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30/09/2021 | FRANCE | N°19BX01820

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 30 septembre 2021, 19BX01820


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 775 617,80 euros, majorée des intérêts, en réparation du préjudice matériel et du préjudice moral qu'il a subis à la suite de la mesure de radiation prononcée en 1985 et des décisions de refus de réintégration ultérieures.

Par un jugement n° 1600902 du 8 janvier 2019, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par u

ne requête, enregistrée le 5 mai 2019, M. A..., représenté par Me Zaïr, demande à la cour :

1°) d'an...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 775 617,80 euros, majorée des intérêts, en réparation du préjudice matériel et du préjudice moral qu'il a subis à la suite de la mesure de radiation prononcée en 1985 et des décisions de refus de réintégration ultérieures.

Par un jugement n° 1600902 du 8 janvier 2019, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 mai 2019, M. A..., représenté par Me Zaïr, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 8 janvier 2019 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 775 617,80 euros, majorée des intérêts, en réparation du préjudice matériel et du préjudice moral qu'il a subis à la suite de la mesure de radiation prononcée en 1985 et des décisions de refus de réintégration ultérieures ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée pour faute à raison de l'illégalité de la décision du 2 août 1985 du ministre de l'éducation nationale prononçant sa radiation des cadres ainsi que de celles refusant sa réintégration ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques ; par une décision n° 142247 du 9 septembre 1996 le Conseil d'Etat a annulé les décisions du ministre de l'éducation nationale des 16 mars et 28 août 1989 rejetant sa demande présentée en vue de sa réintégration dans le corps des professeurs de collège d'enseignement technique ; il a subi un préjudice anormal et spécial ;

- il a subi un préjudice de carrière imputable à l'administration qui doit être indemnisé à hauteur de 1 275 617,80 euros ;

- il a subi un préjudice moral qui doit être indemnisé à hauteur de 500 000 euros ;

- l'exception de prescription quadriennale ne peut lui être opposée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2020, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les conclusions tendant à la réparation d'un préjudice moral assorti des intérêts sont nouvelles en appel et donc irrecevables ; aucun des autres moyens n'est fondé.

Par une ordonnance du 1er décembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 janvier 2021 à 12h00.

Un mémoire a été enregistré le 18 août 2021 pour M. A..., représenté par Me Zaïr.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi du 25 juillet 1919 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- et les observations de M. A....

Une note en délibéré présentée par M. A... a été enregistrée le 3 septembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., professeur de collège d'enseignement technique, alors affecté au lycée d'enseignement professionnel du port dans l'académie de La Réunion, a été radié des cadres par une décision du ministre de l'éducation nationale du 2 août 1985 à la suite de faits de détournement de mineure ayant donné lieu à une condamnation pénale. M. A... a demandé à plusieurs reprises sa réintégration dans ses fonctions d'enseignant mais ses demandes ont été rejetées par le ministre de l'éducation nationale. Par un courrier du 29 mars 2016, M. A... a demandé au ministre de l'éducation nationale de lui verser une somme de 1 275 617,80 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 2 août 1985 le radiant des cadres. Devant le silence de l'administration, il a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une demande de condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 1 775 617,80 euros en réparation du préjudice matériel et du préjudice moral subis du fait de la décision de radiation des cadres et des décisions postérieures par lesquelles le ministre a refusé de le réintégrer. Il relève appel du jugement du 8 janvier 2019 du tribunal administratif de La Réunion rejetant sa demande.

Sur la responsabilité pour faute :

2. Aux termes de l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire : (...) 3° le cas échéant, si les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire sont incompatibles avec l'exercice de ses fonctions (...) ". Selon l'article 24 de cette même loi : " La cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte (...) : la déchéance des droits civiques (...) Toutefois, l'intéressé peut solliciter auprès de l'autorité ayant pouvoir de nomination, qui recueille l'avis de la commission administrative paritaire, sa réintégration à l'issue de la période de privation des droits civiques (...) ". Enfin, aux termes de l'article 4 de la loi du 25 juillet 1919 relative à l'organisation de l'enseignement technique : " Sont incapables de diriger une école publique ou privée d'enseignement technique ou d'y être employés, à quelque titre que ce soit, ceux qui ont subi une condamnation judiciaire pour crime de droit commun ou pour délit contraire à la probité et aux mœurs ".

3. En premier lieu, M. A... fait valoir que la décision de radiation des cadres du 2 août 1985 est illégale dès lors qu'elle est fondée sur la déchéance des droits civiques dont il n'avait pas été privé du seul fait de sa condamnation pour des faits de détournement de mineure. Toutefois la circonstance, que cette condamnation n'ait pas entrainé la condamnation automatique à la peine accessoire de déchéance de ses droits civiques et que la décision du 2 août 1985 serait dès lors illégale ne pourrait constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat que pour autant qu'elle ait été à l'origine d'un préjudice direct et certain. Or les faits commis par M. A... ont donné lieu à une condamnation portée au bulletin n° 2 de son casier judiciaire pour un délit contraire à la probité et aux mœurs au sens de l'article 4 de la loi du 25 juillet 1919 précité, ainsi que l'a relevé le Conseil d'Etat dans sa décision n° 102075 du 2 mars 1992. Le ministre aurait donc nécessairement pris la même décision s'il s'était fondé sur l'article 4 de la loi du 25 juillet 1919 dès lors qu'il était tenu de prendre la mesure de radiation des cadres. Par suite, la faute commise par l'administration en prenant cette décision illégale n'est pas à l'origine du préjudice résultant pour M. A... de sa radiation des cadres en 1985.

4. En second lieu, M. A... soutient que les décisions du ministre de l'éducation nationale refusant de le réintégrer, sans d'ailleurs préciser lesquelles, seraient illégales et fautives en ce qu'elles méconnaitraient l'autorité de la chose jugée par la décision du Conseil d'Etat n° 142247 du 9 septembre 1996. Par cette décision, le Conseil d'Etat a annulé la décision du 28 août 1989 du ministre de l'éducation nationale refusant de le réintégrer dans ses fonctions de professeur de lycée professionnel au motif qu'en vertu de la loi du 20 juillet 1988, la condamnation pénale de M. A... étant amnistiée, la décision refusant de le réintégrer ne pouvait se fonder sur cette condamnation et la décision était entachée d'erreur de droit. Toutefois, en ce qui concerne la décision du 28 août 1989, son illégalité ne serait susceptible de constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat que pour autant qu'elle ait été à l'origine d'un préjudice direct et certain. Or, les faits commis par le requérant, alors professeur dans un lycée, sur la personne d'une élève mineure, étaient incompatibles avec la nature des fonctions et des obligations qui incombent au personnel enseignant. Par suite, compte tenu de la gravité de ces agissements, le ministre aurait pris la même mesure de refus de réintégration s'il n'avait pas commis l'erreur de droit censurée par le Conseil d'Etat. Dès lors, la faute commise par l'administration en prenant cette décision illégale du 28 août 1989 n'est pas à l'origine d'un préjudice pour M. A.... Il en est de même en ce qui concerne les décisions refusant de le réintégrer postérieurement à la décision du Conseil d'Etat du 9 septembre 1996, laquelle n'impliquait pas la réintégration de M. A... mais seulement que les décisions de refus de le réintégrer ne soient pas fondées sur la condamnation, amnistiée, de M. A....

Sur la responsabilité sans faute :

5. M. A... n'est pas fondé à demander l'indemnisation d'un préjudice sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'administration, dès lors qu'il appartient au ministre de prendre les mesures destinées à garantir le bon fonctionnement du service public de l'éducation et à protéger les élèves. Par suite, les décisions radiant des cadres un enseignant en raison de faits contraires aux mœurs et refusant de le réintégrer, ne peuvent ouvrir droit à indemnisation que si elles sont constitutives d'une faute.

6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner ni l'exception de prescription quadriennale ni la fin de non-recevoir opposée en défense par le ministre, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Délibéré après l'audience du 2 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 septembre 2021.

La rapporteure,

Fabienne Zuccarello La présidente,

Marianne Hardy

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX01820


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01820
Date de la décision : 30/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-015 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de l'enseignement.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Fabienne ZUCCARELLO
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : ZAIR

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-09-30;19bx01820 ?
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