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10/12/2021 | FRANCE | N°21BX02795

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 10 décembre 2021, 21BX02795


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 9 janvier 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligée à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 21000109 du 13 janvier 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Proc

édure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 juillet 2021, Mme C..., représentée...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 9 janvier 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligée à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 21000109 du 13 janvier 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 juillet 2021, Mme C..., représentée par Me Touboul, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse du 13 janvier 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 9 janvier 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son avocat sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il ne répond pas au moyen tiré du défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait le 1° de l'article 6 de l'accord franco-algérien dès lors que, vivant en France depuis quinze ans, elle peut prétendre à la délivrance d'un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " ;

- elle méconnait le 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle réside avec son compagnon de nationalité française et que l'ensemble de sa famille réside à Marseille ;

- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et celle lui faisant interdiction de revenir sur le territoire français sont privées de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire et sont respectivement entachées d'erreur manifeste d'appréciation et d'erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 mai 2021.

Vu les pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,

- les observations de Me Touboul, représentant Mme C....

Une note en délibéré présentée pour Mme C..., représentée par Me Touboul, a été enregistrée le 9 décembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., de nationalité algérienne née le 24 mai 1993 à Ouled Yaich Blida (Algérie), déclare être entrée en France en 2006. Par un arrêté du 9 janvier 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligée à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Mme C... relève appel du jugement du 13 janvier 2021 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le premier juge a, contrairement à ce que soutient la requérante, répondu au moyen tiré du défaut d'examen de sa situation particulière, en estimant au point 4 de ce jugement que le préfet avait procédé à un tel examen. Dès lors le jugement n'est pas irrégulier sur ce point.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

3. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : (...) 1° au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant (...) ".

4. Indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit ou qu'une convention internationale stipule que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement faire l'objet d'un éloignement.

5. Pour contester l'obligation de quitter le territoire français, Mme C... se prévaut d'une résidence habituelle en France depuis 2006. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que si l'intéressée produit de nombreux éléments afin de démontrer sa résidence habituelle en France, néanmoins le caractère habituel de son séjour sur le territoire français ne saurait être regardé comme établi pour les années 2011 et 2012, ainsi que pour la période comprise entre 2016 et 2020. Ainsi, pour l'année 2011, une seule attestation non datée du docteur B..., médecin de famille, indiquant l'avoir vue en consultation " à plusieurs reprises de 2010 à 2015 " est produite. Pour l'année 2012, cette même attestation est produite et un récépissé de demande de carte de séjour délivré le 3 août 2012 par la préfecture des Bouches-du-Rhône, ce qui est insuffisant. Pour les années 2016 et 2017, les justificatifs produits se limitent à des certificats médicaux du 8 septembre 2016, du 5 janvier 2017 et du 10 novembre 2017 non circonstanciés et ne permettant pas d'attester d'une présence continue en France. Enfin, pour l'année 2018, seuls une ordonnance médicale du 30 octobre 2018 et un courrier de l'assurance maladie adressé à Mme C... le 17 juillet 2018 sont produits, ne permettant pas davantage d'établir une résidence continue en France. Aussi, ni ces pièces, ni les attestations non circonstanciées versées par des amis de la famille de Mme C..., ne suffisent pour justifier de la résidence habituelle de celle-ci sur le territoire français. Par suite, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas méconnu les stipulations précitées du 1° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 en obligeant Mme C... à quitter le territoire français.

6. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5° au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". D'autre part, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

7. Mme C... fait valoir qu'elle réside de façon habituelle en France depuis son entrée en 2006 avec sa mère, ses sœurs, sa grand-mère, et son compagnon et qu'elle n'a plus de contact avec son père, résidant toujours en Algérie, qui l'a violentée. Toutefois, à la date de l'arrêté contesté, Mme C... séjournait irrégulièrement en France depuis plusieurs années et avait déjà fait l'objet de trois mesures d'éloignement, les 7 janvier 2013, 24 février 2014 et 5 juillet 2018. Par ailleurs, elle ne justifie pas, par quelques attestations, d'une intégration particulière dans la société française. Enfin, l'intéressée ne démontre ni la réalité ni la stabilité de son concubinage par la seule production d'une attestation établie par son concubin. Si elle produit en appel de nouvelle pièces notamment une preuve de sa grossesse du 22 mars 2021 ainsi qu'un acte de reconnaissance par anticipation de son enfant, établi le 26 mars 2021, ces éléments sont postérieurs à l'arrêté attaqué. Par suite, dans les circonstances de l'espèce et eu égard notamment aux conditions de son séjour, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris la décision attaquée et n'a, dès lors, ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien.

En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :

8. D'une part, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée des illégalités alléguées, l'appelante n'est pas fondée à exciper de son illégalité à l'appui de sa contestation du refus de délai de départ volontaire.

9. D'autre part, aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au deuxième alinéa de l'article L. 611-3, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 513-5, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 (...) ".

10. Pour refuser l'octroi d'un délai de départ volontaire à Mme C..., le préfet des Bouches-du-Rhône s'est notamment fondé sur l'existence de précédentes mesures d'éloignement des 7 janvier 2013, 24 février 2014 et 5 juillet 2018 auxquelles l'intéressée s'est soustraite. Il ressort effectivement des pièces du dossier que Mme C... a fait l'objet de trois mesures d'éloignement, qu'elle reconnait ne pas avoir exécutées et a déclaré ne pas vouloir retourner dans son pays d'origine. Par suite, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas méconnu les dispositions précitées en prenant la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

11. D'une part, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée des illégalités alléguées, l'appelante n'est pas fondée à exciper de son illégalité à l'appui de sa contestation de l'interdiction de retour sur le territoire français.

12. D'autre part, aux termes du point III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III (...) sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

13. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La circonstance que la présence de l'étranger sur le territoire français ne représente pas une menace pour l'ordre public n'est pas de nature à faire obstacle, à elle seule, au prononcé d'une interdiction de retour si la situation de l'intéressée, au regard notamment des autres critères, justifie légalement, dans son principe et sa durée, la décision d'interdiction de retour.

14. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit aux points précédents, que Mme C... ne démontre pas avoir résidé habituellement en France, qu'elle ne justifie pas avoir créé sur le territoire national des liens personnels et familiaux intenses et stable et qu'elle n'a pas exécuté spontanément les trois précédentes mesures d'éloignement prises à son encontre. Aussi, le préfet des Bouches-du-Rhône a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, prononcer à son encontre la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que ses conclusions tendant au paiement de ses frais d'instance, ne peuvent par suite qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 18 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

Mme Fabienne Zuccarello, présidente,

Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2021.

La présidente-rapporteure,

Fabienne Zuccarello L'assesseure la plus ancienne,

Christelle Brouard-Lucas

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 21BX02795


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme ZUCCARELLO
Rapporteur ?: Mme Fabienne ZUCCARELLO
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : TOUBOUL

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Date de la décision : 10/12/2021
Date de l'import : 21/12/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21BX02795
Numéro NOR : CETATEXT000044471038 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-10;21bx02795 ?
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