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14/10/2021 | FRANCE | N°19BX02412

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 14 octobre 2021, 19BX02412


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 443 977 euros en réparation des préjudices subis en raison de carences fautives dans l'exécution du contrat de travail qu'elle avait conclu avec le centre martiniquais d'action culturelle.

Par un jugement n° 1700140 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistr

s le 10 juin 2019, le 14 avril 2020 et le 21 octobre 2020, Mme A..., représentée par Me Co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 443 977 euros en réparation des préjudices subis en raison de carences fautives dans l'exécution du contrat de travail qu'elle avait conclu avec le centre martiniquais d'action culturelle.

Par un jugement n° 1700140 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 juin 2019, le 14 avril 2020 et le 21 octobre 2020, Mme A..., représentée par Me Coirier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 avril 2019 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 443 977 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande indemnitaire préalable avec capitalisation des intérêts dus à compter du 16 novembre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du tribunal est entaché d'une " omission à statuer " sur le moyen tiré de la responsabilité de l'Etat en raison de son comportement fautif à son égard indépendamment de sa responsabilité en raison du caractère d'association transparente du CMAC et dans l'exercice de sa mission de tutelle de ses organismes ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en jugeant que le CMAC n'était pas une association transparente ; dès lors la responsabilité de l'Etat est engagée pour faute en raison du manquement à son obligation d'assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses agents et de son absence d'intervention pour gérer les difficultés inhérentes à l'exécution de son contrat de travail ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en estimant que l'Etat n'avait pas commis de faute dans l'exercice de sa tutelle alors qu'il aurait dû exercer son contrôle en qualité dans le cadre du label scène nationale ;

- le tribunal a commis une erreur en refusant de retenir une faute de l'Etat au regard de son comportement à son égard dès lors que l'attitude de l'Etat l'a placée dans une situation de dépendance du fait de l'omniprésence de l'Etat dans les processus décisionnels et des engagements et promesses de ses représentants ;

- le préjudice matériel dont il est demandé réparation est indépendant de celui lié à son licenciement puisqu'il concerne la période postérieure. La perte de rémunération peut être évaluée à 242 977 euros pour la période courant du 1er août 2012 au 31 décembre 2018, à laquelle s'ajoutent la perte de chance de retrouver un emploi en 2019 et dans les années qui suivront, évaluée à la somme de 55 000 euros et la perte de chance d'obtenir une évolution de carrière favorable à hauteur de 25 000 euros ;

- l'absence de solution à sa situation a généré des troubles dans les conditions d'existence qui seront indemnisés à hauteur de 11 000 euros ainsi qu'un préjudice moral évalué à 110 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2020, le ministre de la culture conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement rendu par le tribunal est régulier ;

- les autres moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas ;

- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.

1. Mme B... A... a été recrutée en janvier 2011 dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de 18 mois pour assurer la direction du Centre martiniquais d'action culturelle (CMAC), association labellisée " Scène nationale ". Elle a rapidement été confrontée à des difficultés dans ses relations avec le président de cette institution ainsi qu'avec une partie des personnels et de la communauté artistique locale. En juin 2012, le président de l'association de gestion du CMAC a décidé de ne pas prolonger son contrat à son échéance fixée au 31 juillet 2012. Mme A... a saisi le conseil des prud'hommes le 22 août 2012, qui par jugement du 19 novembre 2013, a requalifié son contrat de travail en contrat à durée indéterminée et condamné l'association à l'indemniser pour rupture abusive. L'arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France invalidant cette décision pour incompétence de la juridiction judiciaire a été annulé par la Cour de cassation et renvoyé devant la cour d'appel de la Guadeloupe. Le CMAC s'étant désisté de son appel, le jugement du conseil des prud'hommes est devenu définitif. En dépit de nombreuses candidatures, Mme A... est sans emploi depuis 2012, n'ayant exercé depuis cette date que deux courtes missions pour le ministère de la culture. Estimant que l'Etat est responsable de cette situation, elle a demandé au tribunal administratif de la Martinique sa condamnation à l'indemniser à hauteur de 443 977 euros en raison des préjudices subis. Elle relève appel du jugement du 11 avril 2019 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des écritures de la requérante devant les premiers juges que, si elle a évoqué les discriminations et inégalités de traitement qu'elle estimait avoir subies dans l'exercice de sa mission et postérieurement à la rupture de son contrat de travail, l'impossibilité de poursuivre sa carrière professionnelle ainsi que des carences de l'administration dans la gestion de son dossier, ces griefs étaient rattachés aux obligations de l'Etat en tant que gestionnaire de fait du CMAC, d'une part, et en tant qu'autorité de tutelle, d'autre part. Dès lors que, dans le point 3 de leur jugement, les premiers juges ont estimé que l'association ne pouvait être regardée comme transparente, ils ont écarté de manière globale la responsabilité de l'Etat de ce chef et n'avaient pas à répondre point par point aux griefs de la requérante. Par ailleurs, au point 5 de leur jugement, ils ont rappelé que l'Etat n'était pas le gestionnaire de l'association CMAC et que les griefs formulés par la requérante, tirés de l'absence de prise de position sur la nature de son contrat de travail, l'absence de mesure permettant de mettre fin aux difficultés rencontrées, et l'absence de solution à la suite de son licenciement, étaient sans lien avec ses missions de contrôle. Ce faisant les premiers juges, qui ne sont pas tenus de répondre de façon exhaustive à tous les arguments avancés à l'appui d'un moyen, ont suffisamment répondu aux moyens tels qu'ils étaient présentés par la requérante. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une omission à répondre au moyen tiré de la responsabilité de l'Etat dans le cadre de sa relation directe avec elle.

Sur la responsabilité :

3. En premier lieu, une personne privée créée à l'initiative de plusieurs personnes publiques dont l'une contrôle, seule ou conjointement avec l'autre, l'organisation et le fonctionnement et lui procure l'essentiel de ses ressources doit être regardée comme " transparente ". En l'espèce, l'association du CMAC qui employait Mme A..., dont l'objet est de " contrôler la gestion matérielle et financière du centre martiniquais d'action culturelle dans l'accomplissement des missions au service des publics confiées par l'Etat et le département de la Martinique ", ainsi que cela résulte de l'article 3 de ses statuts, a été créée conjointement par l'Etat et le département de la Martinique qui disposent de ce fait de trois membres de droit chacun au conseil d'administration, où l'Etat ne dispose pas de la majorité. Depuis la création de l'association, le président du conseil d'administration est un membre associé, le bureau est composé d'au moins deux membres associés, l'Etat ne dispose pas de la majorité à l'assemblée générale et, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne résulte pas de l'instruction que l'Etat et le département de la Martinique, quand bien même ils partageraient des objectifs communs en matière de politique culturelle, n'auraient pas des intérêts distincts dans le cadre de leur participation à la gestion de l'association. Si le financement de l'association est assuré majoritairement par des subventions publiques à hauteur de 62 %, le complément est assuré par des financements propres et la part de l'Etat ne représente que 36 % du budget global. Malgré l'existence d'une présélection par le ministre de la culture et le président du conseil général de la Martinique et la nécessité d'obtenir leur agrément, le choix du directeur relève d'une décision autonome du conseil d'administration et une fois nommé, il dispose de larges pouvoirs en matière de recrutement et est le seul responsable du choix et des moyens d'action qu'il souhaite mettre en œuvre pour appliquer le programme sur lequel il a été sélectionné. A cet égard, la circonstance que le projet du directeur doive tenir compte des obligations liées à l'attribution du label " Scène nationale " et que ce label constitue un cadre pour l'exercice de l'activité du centre ne peut être regardée comme une influence directe de l'Etat dans la gestion quotidienne de l'association. Enfin, les subventions accordées se traduisent par un contrôle limité de l'Etat, résultant uniquement de la conclusion d'une convention annuelle de subventionnement, qui ne prévoit expressément aucune contrepartie directe et est seulement attachée au respect du cahier des charges du label " Scène Nationale " ainsi qu'à la participation du centre à l'objectif d'intérêt général de création, production et diffusion du spectacle vivant porté par le ministère de la culture. Ainsi, l'association, qui dispose dans ce cadre d'une grande autonomie organique, fonctionnelle et financière et agit en son nom et pour son propre compte, ne peut être regardée comme " transparente ". Par suite, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée au titre de carences fautives alléguées dans l'exécution du contrat de travail de Mme A..., laquelle relève uniquement de ses rapports de droit privé avec l'association et de la compétence des tribunaux judiciaires.

4. En deuxième lieu, si le CMAC, organisme de droit privé chargé d'une mission de service public, relève à ce titre d'un contrôle de l'Etat, ce contrôle portait uniquement, d'une part, sur le respect du cahier des charges du label " Scène nationale ", et, d'autre part, sur les modalités d'utilisation de la subvention dans le respect de la convention annuelle, laquelle renvoie au respect du label " Scène nationale " et à la participation de l'association à l'objectif de création, production et diffusion du spectacle vivant. De ce fait, l'Etat n'avait ni la compétence, ni les moyens pour superviser la gestion quotidienne de l'association. Ainsi, il ne peut lui être reproché de ne pas être intervenu dans le cadre des difficultés rencontrées par la requérante avec les personnels et dans le contentieux relatif à la fin de son contrat de travail, alors en outre, qu'il résulte des pièces du dossier que les services du ministère de la culture sont intervenus pour obtenir sa réintégration par l'association. Dans ce contexte, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les critiques médiatiques concernant la programmation et les tensions au sein de l'institution auraient porté atteinte au respect du cahier des charges du label " Scène nationale ", aucun manquement ne peut être retenu au titre de l'exercice par l'Etat de sa mission de contrôle et de surveillance du CMAC. Au surplus, si Mme A... soutient également que la décision de retrait du label " Scène nationale " dans le cadre de l'enquête qui a suivi son départ constituait une mesure insuffisante en l'absence de retrait de la subvention, une telle sanction n'aurait, en tout état de cause, pas été de nature à permettre son maintien à son poste.

5. S'agissant enfin des fautes qu'aurait commises l'Etat dans sa relation avec Mme A..., dès lors qu'il n'était pas gestionnaire de l'association et en raison de la nature de son pouvoir de contrôle, le ministre ne peut être rendu responsable des difficultés rencontrées par Mme A... dans l'exercice de ses missions, ni d'éventuelles discriminations dont elle aurait été l'objet dans ce cadre. Si Mme A... soutient qu'elle se trouvait en situation de dépendance vis à vis des services de l'Etat, les pièces qu'elle produit, qui consistent pour la plupart en des courriers et messages qu'elle a envoyés aux services du ministère de la culture, ne sont pas de nature à établir l'existence de pressions ou de promesses et le soutien moral apporté par ses interlocuteurs ne constituait pas un engagement de la part de l'Etat. Par ailleurs, alors que Mme A... n'était ni fonctionnaire, ni contractuelle du ministère de la culture, celui-ci n'avait pas d'obligation de lui proposer un poste à l'issue de son contrat avec le CMAC. Enfin, les circonstances que deux anciens directeurs de scènes nationales auraient obtenu immédiatement un nouveau poste ou des subventions, alors qu'elle n'a pour sa part obtenu aucun poste depuis 2012 malgré de multiples candidatures, ne sont pas de nature à permettre de considérer que l'Etat aurait mis des obstacles à la poursuite de sa carrière alors qu'il ressort des pièces produites que les services du ministère se sont efforcés de lui apporter leur soutien dans ses recherches. Par suite, en l'absence de faute, la responsabilité de l'Etat ne peut pas être engagée à ce titre.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Enfin, l'Etat, qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat et ne justifie pas avoir exposé des frais spécifiques à l'occasion de l'instance, n'est pas fondé à demander qu'une somme soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : La demande de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la ministre de la culture.

Délibéré après l'audience du 16 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente assesseure,

Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 octobre 2021.

La rapporteure,

Christelle Brouard-LucasLa présidente,

Marianne Hardy

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX02412 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX02412
Date de la décision : 14/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Associations et fondations - Questions communes.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Christelle BROUARD-LUCAS
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : COIRIER

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-10-14;19bx02412 ?
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