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08/12/2021 | FRANCE | N°19BX04351

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 08 décembre 2021, 19BX04351


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner le centre hospitalier (CH) de la Basse-Terre à lui verser une indemnité de 42 450 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'intervention réalisée dans cet établissement le 25 septembre 2012.

Par un jugement n° 1801231 du 24 septembre 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 novembre 2019, Mme C..., représentée

par la SELARL Judexis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le ce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner le centre hospitalier (CH) de la Basse-Terre à lui verser une indemnité de 42 450 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'intervention réalisée dans cet établissement le 25 septembre 2012.

Par un jugement n° 1801231 du 24 septembre 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 novembre 2019, Mme C..., représentée par la SELARL Judexis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier de la Basse-Terre à lui verser une indemnité de 42 450 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de la Basse-Terre une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- comme l'a relevé le premier expert, son dossier ne comporte aucune trace d'une information quant aux risques encourus, ni d'une réflexion bénéfices/risques quant aux solutions thérapeutiques alternatives, mais seulement un schéma simple représentant un utérus porteur de fibromes ; elle n'a pas reçu d'information spécifique quant au risque d'accident urinaire lors de cette chirurgie, que ce soit de lésion urétérale ou d'aggravation d'une incontinence d'effort, complication classique de l'hystérectomie vaginale ; c'est ainsi à tort que les premiers juges n'ont pas retenu de faute du centre hospitalier, alors que le juge des référés lui avait alloué une indemnité provisionnelle de 5 000 euros au titre de la perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ;

- eu égard aux complications post-opératoires, elle est fondée à demander la condamnation du centre hospitalier de la Basse-Terre à l'indemniser de ses préjudices ;

- elle sollicite les sommes de 2 250 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire, de 9 000 euros au titre des souffrances endurées de 3 sur 7, de 11 200 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 8 %, de 5 000 euros au titre du préjudice esthétique, de 10 000 euros au titre du préjudice sexuel et de 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément, et demande que soit réservé son droit au remboursement des dépenses de santé futures.

Par un mémoire enregistré le 4 avril 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut à sa mise hors de cause.

Il fait valoir que :

- la responsabilité pour faute du centre hospitalier est engagée ;

- les seuils de gravité ouvrant droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas atteints.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 février 2021, le centre hospitalier de la Basse-Terre, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requérante reproche un défaut d'information pour la première fois en appel alors qu'elle ne s'en était jamais plainte, en particulier lors des opérations d'expertise ;

- dès lors que la lésion urétérale survenue lors de l'hystérectomie constitue un risque exceptionnel dont la fréquence est inférieure à 0,1 % des cas, et qu'elle ne peut être regardée comme grave, le risque qui s'est réalisé ne justifiait pas une information spécifique, comme l'a retenu l'expert ; au demeurant, le dossier médical comportait un schéma représentant un utérus porteur de fibromes, ce qui démontre qu'une information a été délivrée ;

- à titre subsidiaire, Mme C... ne pouvait raisonnablement renoncer à l'intervention compte tenu de l'anémie dont elle souffrait du fait des fibromes, et si la cour devait retenir une perte de chance, celle-ci ne saurait excéder 10 % ;

- à titre infiniment subsidiaire, les demandes indemnitaires sont excessives.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Ravaut, représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. Le 25 septembre 2012, Mme C... a subi une hystérectomie par voie basse au centre hospitalier de la Basse-Terre. Dans les suites de cette intervention, elle a présenté des douleurs abdominales et des vomissements, et un scanner réalisé le 29 septembre a mis en évidence une fuite urinaire intrapéritonéale provenant du bas uretère droit. La patiente a été transférée le même jour au CHU de Pointe-à-Pitre où une dérivation rénale droite et une antibiothérapie ont été mises en place. L'aggravation de son état vers un syndrome occlusif sur péritonite urineuse a nécessité la réalisation, le 10 octobre 2012, d'une laparotomie pour toilette péritonéale, drainage et replacement de la sonde de néphrostomie. Mme C... a été renvoyée à son domicile le 29 octobre 2012, puis hospitalisée à nouveau du 11 au 16 novembre 2012 pour une pyélonéphrite sur néphrostomie et du 1er au 14 janvier 2013 pour une réimplantation uro-vésicale droite réalisée le 2 janvier, avec retrait de la sonde de néphrostomie le 10 janvier.

2. A la demande de Mme C..., le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a ordonné une expertise dont le rapport daté du 28 janvier 2014 a conclu notamment que la lésion basse de l'uretère droit constituait une complication classique de l'hystérectomie, et que le centre hospitalier de la Basse-Terre avait eu une attitude globalement fautive au regard de son devoir d'information. Par une ordonnance du 17 juin 2015, le juge des référés a condamné l'établissement hospitalier à verser une provision de 5 000 euros à Mme C.... Une seconde expertise datée du 15 août 2016, également ordonnée par le juge des référés, a fixé la date de consolidation de l'état de santé de Mme C... au 15 avril 2013 et a notamment évalué le déficit fonctionnel permanent à 8 %. Par une réclamation préalable du 26 juillet 2018, Mme C... a demandé au centre hospitalier de l'indemniser de la totalité de ses préjudices, chiffrés à 42 450 euros, en invoquant " une faute pour défaut d'information sur les risques de l'intervention ". En l'absence de réponse, elle a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande de condamnation du centre hospitalier de la Basse-Terre à lui verser la somme de 42 450 euros. Par le jugement attaqué, le tribunal, après avoir mis en cause l'ONIAM, a rejeté sa demande au motif qu'aucune faute médicale ne pouvait être imputée au centre hospitalier et que les conséquences de l'accident médical ne présentaient pas un caractère de gravité suffisant pour ouvrir droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale.

Sur la demande de mise hors de cause de l'ONIAM :

3. Mme C... ne conteste pas l'absence de droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale retenu par le tribunal. Par suite, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.

Sur le défaut d'information :

4. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

5. Il résulte de l'instruction, notamment de la première expertise, que Mme C... a été adressée au service des urgences du centre hospitalier de la Basse-Terre le 31 mai 2012 pour une anémie, et qu'elle a été prise en charge par le service de gynécologie où un utérus polymyomateux a été diagnostiqué, le fibrome le plus volumineux étant mesuré à 68 x 62 mm, ce qui a conduit à lui proposer une hystérectomie. Selon l'expert, la patiente a admis avoir été informée de la probable nécessité d'une intervention chirurgicale et semble avoir compris qu'il s'agissait d'un " problème de kystes ". Si cet entretien avec le médecin et la présence au dossier d'un schéma simple représentant un utérus porteur de fibromes constituent des indices suffisants de la délivrance d'une information sur l'utilité de l'intervention, il n'est pas établi ni même allégué par le centre hospitalier que les alternatives thérapeutiques auraient été présentées à l'intéressée. Le premier expert a relevé, sans être critiqué sur ce point, que différentes options, telles qu'un traitement médical progestatif, une embolisation ou une hystérectomie sub-totale étaient envisageables. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que Mme C... aurait nécessairement consenti à la réalisation de l'intervention si elle avait été informée du risque de section de l'uretère, de sorte qu'elle a perdu une chance de se soustraire à cette conséquence de l'hystérectomie au regard de l'existence d'alternatives thérapeutiques. Par suite, Mme C..., qui est recevable à invoquer pour la première fois en appel une faute différente de celles soulevées devant le tribunal, est fondée à soutenir que la responsabilité du centre hospitalier est engagée à raison de ce défaut d'information. Dans les circonstances de l'espèce, au regard de la faiblesse d'occurrence du risque et des bénéfices de l'intervention, la perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé peut être évaluée à 10 %.

Sur les préjudices :

6. L'expert a retenu un déficit fonctionnel temporaire total durant les hospitalisations du 24 septembre au 29 octobre 2012, du 11 au 16 novembre 2012 et du 1er au 14 janvier 2013, et partiel du 30 octobre au 10 novembre 2012, du 17 novembre au 31 décembre 2012 et du 15 janvier au 16 janvier 2013. Dès lors que le défaut d'information a privé l'intéressée d'une chance de recourir à une alternative thérapeutique, il n'y a pas lieu, comme le demande le centre hospitalier, de déduire une période de sept jours pour tenir compte du déficit qu'aurait entraîné l'hystérectomie en l'absence de complication. Il y a lieu d'évaluer à 50 % le déficit partiel du fait du handicap constitué par le port de la sonde de néphrostomie et les complications afférentes. Par suite, le préjudice résultant du déficit fonctionnel temporaire peut être fixé à 1 425 euros, sur la base de 500 euros par mois de déficit total.

7. Il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées de 3 sur 7, du fait de la péritonite urineuse et de ses conséquences, en évaluant ce préjudice à 3 500 euros.

8. Le 15 avril 2013, date de consolidation de son état de santé, Mme C... était âgée de 42 ans. Il y a lieu d'évaluer à 10 000 euros le déficit fonctionnel permanent de 8 % retenu par l'expert.

9. Il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique permanent de 2 sur 7 pour les cicatrices abdominales en l'évaluant à 2 000 euros.

10. L'existence d'un préjudice d'agrément, non retenue par l'expert, dont la nature n'est pas même précisée par la requérante, n'est corroborée par la production d'aucun justificatif. Par suite, la demande présentée à ce titre ne peut qu'être rejetée.

11. Il y a lieu d'évaluer à 2 000 euros le préjudice sexuel modéré retenu par l'expert.

12. Il résulte de ce qui précède que les préjudices de Mme C... s'élèvent à 18 925 euros. Eu égard au taux de perte de chance de 10 %, l'indemnité à la charge du centre hospitalier doit être fixée à 1 892,50 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe lui a refusé toute indemnisation, et que la condamnation définitive du centre hospitalier de la Basse-Terre doit être fixée à 1 892,50 euros.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de la Basse-Terre une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 1801231 du 24 septembre 2019 est annulé.

Article 3 : Le centre hospitalier de la Basse-Terre est condamné à verser une indemnité de 1 892,50 euros à Mme C....

Article 4 : Le centre hospitalier de la Basse-Terre versera à Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., au centre hospitalier de la Basse-Terre, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2021.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX04351


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04351
Date de la décision : 08/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01-04 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. - Existence d'une faute. - Manquements à une obligation d'information et défauts de consentement.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS JUDEXIS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-08;19bx04351 ?
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