Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 28 septembre 2020 par lequel le préfet de La Réunion a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2001260 du 21 juin 2021, le tribunal a fait droit à sa demande et prescrit au préfet de lui délivrer un titre de séjour.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 juillet 2021, le préfet de La Réunion demande à la cour d'annuler le jugement n° 2001260 du tribunal et de rejeter la demande de première instance présentée par Mme C....
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité faute d'avoir été affiché dans les locaux de la juridiction en application de l'article R. 741-1 du code de justice administrative ;
- le préfet n'a pas fondé sa décision sur le motif tiré de ce que l'auteur de la reconnaissance de paternité de l'enfant de Mme C... ne contribuait pas à l'entretien et à l'éducation de cet enfant, il a seulement retenu cette circonstance comme un indice supplémentaire du caractère frauduleux de cette reconnaissance ;
- il n'existe aucune relation entre Mme C... et l'auteur de la reconnaissance de paternité ; celui-ci est père de quatre enfants nés à Madagascar de son union avec une personne avec laquelle il entretient une relation stable de longue date ; il a reconnu l'enfant de Mme C... de manière anticipée ; Mme C... entretient pour sa part une relation stable depuis quatre ans avec une autre personne ; ces éléments sont suffisants pour établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité de l'enfant de la requérante ; le tribunal ne pouvait ainsi retenir que l'arrêté en litige avait méconnu les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté en litige n'a enfin pas méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 novembre 2021, Mme C..., représentée par Me Belliard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C... est une ressortissante malgache qui est entrée à La Réunion en août 2016 selon ses déclarations. En mai 2019, Mme C..., qui est mère de deux enfants nés le 27 février 2015 à Madagascar et le 16 mai 2017 à La Réunion, a déposé en préfecture une demande de titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette demande a été rejetée par un arrêté préfectoral du 28 septembre 2020, lequel a été assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et de la désignation du pays de renvoi. Mme C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler cet arrêté du 28 septembre 2020. Par jugement du 21 juin 2021, le tribunal a fait droit à la demande de Mme C... et prescrit au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Le préfet de La Réunion relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-1 du code de justice administrative : " (...), la décision est prononcée par sa mise à disposition au greffe de la juridiction. La liste des décisions mises à disposition au greffe de la juridiction est affichée le jour même dans les locaux de la juridiction. ".
3. Le préfet se borne à alléguer que le jugement attaqué n'aurait pas été affiché dans les locaux de la juridiction sans apporter le moindre élément permettant de faire douter de la réalité de cet affichage. Dans ces conditions, le préfet n'est pas fondé à soutenir que le jugement rendu est irrégulier faute d'avoir respecté les dispositions précitées.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile devenu les articles L. 423-7 et L. 423-8 : " (...) la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant (...) ". Aux termes de l'article L. 623-1 du même code devenu l'article L. 823-11 : " Le fait (...) de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement (...) est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 Euros d'amende. (...) ".
5. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'un ressortissant français a reconnu le deuxième enfant de Mme C... plus d'un mois avant la naissance de celui-ci. Il est aussi exact, d'une part, que Mme C... n'a pas eu de vie commune avec l'auteur de cette reconnaissance avec lequel elle déclare avoir eu une brève relation et, d'autre part, qu'à la date de sa demande de titre, elle était en couple avec une tierce personne depuis environ quatre ans.
7. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que l'auteur de la reconnaissance de paternité entretient une relation stable à Madagascar avec sa conjointe qui lui a donné quatre enfants nés en 2008, 2010 et 2012 et 2017.
8. Toutefois et comme l'ont estimé à juste titre les premiers juges, les éléments de fait relatés aux points 4 et 5 ci-dessus ne suffisent pas à former un ensemble d'indices permettant d'établir avec suffisamment de force probante que la reconnaissance de paternité dont s'est prévalue Mme C... a été effectuée par une personne qui n'est pas le père biologique de son enfant et cela dans le seul but de permettre à cette dernière d'obtenir frauduleusement un titre de séjour.
9. Par ailleurs, il résulte des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du I de l'article 55 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, qu'il appartient à la personne qui demande un titre de séjour, et qui n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, de justifier que l'auteur de cette reconnaissance contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.
10. Les motifs de l'arrêté en litige montrent que le préfet, pour rejeter la demande de titre de séjour, s'est aussi fondé sur la circonstance que l'auteur de la reconnaissance de paternité ne contribuait pas à l'entretien et à l'éducation de l'enfant de Mme C....
11. Comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, il résulte de l'article 71 de la loi du 10 septembre 2018 que les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, issues du I de l'article 55 de cette loi, ne sont applicables qu'aux demandes de titre de séjour présentées postérieurement au 1er mars 2019. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas contesté par le préfet, que la demande de Mme C... a été déposée avant cette date. Par suite, le préfet ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, rejeter la demande de titre de séjour en retenant que l'auteur de la reconnaissance de paternité ne contribuait pas à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du préfet de La Réunion doit être rejetée.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée au titre des frais et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête n° 21BX03123 du préfet de La Réunion est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par Mme C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... C.... Copie pour information en sera délivrée au préfet de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2021.
Le rapporteur,
Frédéric A...
Le président,
Didier Artus
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX03123 5