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05/10/2021 | FRANCE | N°21BX01084

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 05 octobre 2021, 21BX01084


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 15 décembre 2020 par lequel la préfète de la Vienne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2100068 du 22 février 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 15 décembre 2020, a enjoint à la préfète de la Vienne de réexaminer la situation de Mme D... dans

le délai de trois mois à compter de la notification du jugement en la munissant dans cette a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 15 décembre 2020 par lequel la préfète de la Vienne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2100068 du 22 février 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 15 décembre 2020, a enjoint à la préfète de la Vienne de réexaminer la situation de Mme D... dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement en la munissant dans cette attente d'une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat une somme de 900 euros à verser à la SCPA Breillat-Dieumegard-Masson dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 mars 2021, la préfète de la Vienne demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers du 22 février 2021 ;

2°) de rejeter les conclusions de première instance présentées par Mme D....

Elle soutient que :

- en reprochant à l'arrêté en litige de ne pas avoir fait mention d'éléments de la vie privée et familiale de l'intéressée, dont seuls l'OFPRA et la CNDA avaient connaissance, le tribunal administratif a commis une erreur d'appréciation ;

- l'intéressée n'a pas apporté à la préfecture la preuve de la naissance d'un enfant et elle n'a pas non plus déclaré qu'elle était en concubinage avec un ressortissant guinéen ; dès lors, le tribunal ne pouvait reprocher à l'arrêté attaqué la motivation selon laquelle Mme D... est célibataire et n'a aucune attache sur le territoire national.

Par mémoire en défense enregistré le 31 mai 2021, Mme D..., représentée par Me Masson, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 2 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au

24 juin 2021 à 12 heures.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 juin 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dominique Ferrari, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante guinéenne née le 6 avril 1999, est entrée en France irrégulièrement le 22 octobre 2018. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par une décision du 29 juillet 2019, confirmée par la cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 2 septembre 2020. Par un arrêté du 15 décembre 2020, la préfète de la Vienne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par jugement n° 2100068 du

22 février 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a prononcé l'annulation de cet arrêté et a enjoint à la préfète de la Vienne de réexaminer la situation de Mme D... dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement. La préfète de la Vienne relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Pour annuler la mesure d'éloignement prise à l'encontre de Mme D... et, par voie de conséquence, les autres mesures contenues dans l'arrêté du 15 décembre 2020, la magistrate désignée du tribunal administratif de Poitiers a estimé que : " Il ressort des pièces du dossier et en particulier des termes de la décision de la CNDA que Mme D..., qui était enceinte à la date de l'arrêté litigieux, a déclaré, à l'occasion de l'examen sa demande d'asile, vivre en couple avec un compatriote et avoir un enfant né en 2019. Dans ces circonstances, la préfète de la Vienne, en se bornant à indiquer que Mme D... est entrée irrégulièrement sur le territoire français, que sa demande d'asile a été rejetée et qu'elle aurait indiqué être célibataire et n'avoir aucune attache sur le territoire national, sans tenir compte de sa situation familiale, a entaché son arrêté d'un défaut d'examen réel et sérieux de la situation de Mme D.... ".

3. E..., si, Mme D... avait fait état, au cours de sa demande d'asile, de la naissance d'un enfant en 2019 et de sa situation de concubinage, la confidentialité des éléments d'information détenus par l'OFPRA et la CNDA relatifs à la personne sollicitant la qualité de réfugié est une garantie essentielle du droit d'asile, principe de valeur constitutionnelle. Par suite, les services de la préfecture, qui ont instruit le dossier de Mme D... n'avaient pas connaissance du contenu de son dossier de demande d'asile et donc n'avaient pas connaissance de la naissance de l'enfant de Mme D... en 2019 ni de sa relation de concubinage en France avec un compatriote guinéen. En tout état de cause, dès lors que Mme D... avait sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du droit d'asile, elle ne pouvait ignorer, en raison même de l'accomplissement de cette démarche, qu'en cas de rejet, elle pourrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement assortie d'une décision fixant le pays de destination. Ainsi il lui appartenait, au cours de l'instruction de cette demande, de faire valoir auprès de l'administration, qui n'était pas tenue de l'inviter à user de cette possibilité, toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux de nature à justifier son admission au séjour, y compris sur un fondement autre que l'asile. En l'espèce, Mme D..., qui avait indiqué être célibataire, n'a pas informé la préfecture de la naissance de son enfant en 2019 ni de son concubinage et n'a pas sollicité un titre de séjour en se prévalant de cette situation. Dans ces conditions, la préfète ne peut être regardée, en n'ayant pas mentionné ces éléments dans l'arrêté attaqué, comme ayant entaché celui-ci d'un défaut d'examen réel et sérieux de la situation personnelle de Mme D.... La préfète est donc fondée à soutenir que c'est à tort que le premier juge, pour annuler son arrêté du 15 décembre 2020, s'est fondé sur un tel motif.

4. Il appartient à la cour saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme D... à l'encontre de l'arrêté du 15 décembre 2020.

Sur la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif :

En ce qui concerne l'arrêté dans son ensemble :

5. Il ressort des dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 27 novembre 2020, donnant délégation de signature à M. B... Soumbo, produit par la préfète devant les premiers juges et régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Vienne, que M. Soumbo, secrétaire général de la préfecture de la Vienne, disposait d'une délégation de signature à l'effet de signer l'ensemble des décisions et actes relevant des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.

En ce qui concerne les moyens dirigés contre une décision portant refus de titre de séjour :

6. Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la préfète de la Vienne, qui s'est bornée à prendre une mesure d'éloignement consécutivement au rejet de la demande d'asile de la requérante en application du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aurait entendu refuser à Mme D... la délivrance d'un titre de séjour. Par suite, les moyens soulevés par l'intéressée à l'encontre d'une telle décision ne peuvent qu'être écartés comme étant inopérants.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :

7. En premier lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit au point 6 que Mme D... ne peut utilement soutenir que la décision attaquée serait privée de base légale en raison de l'illégalité d'une décision portant refus de titre de séjour.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Mme D... fait valoir qu'elle vit en France depuis plus de deux ans avec un compatriote guinéen avec lequel elle a donné naissance à un fils le 16 août 2019 et une fille le 20 février 2021 et qu'elle n'a plus de contact avec la Guinée par crainte de la situation qui a motivé son départ et le dépôt de sa demande d'asile et qu'ainsi, le centre de ses intérêts se situe désormais en France, où elle réside avec son compagnon et ses enfants. E..., il ressort des pièces du dossier que le compagnon de la requérante, qui se trouve en situation irrégulière sur le territoire national, a également fait l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français avec une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Dans ces circonstances et eu égard au jeune âge des enfants du couple, il n'existe pas d'obstacle avéré à une reconstitution de la cellule familiale en Guinée. De plus, la requérante, qui a vécu en Guinée jusqu'à l'âge de 19 ans ne démontre pas avoir rompu tout lien avec sa famille en se bornant à affirmer, sans aucun commencement de preuve, qu'elle aurait fait l'objet en 2016, en Guinée, d'un mariage forcé, Enfin, Mme D... n'apporte aucun élément de nature à démontrer une insertion particulière au sein de la société française. Dans ces conditions, l'arrêté en litige n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris.

10. Enfin, eu égard à la durée du séjour, au jeune âge des enfants et à la circonstance que rien ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue en Guinée, la décision contestée ne porte pas d'atteinte à l'intérêt supérieur des enfants de A... D... et ne méconnait pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

12. En deuxième lieu, la décision fixant le pays de destination de Mme D... vise les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, elle relève que l'intéressée est une ressortissante de nationalité guinéenne dont la demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA et par la CNDA, qu'elle fait par suite l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et qu'elle n'établit pas être exposée à des traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée doit être écarté.

13. En dernier lieu, Mme D... soutient qu'elle a subi, dans son pays d'origine, un mariage forcé, célébré en 2016, et que sa soustraction à cette union l'expose à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. Toutefois, alors que sa demande d'asile a été rejetée, la requérante n'apporte aucun commencement de preuve à l'appui de ses allégations, qui sont au demeurant peu circonstanciées. Par ailleurs, si Mme D... fait valoir qu'en cas de retour en Guinée, sa fille risquerait de subir une excision, la requérante se borne à faire état de considérations générales sans apporter de précisions relatives aux risques auxquels son enfant serait personnellement exposée, la seule circonstance qu'elle aurait elle-même subi cette pratique dans son enfance ne pouvant suffire à établir la réalité du risque actuellement encouru par sa fille. Dans ces conditions, Mme D... n'établit pas que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Vienne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 15 décembre 2020.

Sur les conclusions présentées au titre des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont Mme D... demande le versement à son conseil sur ces fondements.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2100068 du 22 février 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel présentées par Mme D... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C... D.... Copie en sera adressée à la préfète de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Nicolas Normand, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2021.

Le rapporteur,

Dominique Ferrari La présidente,

Evelyne Balzamo Le greffier,

Stéphan Triquet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

3

N° 21BX01084


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01084
Date de la décision : 05/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Dominique FERRARI
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SCP BREILLAT DIEUMEGARD MASSON

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-10-05;21bx01084 ?
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