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06/12/2021 | FRANCE | N°21BX02380

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 06 décembre 2021, 21BX02380


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2020 par lequel le préfet de La Réunion a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2100249 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 21 décembre 2020 et enjoint au préfet de délivrer à Mme B... C... un titre de séjour

portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

Par une requê...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2020 par lequel le préfet de La Réunion a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2100249 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 21 décembre 2020 et enjoint au préfet de délivrer à Mme B... C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 juin 2021, le préfet de La Réunion demande à la cour d'annuler le jugement n° 2100249 du tribunal administratif de La Réunion et de rejeter la demande de première instance de Mme B... C....

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors qu'il n'a pas été affiché dans les locaux du tribunal ;

- le jugement n'est pas suffisamment motivé dans sa réponse au moyen de défense tiré de ce que la requérante ne remplissait pas les conditions prévues à l'article L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'acte de reconnaissance de filiation paternelle concernant la fille cadette de la requérante n'était pas entaché de fraude ; il existait un faisceau d'indices concordants qui auraient dû conduire les premiers juges à reconnaitre la fraude ;

- il n'est pas établi que l'auteur de la reconnaissance de filiation concernant la fille cadette de la requérante contribue à l'entretien et à l'éducation de l'enfant conformément à l'article L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les autres moyens soulevés en première instance par Mme B... C... doivent être écartés ; ainsi les décisions en litige sont motivées et procèdent d'un examen circonstancié de la situation personnelle de l'intéressée ; le droit d'être entendu a été respecté ; les décisions en litige n'ont pas méconnu les articles 6§2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elles ne méconnaissent pas l'article L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation ; l'intérêt supérieur des enfants garanti par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant n'a pas été méconnu ; l'obligation de quitter le territoire français n'a pas méconnu l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; la décision fixant le délai de départ volontaire n'est pas entachée d'incompétence négative.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 septembre 2021, Mme B... C..., représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Mme B... C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 octobre 2021.

Par une ordonnance du 26 août 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 octobre 2021 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... B... C... est une ressortissante comorienne née le 15 mars 1991 qui est entrée à Mayotte en 2015 avant de rejoindre irrégulièrement le département de La Réunion en décembre 2019. En septembre 2020, Mme B... C..., qui est mère de deux filles nées le 18 juillet 2015 et le 13 mai 2020, a déposé en préfecture de La Réunion une demande de titre de séjour au titre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette demande a été rejetée par un arrêté préfectoral du 21 décembre 2020, lequel a été assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et de la désignation du pays de renvoi. Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler cet arrêté du 21 décembre 2020. Par jugement du 11 mai 2021, le tribunal a fait droit à la demande de Mme B... C... et prescrit au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Le préfet de La Réunion relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-1 du code de justice administrative : " (...), la décision est prononcée par sa mise à disposition au greffe de la juridiction. La liste des décisions mises à disposition au greffe de la juridiction est affichée le jour même dans les locaux de la juridiction. ".

3. Le préfet se borne à alléguer que le jugement attaqué n'aurait pas été affiché dans les locaux de la juridiction sans apporter le moindre élément permettant de faire douter de la réalité de cet affichage. Dans ces conditions, le préfet n'est pas fondé à soutenir que le jugement rendu serait irrégulier faute d'avoir respecté les dispositions précitées.

4. En deuxième lieu, le tribunal a jugé que " il ressort des pièces du dossier que M. D... contribue à hauteur de ses moyens à l'entretien et à l'éducation de son enfant et que les parents ont saisi le juge aux affaires familiales afin de faire reconnaître cette contribution. ". Cette motivation, qui a permis au préfet de contester utilement le raisonnement des premiers juges, n'est pas insuffisante.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile devenu les articles L. 423-7 et L. 423-8 : " (...) la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. ". Aux termes de l'article L. 623-1 du même code devenu l'article L. 823-11 : " Le fait (...) de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement (...) est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 Euros d'amende. (...) Ces mêmes peines sont applicables en cas d'organisation ou de tentative d'organisation (...) d'une reconnaissance d'enfant aux mêmes fins. (...)".

6. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

7. Il ressort des pièces du dossier que la fille cadette de Mme B... C... a été reconnue par un ressortissant français qui séjourne à Mayotte où il a aussi reconnu un enfant en juillet 2015 et où il s'est marié en août 2019. Toutefois ni la première reconnaissance à laquelle l'intéressé a procédée, qui a concerné l'enfant de son épouse, ni la circonstance que ce dernier a reconnu la fille A... la requérante sept mois après son mariage et deux mois avant la naissance de l'enfant ne sont suffisants pour permettre d'estimer, contrairement à ce que le préfet a retenu dans les motifs de sa décision, qu'il existe des éléments précis et suffisamment circonstanciés de nature à établir que la seconde reconnaissance de paternité a été frauduleusement effectuée pour permettre à Mme B... C... d'obtenir un titre de séjour.

8. Il résulte toutefois des dispositions précitées du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il appartient à l'auteur de la demande de titre de séjour qui n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité de justifier que l'auteur de cette reconnaissance contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.

9. Il ressort des pièces du dossier que l'auteur de la reconnaissance de paternité de la fille cadette de Mme B... C... s'est porté caution de cette dernière lors de la signature le 6 août 2020 d'un contrat de location d'un appartement. Mme B... C... a saisi le juge aux affaires familiales pour que soit fixée la contribution du père de son enfant et a obtenu le 7 décembre 2020 une décision du bureau de l'aide juridictionnelle lui octroyant l'aide juridictionnelle totale pour cette procédure. Elle produit également au dossier un virement bancaire de 93 euros effectué à son profit en août 2020 par le père de sa fille cadette. Compte tenu du bref délai qui s'est écoulé entre la naissance de l'enfant en mai 2020 et l'intervention de l'arrêté en litige le 21 décembre 2020, ces éléments permettent en l'espèce d'estimer que l'auteur de la reconnaissance de paternité de la fille cadette de Mme B... C... contribue à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.

10. L'autre motif de l'arrêté contesté, tiré de la reconnaissance frauduleuse par un tiers de la paternité de la fille aînée de Mme B... C... n'est pas contesté par cette dernière. Il n'en reste pas moins que la requérante doit, en ce qui concerne sa fille cadette, être regardée comme mère d'un enfant reconnu par un ressortissant français contribuant à l'entretien et à l'éducation de cette enfant. Par suite, le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté en litige au motif qu'il a méconnu les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du préfet de La Réunion doit être rejetée.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37- 2 de la loi du 10 juillet 1991 :

12. Mme B... C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B..., avocate de la défenderesse, d'une somme de 1 200 euros, ce versement entrainant renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

DECIDE

Article 1er : La requête n° 21BX02380 est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me B... la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme E... B... C... et à Me Mihidoiri B.... Copie pour information en sera délivrée au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 2 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2021.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

Le président,

Didier Artus

Le greffier,

Anthony Fernandez

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX02380 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02380
Date de la décision : 06/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : CABINET ALI - MAGAMOOTOO

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-06;21bx02380 ?
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