La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/10/2021 | FRANCE | N°20BX04208

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 05 octobre 2021, 20BX04208


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 30 juillet 2020 par lesquels le préfet de Vaucluse lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2003799 du 4 août 2020, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :
<

br>Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 décembre 2020 et le 30 avril 2021, M. B..., ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 30 juillet 2020 par lesquels le préfet de Vaucluse lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2003799 du 4 août 2020, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 décembre 2020 et le 30 avril 2021, M. B..., représenté par Me Durand, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les arrêtés du 30 juillet 2020 par lesquels le préfet de Vaucluse lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'a pas bénéficié, à l'audience, de l'assistance de l'interprète qu'il avait demandée ; le jugement ne porte aucune mention de cette irrégularité ;

- le premier juge a également omis de se prononcer sur les moyens tirés du vice d'incompétence négative et de la présomption de minorité qui prévalait en l'espèce ;

- l'arrêté a été édicté par une autorité incompétente ;

- il est entaché d'un défaut de motivation ainsi que d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît le 1°) de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu de son âge à la date de la décision, les documents produits par le préfet ne permettant pas d'établir sa majorité ; le conseil départemental n'a pas respecté les modalités d'évaluation de sa situation prévues par l'arrêté du 20 novembre 2019 ; les actes d'état civil qu'il a produits à l'administration n'ont pas été remis en cause conformément à l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à l'article 1er du décret n° 2015-1710 du 24 décembre 2015 puisque l'autorité étrangère compétente n'a été saisie d'aucune demande de vérification ; sa majorité ne saurait être déduite de son refus d'être soumis à un test osseux ; les conditions pour ordonner un examen d'âge osseux, soit l'absence de validité des documents d'état civil et l'invraisemblance de l'âge allégué, n'étaient pas réunies en l'espèce ; le juge des tutelles a ordonné une expertise documentaire sur son acte de naissance et la police aux frontières a conclu au caractère authentique de l'acte ; il établit ainsi sa minorité ;

- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- les décisions refusant un délai de départ volontaire, fixant le pays de renvoi et lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée d'un an sont dépourvues de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision d'éloignement ;

- l'interdiction de retour sur le territoire national pour une durée d'un an méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant malien se disant né le 15 juin 2003, est entré en France en novembre 2019 selon ses déclarations. Par deux arrêtés du 30 juillet 2020, le préfet de Vaucluse, estimant que M. B... était majeur, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire national pour une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 4 août 2020 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 776-23 du code de justice administrative, applicable aux recours formés contre les obligations de quitter le territoire français lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence : " Dans le cas où l'étranger, qui ne parle pas suffisamment la langue française, le demande, le président nomme un interprète qui doit prêter serment d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience. Cette demande peut être formulée dès le dépôt de la requête introductive d'instance. Lors de l'enregistrement de la requête, le greffe informe au besoin l'intéressé de la possibilité de présenter une telle demande. ".

3. M. B..., placé en rétention administrative par un arrêté du préfet de Vaucluse du 30 juillet 2020, fait valoir qu'il n'a pas bénéficié d'un interprète lors de l'audience devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse qui s'est tenue le 4 août 2020. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. B... avait demandé le concours d'un interprète en langue soninké dans sa requête et son mémoire complémentaire enregistrés devant le tribunal administratif les 31 juillet et 3 août 2020. Alors qu'une telle demande n'apparaissait pas manifestement injustifiée, l'intéressé ayant systématiquement sollicité l'assistance d'un interprète lors de ses auditions par les services de police, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a statué sans se prononcer préalablement sur cette demande. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir que ce jugement doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tenant à la régularité de ce même jugement.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer immédiatement, par voie d'évocation, sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Sur la légalité des arrêtés du 30 juillet 2020 :

5. En premier lieu, les arrêtés contestés ont été signés par M. A... E..., sous-préfet, directeur de cabinet du préfet de Vaucluse, qui bénéficiait d'une délégation, en vertu d'un arrêté du 2 mars 2020 régulièrement publié, à l'effet de signer notamment les décisions prévues à l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire des arrêtés doit donc être écarté.

6. En deuxième lieu, les décisions en litige comportent les éléments de droit et de fait qui les fondent et sont ainsi suffisamment motivées.

7. En troisième lieu, la motivation des arrêtés révèle que le préfet s'est livré à un examen particulier de la situation de M. B..., et il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'il se serait cru, à tort, en situation de compétence liée pour édicter la mesure d'éloignement en litige.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Enfin, aux termes de l'article 388 du même code : " Le mineur est l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis. / Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. / Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Le doute profite à l'intéressé (...).

9. L'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il résulte également de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

10. A l'appui du moyen tiré de ce qu'étant mineur, il ne pouvait légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, M. B... produit un jugement supplétif d'acte de naissance du tribunal civil de Bafoulabe (Mali) du 12 avril 2019 et l'acte de naissance n° 108 établi le 15 mai 2019 par le centre principal de Diakon sur la base de ce jugement supplétif. Toutefois, l'analyse documentaire effectuée le 13 mai 2020 dans le cadre de la procédure judiciaire diligentée pour " escroquerie à l'aide sociale à l'enfance et détention et usage de faux documents administratifs " relève, d'une part, que le jugement supplétif ne comporte pas de photographie d'identité permettant d'identifier son titulaire et présente des " alignements douteux ", d'autre part, que l'acte de naissance ne respecte pas le formalisme prévu à l'article 126 de la loi du 30 décembre 2011 portant code des personnes et de la famille au Mali en vertu duquel la date d'établissement de l'acte doit être rédigée en toutes lettres. Ce rapport, dont la pertinence des indications ne saurait être remise en cause au seul motif qu'il repose sur une analyse de copies des actes précités et non pas des originaux, émet un avis défavorable sur l'authenticité des documents en cause. Devant la cour, M. B... produit un nouveau rapport d'analyse documentaire, établi le 19 février 2021 à la demande du juge des tutelles, portant sur l'acte de naissance n°108 établi le 15 mai 2019 par le centre principal de Diakon, qui conclut à l'absence d'élément suffisant à invalider le document. Il ressort cependant de ce rapport que l'acte de naissance en cause se réfère à une déclaration faite en 2020, alors qu'un acte d'état civil délivré sur la base d'un jugement supplétif ne peut être établi que postérieurement à ce jugement et devrait préciser qu'il transcrit une déclaration tardive par jugement supplétif. De plus, alors que les actes de naissance successivement produits par le requérant comportent le même numéro et la même date d'établissement, certaines de leurs mentions diffèrent, notamment la date de la déclaration, de sorte qu'il ne s'agit en réalité pas du même document. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. B..., qui déclare avoir quitté le Mali en février 2019, a été interpellé en Espagne le 7 octobre 2018 pour infraction à la législation sur les étrangers. Or, lors de cette interpellation, au cours de laquelle ses empreintes digitales ont été relevées, il a indiqué se nommer Oumar B... et être né le 1er janvier 1998. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'il était mineur à la date de l'arrêté attaqué, ni que le préfet de Vaucluse aurait méconnu le principe de présomption de minorité prévu à l'article 47 du code civil.

11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

12. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., entré en France en 2019 selon ses déclarations, est célibataire et sans charge de famille. Il ne justifie d'aucune attache particulière en France et ses parents ainsi que les membres de sa fratrie résident au Mali. Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire français n'a pas été prise en méconnaissance des stipulations citées ci-dessus. Pour les mêmes motifs, cette décision ne repose pas sur une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.

13. En sixième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français pour soutenir que les décisions lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire, fixant le pays de renvoi et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français seraient elles-mêmes illégales.

14. Enfin, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12, les moyens tirés de ce que l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

15. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation des arrêtés du préfet de Vaucluse du 30 juillet 2020.

Sur les frais liés au litige :

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de quelque somme que ce soit au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2003799 du 4 août 2020 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulouse, ensemble le surplus de ses conclusions d'appel, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.

Délibéré après l'audience du 31 août 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 octobre 2021.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve D...

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX04208


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX04208
Date de la décision : 05/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : DURAND

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-10-05;20bx04208 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award