainsi qu'un plan de circulation au sein du site, la mesure NA-R8 qui impose une distance minimale entre les éoliennes pour faciliter les vols migratoires, la mesure NA-R10 qui a pour objectif la gestion adaptée des abords des éoliennes et des chemins d'accès afin de réduire leur attractivité pour la chasse. Elle souligne que, selon l'étude d'impact, ces mesures permettront de diminuer significativement les atteintes à l'Alouette des champs, à l'Œdicnème criard et au Busard Saint-Martin durant leur période de reproduction, ainsi que le risque de mortalité des individus due aux collisions pour la Grue cendrée en période de migration postnuptiale et le Vanneau huppé en migration prénuptiale et ce compte tenu de l'incidence résiduelle modérée et non significative du projet. Elle ajoute, enfin, que des mesures de suivi de mortalité des oiseaux et des chiroptères et de l'activité des oiseaux sont également proposées dans l'étude d'impact.

8. Il résulte toutefois de l'instruction et notamment des conclusions de la direction départementale des territoires en date du 26 octobre 2017, de l'avis du commissaire enquêteur et du rapport du service des installations classées que 65 espèces d'oiseaux ont été recensées dans un rayon d'1 km autour de la zone d'implantation, que la zone d'implantation potentielle se situe à la lisière de la ZNIEFF de type II " complexe de forêt de Bel-Air, Forêt des quatre-vaux, Vallée de la Bonnière " qui comprend 31 espèces déterminantes (avifaunes notamment) et que l'effet cumulé de ce projet avec les autres projets de parcs sur le secteur, notamment celui de Moquepanier à environ 3 Km, présente un enjeu négatif pour les avifaunes, particulièrement durant la phase de travaux, pour l'Œdicnème Criard et l'Alouette des Champs en période de reproduction, et pour l'Œdicnème Criard en période de migration. Ce dernier avifaune, espèce quasi menacée, pourrait ainsi perdre un habitat favorable. De même, aucune mesure n'est prévue pour la perte d'habitats de reproduction, de zone de chasse et de zone d'hivernage des espèces telles que l'Œdicnème Criard, le Vanneau Huppé, l'Alouette des champs ou la Grue Cendrée. Enfin, si une mesure de réduction sous forme d'arrêt ou débridage figure dans l'étude d'impact, à savoir la mesure Na-R12, " Régulation du fonctionnement des éoliennes ", elle ne concerne que les chiroptères alors que le projet d'arrêté d'autorisation initial prévoyait, au titre des mesures de réduction, pour l'avifaune, en particulier les rapaces, que les éoliennes situées à moins de 200 mètres d'opérations agricoles attractives pour la faune volante (telles que fenaison, fauche, labour, moisson) soient arrêtées durant 3 jours, lorsque ces opérations agricoles sont réalisées. Il suit de là que, qu'alors même les éoliennes sont espacées entre elles de 300 mètres, le projet en cause n'a pas seulement, comme le prétend la société requérante qui cherche à en euphémiser les effets, un enjeu négatif mais bel et bien un impact négatif pour certaines avifaunes.

S'agissant de l'impact sur les chiroptères :

9. La société requérante soutient que le motif de refus précité retenu par la préfète est erroné dès lors qu'il ressort de l'étude d'impact que la grande majorité des espèces enregistrées le sont au niveau de la zone des 50 mètres, soit à l'interface entre le bas des pales et l'espace laissé libre sous les éoliennes et que l'utilisation de l'espace aérien autour des 90 mètres est peu important de sorte que l'enjeu concernant l'utilisation en altitude de l'ensemble du site éolien est moyen. Elle ajoute que l'activité des chiroptères est concentrée durant les heures où ne fonctionneront pas les éoliennes à savoir les 6 premières heures du coucher du soleil quand les vents sont inférieurs à 6m/s et les températures comprises entre 9° et 21°, que des mesures responsables sont mises en place lors de l'abattage d'arbres, que la mesure NA-R9 prévoit la suppression de l'éclairage automatique nocturne en pied d'éolienne pour limiter la présence de proies pour les chiroptères, que la mesure NA-R10 prévoit la mise en place d'une gestion adaptée des abords d'éoliennes, que des mesures techniques empêchent les chiroptères de s'installer à l'intérieur des éoliennes et qu'en raison des distances entre les éoliennes E2 et E4 et les lisières boisées en deçà des recommandations, l'arrêt des aérogénérateurs permettra de limiter le risque de collision lorsque les conditions météorologiques sont les plus favorables à la présence des chiroptères dans la zone de rotation des pales. L'incidence sur la Pipistrelle de Kuhl, la Pipistrelle de Nathusius et la Pipistrelle commune serait donc résiduelle, modérée et non significative. En outre, une mesure de compensation consiste en la plantation de haies champêtres et des mesures de suivi seront mises en œuvre.

10. Il résulte toutefois de l'instruction et notamment des conclusions de la direction départementale des territoires en date du 26 octobre 2017 et de l'avis du commissaire enquêteur que l'effet cumulé de ce projet avec les autres projets de parcs sur le secteur présente un enjeu négatif pour les chiroptères. Deux des quatre éoliennes se situent ainsi en bout de pales à moins de deux cent mètres d'une zone boisée ou de bosquets, présentant des enjeux chiroptérologiques importants. Notamment, la destruction de 34 mètres linéaires de haie sur le chemin menant à l'éolienne E4 constitue une perte d'habitat de chasse pour les Pipistrelles communes, de Nathusius et de Kuhl. La société requérante n'établit pas que la mesure NA-Cl qu'elle propose, consistant en la plantation de haies champêtres au lieudit " les Chillot " représentant le double de la surface de haies détruite, compense suffisamment et surtout dans un délai raisonnable, la destruction des 34 mètres linéaires de haies précitées situées sur un axe majeur de circulation des chiroptères. En outre, alors que le plan proposé par l'inspection des installations classées dans le projet d'arrêté prévoit un bridage des éoliennes sur la période du 1er avril au 30 novembre, 30 minutes avant le coucher du soleil jusqu'à 30 minutes après le lever du soleil, pour des vitesses de vent ( 6 m/s et des températures ) 10 °C, le projet de la société prévoit seulement un bridage sur la même période, dans les 6 heures suivant le coucher du soleil pour des vents inférieurs à 6 m/s à hauteur de nacelle et une température comprise entre 9 et 21 °C. Enfin, il n'est pas certain que la grande majorité des espèces enregistrées ne circule qu'au niveau de la zone des 50 mètres. Il suit de là que le projet en cause n'a pas seulement, comme le prétend la société requérante un enjeu négatif mais également un impact négatif pour certains chiroptères.

S'agissant de l'atteinte au paysage et au patrimoine :

11. Pour statuer sur une demande d'autorisation, il appartient à l'autorité administrative de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages et de conservation des sites et ne porte pas atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants. Pour rechercher si l'existence d'une atteinte à un paysage, à la conservation des sites et des monuments ou au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants est de nature à fonder un refus d'autorisation ou à fonder les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.

12. D'une part, la requérante se prévaut de l'étude paysagère selon laquelle le site présente à la fois un caractère agricole, vallonné et boisé, favorable à l'implantation d'un parc éolien et un caractère anthropisé que révèle la présence de plusieurs zones urbanisées (Saint-Amant-de-Bonnieure, Cellefrouin et Valence) reliées par plusieurs routes départementales.

13. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment de l'avis de l'architecte des bâtiments de France, du 13 novembre 2017, dont le parti pris allégué contre l'éolien n'est aucunement établi, que les nombreux bourgs et hameaux bâtis situés non loin du futur projet sont témoins de la richesse vernaculaire du patrimoine et participent non seulement à l'harmonie séculaire du paysage naturel et agricole, autour de la vallée du Son Sonnette, mais contribuent aussi à servir d'écrins aux différents monuments historiques qui dans une étroite interrelation renforcent l'identité culturelle du territoire. L'étude paysagère elle-même indique que l'enjeu paysager de la vallée du Son-Sonnette est la conservation de cette ambiance rurale et verte en ce qu'elle constitue un élément de diversité tant au niveau topographique que végétal, que la vallée du Son-Sonnette présente donc des sensibilités et que la présence d'éoliennes en bord de vallée peut engendrer un effet de surplomb et perturber les équilibres actuels. Enfin, d'après le commissaire enquêteur, la zone d'implantation se situe dans une " poche " qui est encadrée par des zones boisées et des parties vallonnées. Le site d'implantation de ce projet, bien que compris dans une zone délimitée par le schéma régional éolien comme favorable à l'éolien, est ainsi situé dans un paysage qui mérite d'être préservé.

14. D'autre part, la requérante soutient que le risque d'impact cumulé et de saturation visuelle compte tenu du rapport d'échelle sur les lieux-dits " Le Madinteau " et " Pradelières " ne présente, au pire, qu'un risque d'atteinte au paysage et que l'impact du parc éolien en litige et de celui de Moquepanier est limité dès lors que ce dernier s'inscrit en arrière-plan du paysage et qu'il suit le même alignement que le parc éolien projeté.

15. Toutefois, il résulte de l'instruction que le projet de parc se situe à une distance inférieure à 1 100 mètres des premiers monuments historiques au regard desquels la hauteur importante des machines présente un impact paysager. Il ressort notamment du deuxième avis rendu par l'architecte des bâtiment de France le 21 septembre 2018 que les premières machines sont proposées à 1 900 m G... (inscrit Monument Historique en totalité le 28 février 2011), au nord, à 1 100 m de l'église de Ventouse, (inscrite Monument Historique le 14 mai 1925), à l'est, à 2 100 m H... dans le cimetière, (classée Monument Historique le 12 juillet 1886) et de l'église Saint-Nicolas, (classée Monument Historique le 21 septembre 1907). Est plus particulièrement affectée l'église romane de la Ventouse, dont la façade est un ancien prieuré du 12ème siècle, qui est située sur un point culminant. A l'égard de cette église, la végétation ne masquerait qu'une partie du projet éolien qui plus est faiblement durant la période hivernale compte tenu de la chute des feuilles des arbres. Sont également affectés les hameaux de Madinteau, Le Machinet et Les Pradelières, Chez Mauras et La Brousse et bourg de Ventouse. Le risque est particulièrement élevé pour les lieux-dits " Le Madinteau " et " Pradelières " situés sur la commune de Cellefrouin à seulement 500 mètres du projet. La Brousse est un hameau également particulièrement affecté en ce que les habitations seront encerclées par les éoliennes, situation qui confine à un effet d'enfermement. Contrairement à ce que prétend la société requérante, si l'angle d'occupation du projet diminue d'environ 20 degrés depuis ces points et que l'indice de l'occupation de l'horizon " réel " est en dessous du seuil d'alerte de 120 °, l'effet visuel n'en est pas moins, dans les circonstances de l'espèce, particulièrement défavorable au paysage. Le commissaire enquêteur insiste, encore, dans son avis, sur le rapport d'échelle désavantageux entre les paysages et les éoliennes. En outre, la juxtaposition des parcs préexistants, notamment celui de Moquepanier à Saint-Amand-de-Bonnieure composé de huit machines positionnées sur une crête fortement exposée, à 3 km de monuments historiques, dûment relevée par le commissaire enquêteur, occasionnera nécessairement un risque de saturation préjudiciable du point de vue paysager et ce nonobstant la mesure d'accompagnement de plantation de haie envisagée. D'ailleurs, comme le relève l'architecte des bâtiments de France dans son avis précité du 13 novembre 2017 " le phénomène de saturation et d'encerclement contribuera à banaliser ces lieux emblématiques. Privé de leurs perceptives monumentales, cet héritage vivant verra à terme sa valeur patrimoniale se dégrader irrémédiablement au profit d'un environnement post industriel répondant aux opportunités du moment ". Il suit de là que le projet a un impact négatif sur le paysage.

S'agissant de la commodité du voisinage :

16. Il ressort du rapport des installations classées du 1er avril 2019 que " les résultats des simulations acoustiques concluent à un possible dépassement des émergences réglementaires au lieu-dit " Les Pradelières " sur la commune de Cellefrouin quand le vent souffle à 10 m/s du secteur sud-ouest (mettant le village sous le vent), de nuit ". Le Ministre relève encore que si l'agence régionale de santé émet un avis favorable au préfet, elle relève néanmoins que " la nuit, la simulation montre des dépassements importants avec, par exemple, des valeurs dépassant les 14 dB au lieu-dit Les Pradelières " et que " les fortes émergences peuvent constituer une nuisance pour les habitants et devenir conflictuelles. De plus, la jurisprudence montre qu'elles peuvent être reconnues comme une gêne par les tribunaux civils. ". Il résulte toutefois des tableaux issus de l'étude acoustique et repris dans l'étude d'impact que depuis " les Pradelières ", avec un vent à 10 mètres/seconde, les émergences réglementaires sont respectées, élément de fait de nature à démontrer que les mesures de bridages envisagées solutionnent le problème, alors d'ailleurs qu'il n'est pas démontré par le ministre qu'en dépit du respect de la réglementation, le parc éolien génèrerait des nuisances excessives dans ce lieu-dit. Par suite, la préfète ne pouvait refuser d'autoriser son projet en se fondant sur le dépassement des émergences sonores réglementaires au lieu-dit Les Pradelières, de nuit et dans des conditions météorologiques particulières.

17. Il résulte toutefois de l'instruction que la préfète de la Charente aurait pris la même décision si elle n'avait pris en compte que les trois motifs légalement justifiés précités.

18. Il résulte de tout ce qui précède, que la requête de la société Parc Eolien de Cellefrouin doit être rejetée. Par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction et celles tendant à ce que l'Etat soit condamné au versement d'une somme d'argent au titre des frais de justice ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance verse une somme quelconque à la société Parc Eolien de Cellefrouin au titre des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Parc Eolien de Cellefrouin est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc Eolien de Cellefrouin, à la ministre de la transition écologique, à l'association Sonnette D'Alarme, à l'association La Demeure Historique, à Mme B... E..., à Mme A... F... et à Mme D... C....

Une copie en sera adressée pour information à la préfète de la Charente.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Nicolas Normand, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2021.

Le rapporteur,

Nicolas Normand La présidente,

Evelyne Balzamo Le greffier,

Lionel Boullemant

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

8

N° 19BX03833


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03833
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

44-02-02-005-02-01 Nature et environnement. - Installations classées pour la protection de l'environnement. - Régime juridique. - Actes affectant le régime juridique des installations. - Première mise en service.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Nicolas NORMAND
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : CABINET FCA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-17;19bx03833 ?
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