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27/09/2021 | FRANCE | N°21BX00782

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 27 septembre 2021, 21BX00782


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 septembre 2020 par lequel la préfète de la Gironde a décidé son transfert aux autorités espagnoles responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2004187 du 2 octobre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 février 2021, M. B..., représenté par Me Ch

amberland-Poulin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Borde...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 septembre 2020 par lequel la préfète de la Gironde a décidé son transfert aux autorités espagnoles responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2004187 du 2 octobre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 février 2021, M. B..., représenté par Me Chamberland-Poulin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 2 octobre 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 septembre 2020 de la préfète de la Gironde ;

3°) d'être assisté d'un interprète à l'audience ;

4°) d'enjoindre à la préfète de lui délivrer une attestation de demande d'asile et un formulaire destiné à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, à défaut de réexaminer sa situation en lui délivrant dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de soixante-douze heures, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le premier juge a écarté à tort les moyens tirés de l'incompétence du signataire de l'acte, de la violation des articles 4 et 5 du règlement 604/2013/UE du 26 juin 2013, de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard du paragraphe 2 de l'article 3 et de l'article 17 du règlement n°604/2013/UE du 26 juin 2013 ;

- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant de la réponse à son moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté en litige est entaché du vice d'incompétence ;

- il méconnaît le droit à l'information prévu à l'article 4 du règlement n°604/2013/UE du 26 juin 2013 dès lors que le livret " Les empreintes et Eurodac " ne lui a pas été remis et que les deux autres brochures qui lui ont été remises sont rédigées en français, langue qu'il ne sait ni lire ni écrire ;

- il méconnaît l'article 5 du règlement n°604/2013/UE du 26 juin 2013 et l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il n'a pas bénéficié de l'assistance d'un interprète lors de la notification de l'arrêté alors qu'il ne comprend pas le français et que l'administration ne justifie pas que l'entretien individuel a eu lieu dans des conditions garantissant la confidentialité, ni qu'il a été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ;

- l'arrêté contesté méconnaît l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013, dès lors qu'il est entré en France en août 2020, soit plus d'un an après le relevé de ses empreintes en Espagne le 14 juin 2019, de sorte que les autorités espagnoles ne sont plus responsables de l'examen de sa demande d'asile ;

- il méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en raison de la situation sanitaire en Espagne ;

- cet arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard du paragraphe 2 de l'article 3 et de l'article 17 du règlement n°604/2013/UE du 26 juin 2013 dès lors que la préfète n'a pas fait application de la clause discrétionnaire alors qu'il a été confronté à des difficultés majeures en Espagne dans le cadre de l'accueil qui lui a été réservé par ces autorités, confrontées de surcroit à la crise sanitaire.

Par lettre enregistrée le 4 août 2021, la préfète de la Gironde a informé la cour que la décision de transfert en litige avait été exécutée le 20 octobre 2020.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 janvier 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Agnès Bourjol,

- et les observations de Me Chamberland-Poulin, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant guinéen né le 12 décembre 1999, déclare être entré irrégulièrement en France le 17 juillet 2020. Le 3 août 2020, il a déposé une demande d'asile auprès de la préfecture de la Gironde. Le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé que l'intéressé était connu des autorités espagnoles. Ces autorités, saisies le 14 août 2020 d'une demande de reprise en charge sur le fondement de l'article 18-1 d) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont explicitement accepté, le 18 août 2020, de reprendre en charge l'intéressé. Par un arrêté du 3 septembre 2020, la préfète de la Gironde a prononcé le transfert de M. B... aux autorités espagnoles en vue de l'examen de sa demande d'asile. M. B... relève appel du jugement du 2 octobre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la demande d'assistance par un interprète :

2. Les dispositions de l'article R. 776-23 du code de justice administrative, qui instituent au profit de l'étranger qui ne parle pas suffisamment la langue française la possibilité de bénéficier de l'assistance d'un interprète lors de l'audience afin de présenter des observations orales, ne sont applicables qu'aux seuls recours dirigés contre les décisions d'éloignement, lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence. L'appelant ne peut donc utilement invoquer ces dispositions. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que les circonstances de l'espèce rendent utile la désignation d'un interprète dans la présente instance.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 9 : " Les jugements sont motivés ". Afin de satisfaire au principe de motivation des décisions de justice, rappelé au point précédent, le juge administratif doit répondre, à proportion de l'argumentation qui les étaye, aux moyens qui ont été soulevés par les parties auxquelles sa décision fait grief et qui ne sont pas inopérants.

4. En relevant qu'"il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... serait exposé au risque d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants du fait de la situation sanitaire en Espagne liée à l'épidémie de Covid 19 ", le premier juge a, eu égard aux précisions et justificatifs produits par l'intéressé au soutien du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen, suffisamment répondu à ce moyen.

5. Le moyen tiré de ce que le premier juge aurait écarté à tort les moyens tirés de l'incompétence du signataire de l'acte, de la violation des articles 4 et 5 du règlement 604/2013/UE du 26 juin 2013, de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard du paragraphe 2 de l'article 3 et de l'article 17 du règlement n°604/2013/UE du 26 juin 2013 se rattache, non à la régularité du jugement attaqué, mais à son bien-fondé.

6. Par suite, les moyens tirés de ce que le jugement attaqué serait irrégulier doivent être écartés.

Sur la légalité de l'arrêté du 3 septembre 2020 :

7. En premier lieu, par un arrêté du 31 août 2020 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Gironde n°33-2020-058-31-003 du même jour, la préfète de la Gironde a donné délégation à Mme C... A..., cheffe du bureau de l'asile et du guichet unique, en cas d'absence de M. D..., directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, " Toutes décisions et correspondances prises en application du livre VII (partie législative et réglementaire) du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) ". Par ailleurs, M. B... n'établit pas que le directeur des migrations et de l'intégration de la préfecture de la Gironde n'était ni absent ni empêché lors de la signature de cet arrêté par Mme A.... Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté litigieux manque en fait et doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de 1'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de 1'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de 1'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. (...) ". En vertu de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'État membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les États membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; c) des destinataires des données; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1. 2. Dans le cas de personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, les informations visées au paragraphe 1 du présent article sont fournies au moment où les empreintes digitales de la personne concernée sont relevées (...) ".

9. Monsieur B... soutient, d'une part, que la brochure intitulée " Les empreintes et Eurodac " ne lui a pas été remise. Il ressort des pièces du dossier qu'il s'est vu remettre le 3 août 2020, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, la brochure A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin. Qu'est-ce que cela signifie ' " qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement. Il ne ressort en revanche d'aucune pièce du dossier qu'il aurait reçu le livret " Les empreintes et Eurodac ". Toutefois, la brochure A comporte bien les informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les empreintes digitales sont vérifiées dans la base de données Eurodac, conformément au point 3 de l'article 4 du règlement Dublin. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'absence de ce document a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision contestée. En tout état de cause, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 précité, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre de la décision par laquelle l'État français remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande.

10. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que les brochures A et B, mentionnées au point précédent, ont été remises à M. B... en langue française, qu'il a déclaré comprendre devant les agents de la préfecture. Si l'intéressé soutient qu'il ne sait ni lire ni écrire le français, il a cependant signé les brochures concernées sans émettre la moindre observation quant aux difficultés qu'il aurait rencontrées pour comprendre les informations portées à sa connaissance et a indiqué, selon le compte-rendu de l'entretien individuel signé par ses soins, comprendre et lire le français. Dans ces conditions, le préfet pouvait raisonnablement supposer que M. B... comprenait et savait lire le français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".

12. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend ".

13. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié le 3 août 2020, dans les locaux de la préfecture de la Gironde, de l'entretien individuel requis par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013. Cet entretien a été assuré par un agent du bureau de l'asile et guichet de la préfecture de Gironde, en français, langue que l'intéressé a déclaré comprendre. En l'absence de tout élément contraire versé au dossier, cet agent doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national. En outre, l'appelant ne se prévaut, en tout état de cause, d'aucun élément permettant de retenir que cet entretien n'aurait pas été réalisé dans des conditions en garantissant la confidentialité au sens des dispositions précitées. Par ailleurs, si M. B... soutient que la notification de l'arrêté contesté a été effectuée sans interprète en méconnaissance des dispositions précitées, ainsi qu'il a été dit précédemment, M. B... a déclaré comprendre le français. En tout état de cause, les conditions de notification d'une décision sont sans influence sur sa légalité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.

14. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. (...) ". Aux termes de l'article 7 du même règlement : "1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre./ 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. ". Les articles 7 à 15 du règlement fixent les critères permettant de déterminer l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. Aux termes de l'article 13 du règlement Dublin IIII : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) no 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière./ 2. Lorsqu'un État membre ne peut pas, ou ne peut plus, être tenu pour responsable conformément au paragraphe 1 du présent article et qu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, que le demandeur qui est entré irrégulièrement sur le territoire des États membres ou dont les circonstances de l'entrée sur ce territoire ne peuvent être établies a séjourné dans un État membre pendant une période continue d'au moins cinq mois avant d'introduire sa demande de protection internationale, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. (...) ". Aux termes de l'article 18 du même règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...)/ d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. ".

15. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, notamment de celles du paragraphe 2 de l'article 7 et de l'article 13, que les critères prévus par cet article 13 ne sont susceptibles de s'appliquer que lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente une demande d'asile pour la première fois depuis son entrée sur le territoire de l'un ou l'autre des Etats membres. En particulier, les dispositions de cet article 13 ne s'appliquent pas lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente, fût-ce pour la première fois, une demande d'asile dans un Etat membre après s'être vu refuser l'asile par un autre Etat membre.

16. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a sollicité l'asile en Espagne le 14 juin 2019. Ainsi, contrairement à ce que soutient l'appelant et compte tenu de ce qui a été indiqué au point précédent, la préfète de la Gironde ne pouvait pas tenir compte de la situation existante à la date de sa nouvelle demande d'asile, et notamment du fait qu'il aurait franchi depuis plus de douze mois la frontière de l'Espagne ou n'auraient pas séjourné dans un Etat membre pendant une période d'au moins cinq mois avant d'introduire sa demande en France, pour reconnaître la compétence de la France sur le fondement des dispositions de l'article 13 du règlement n° 604/2013. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

17. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". En vertu de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". Si la mise en œuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

18. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en œuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur.

19. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Espagne et de la situation particulière de M. B..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités espagnoles, il ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en œuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013.

20. L'Espagne étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités espagnoles répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

21. D'une part, M. B... fait valoir que l'Espagne rencontre des difficultés majeures pour accueillir les demandeurs d'asile dans des conditions conformes au respect du droit d'asile. Il soutient que les structures d'hébergements sont totalement surchargées, si bien que la majorité des demandeurs d'asile se retrouvent à la rue, ne survivant que grâce à l'aide des organisations caritatives et que cette situation est aggravée par la crise sanitaire qui entraine une saturation des infrastructures médicales en Espagne, l'un des pays les plus touché par cette crise. Toutefois, en se bornant à ces allégations générales, sans produire aucune pièce à leur soutien, M. B... n'établit pas l'existence de défaillances systémiques en Espagne qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni qu'il court un risque personnel et réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants en Espagne contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, le fait que l'Espagne soit, comme la France, affectée par l'épidémie de Covid-19, ne fait pas obstacle à son transfert dans ce pays, d'autant que l'intéressé n'a déclaré aucune pathologie qui rendrait son transfert risqué sur le plan médical. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté litigieux aurait méconnu les dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

22. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Gironde du 3 septembre 2020. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 30 août 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 septembre 2021.

La rapporteure,

Agnès BOURJOLLe président,

Didier ARTUSLa greffière,

Sylvie HAYET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°21BX00782 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00782
Date de la décision : 27/09/2021
Type d'affaire : Administrative

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Agnès BOURJOL
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : CHAMBERLAND POULIN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-09-27;21bx00782 ?
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