Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 21 mars 2019 par laquelle le préfet de la Dordogne a rejeté sa demande de regroupement familial présentée au bénéfice de son épouse et de son enfant.
Par un jugement n° 1904226 du 3 juillet 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 novembre 2020, M. B... A..., représenté par Me Genevay, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1904226 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler la décision préfectorale du 21 mars 2019 et la décision du 6 septembre 2019 rejetant son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui accorder le regroupement familial au bénéfice de son épouse et de son enfant sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- en l'absence de délégation de signature, il n'est pas établi que le signataire de la décision en litige était compétent pour prendre cet acte ;
- la décision en litige méconnait les dispositions des articles L. 411-5 et R. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors le fait qu'il ne remplisse pas les conditions de ressources fixées par ces textes pour l'octroi du regroupement familial ne dispense pas le préfet d'un examen de sa situation particulière ;
- la décision méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il justifie contribuer à l'entretien et à l'éducation de sa fille restée en Côte d'Ivoire ; l'état de santé de l'enfant justifie également qu'elle se rende auprès de son père ; il ne peut quitter la France pour rejoindre son enfant étant titulaire d'une carte de résident en France et parent d'un enfant vivant en France sous le régime de la résidence alternée ;
- la décision en litige méconnait l'intérêt supérieur de son enfant garanti par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 février 2021, le préfet de la Dordogne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... est un ressortissant ivoirien né le 31 juillet 1973 qui est entré sur le territoire français en 2002. Il possède une carte de résident valable jusqu'en 2024. Le 15 novembre 2018, il a déposé en préfecture de la Dordogne une demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse et de sa fille née en Côte d'Ivoire en septembre 2015. Le préfet a rejeté cette demande par une décision du 21 mars 2019 confirmée sur recours gracieux le 6 septembre 2019. M. A... a contesté ces décisions devant le tribunal administratif de Bordeaux et relève appel du jugement rendu le 3 juillet 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la légalité du refus en litige :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Si le préfet est en droit de rejeter une demande de regroupement familial au motif que l'étranger ne remplirait pas l'une ou l'autre des conditions légales requises, il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu de rejeter la demande en pareil cas s'il est porté une atteinte excessive au droit de l'étranger de mener une vie familiale normale, tel que protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il ressort des pièces du dossier que, pour l'entretien de sa fille, M. A... a effectué sept virements en 2015 pour un montant de 693 euros, quinze virements en 2016 pour un montant de 1 454 euros, seize virements en 2017 pour 1 451 euros, treize virements en 2018 pour 961 euros et dix-neuf virements en 2019 pour 2 985 euros. Ces envois d'argent, effectués régulièrement et depuis l'année de naissance de sa fille et qui ont continué après la décision attaquée, montrent que M. A... contribue à l'entretien de sa fille contrairement à ce qu'a jugé le tribunal. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu reconnaître l'exercice des droits de puissance paternelle sur sa fille mineure par un arrêt de la cour d'appel d'Abidjan du 19 septembre 2018. L'enfant, qui demeure depuis le 1er mars 2018 en Côte d'Ivoire chez l'épouse actuelle de M. A..., souffre d'un retard de langage et présente des signes faisant suspecter un spectre autistique selon deux certificats médicaux produits au dossier dont le second indique que, pour la prise en charge de l'enfant, un " rapprochement paternel est souhaité ". Au regard de ces éléments, la seule circonstance que M. A... aurait la possibilité de se rendre en Côte d'Ivoire pour voir sa fille, alors qu'il exerce une activité professionnelle en France où il doit s'occuper de son autre enfant dans le cadre d'une résidence alternée, ne constitue pas un motif permettant de fonder légalement le refus de regroupement familial en litige contrairement à ce qu'a estimé le préfet dans ses décisions des 21 mars et 6 septembre 2019. Dans ces conditions, alors même que le mariage de M. A... avec son épouse actuelle, laquelle s'occupe de sa fille en Côte d'Ivoire, n'a été célébré que quelques mois seulement avant l'intervention de la décision attaquée, celle-ci a méconnu le droit à une vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation des décisions des 21 mars et 6 septembre 2019 rejetant sa demande de regroupement familial. Ce jugement doit être annulé ainsi que, par voie de conséquence, les décisions préfectorales en litige.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " ;
7. L'annulation prononcée au présent arrêt, compte tenu du motif qui la fondent, implique nécessairement qu'il soit prescrit au préfet de la Dordogne de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par M. A... dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37- 2 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. M. A... a obtenu l'aide juridictionnelle et son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Genevay, avocat de M. A..., la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce versement emportant, conformément à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE
Article 1er : Le jugement n° 1904226 du tribunal administratif de Bordeaux du 3 juillet 2020 et les décisions du préfet de la Dordogne du 21 mars 2019 et du 6 septembre 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est prescrit au préfet de la Dordogne de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par M. A... dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
Article 3 : Sous réserve que Me Genevay renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier versera à Me Genevay la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à et au ministre de l'intérieur et à Me Genevay. Copie pour information en sera délivrée au préfet.
Délibéré après l'audience du 31 août 2021 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2021.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
Le président,
Didier Artus
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX03763 5