Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société MS Amlin, M. A... F... et Mme G... F... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le département de Lot-et-Garonne à verser les sommes de 76 752,63 euros à la société MS Amlin et de 10 000 euros à M. F... en réparation des préjudices résultant du naufrage du bateau de M. et Mme F... lors du passage de l'écluse de Bapaume à Nérac le 9 juillet 2016.
Par un jugement n° 1704325 du 26 février 2019, le tribunal a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 avril 2019, la société MS Amlin, M. A... F... et Mme G... F..., représentés par la SCP Pieri, Rocchesani, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le département de Lot-et-Garonne à verser les sommes
de 65 162,63 euros à la société MS Amlin et de 10 000 euros à M. F... ;
3°) de mettre à la charge du département de Lot-et-Garonne une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à la société MS Amlin.
Ils soutiennent que :
- il n'appartient pas à l'usager de compenser un dysfonctionnement par des manoeuvres qui ne s'imposeraient pas si l'ouvrage public fonctionnait normalement ; un amarrage plus solide aurait été contraire aux recommandations de la Royal Yatching Association, selon lesquelles un amarrage souple permet un " ajustement " à mesure que le niveau d'eau s'élève ; l'entrée d'eau et la poussée ont été soudains, inattendus et puissants, de sorte qu'il n'était pas possible d'agir pour éviter le dommage, et le bouton d'urgence n'a pas fonctionné ; l'entrée trop rapide de l'eau dans l'écluse caractérise ainsi un fonctionnement anormal de l'ouvrage ;
- le compte-rendu d'incident est dépourvu de caractère probant dès lors qu'il émane du département, n'est pas signé et ne démontre aucune faute de la victime ; un autre usager a d'ailleurs été confronté au même dysfonctionnement dans l'écluse no 6 ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité contractuelle du département est engagée du fait du vice affectant l'ouvrage ;
- la société MS Amlin a indemnisé M. F... à hauteur de 60 268 euros après déduction du prix de revente de l'épave ; elle a en outre versé à son assuré une somme totale de 2 051,47 euros au titre des frais exposés en lien avec l'accident, et exposé 2 843,16 euros de frais de dossier et d'expertise ;
- M. F... sollicite une somme de 10 000 euros au titre de son préjudice de jouissance caractérisé par l'impossibilité de naviguer et de terminer son séjour en France.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 octobre 2019, le département de
Lot-et-Garonne, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour
de mettre à la charge solidaire de la société MS Amlin et de M. F... une somme
de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la matérialité des faits n'est pas établie dès lors qu'en l'absence de témoin direct,
les circonstances de l'accident ne sont pas justifiées ;
- aucune défaillance de l'écluse n'a été relevée par les services techniques ni par l'équipe de maintenance composée de quatre agents ; aucun autre accident n'a été déploré alors que 70 navires sont passés par l'écluse n° 7 entre le 1er et le 9 juillet 2016 ; le fait que le bateau a été envoyé vers les portes amont au moment du remplissage relève du fonctionnement normal de l'ouvrage, et l'arrêt d'urgence a fonctionné ; c'est ainsi à bon droit que le tribunal n'a pas retenu de défaut d'entretien normal ;
- l'amarrage n'a pas été effectué avec suffisamment de force, et trop vers l'amont ; les époux F... ont été défaillants dans l'appréciation du positionnement du navire dans l'écluse et l'ont maintenu trop près des portes, ce qui en a empêché la fermeture ; ainsi,
le sinistre est exclusivement imputable à la faute des victimes ;
- en l'absence de relation contractuelle entre le département et les époux F..., la responsabilité contractuelle invoquée ne peut qu'être écartée ;
- à titre infiniment subsidiaire, les sommes demandées sont insuffisamment justifiées
et excessives.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le samedi 9 juillet 2016, la barge " Le Somail " pilotée par M. et Mme F... a coulé lors du franchissement de l'écluse n° 7 dite de Bapaume sur la rivière La Baïse. La société MS Amlin, assureur du bateau, et M. et Mme F... relèvent appel du jugement du 25 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande de condamnation du département de Lot-et-Garonne à les indemniser des conséquences dommageables de cet accident, qu'ils attribuent à un dysfonctionnement de l'écluse automatique.
2. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'absence de défaut d'entretien normal, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
3. Le lien de causalité entre l'écluse de Bapaume et le naufrage de la barge " Le Somail " est établi par les photographies prises par l'agent d'astreinte du service de la navigation lors de son arrivée sur les lieux.
4. Il résulte de l'instruction que pour franchir l'écluse automatique de Bapaume,
le plaisancier entré par l'aval dans l'écluse doit d'abord amarrer le bateau aux bollards avant
et arrière, puis passer sa carte dans le lecteur du bornier, ce qui enclenche dans un premier temps la fermeture des portes et des vantelles aval et dans un second temps l'ouverture des vantelles des portes amont permettant le remplissage de l'écluse, après lequel les portes amont s'ouvrent
et le bateau peut sortir. Les comptes rendus établis par les agents du service de la navigation, illustrés de photographies dont le caractère probant n'est pas contestable, font apparaître qu'après le passage de la porte aval, la proue du bateau est passée sous une traverse de la porte amont de l'écluse et s'y est encastrée, empêchant l'embarcation de monter avec le niveau d'eau, de sorte qu'elle a coulé au fond du sas. Les agents du service de la navigation n'ont constaté aucune anomalie dans le fonctionnement de l'écluse. Les requérants soutiennent que l'arrivée d'eau et la poussée ont été soudains, inattendus et puissants, et produisent l'attestation d'un autre plaisancier relatant " une expérience semblable " lors du franchissement de l'écluse n° 6
au mode de fonctionnement identique sur la même rivière, une semaine avant l'accident en litige. Ce plaisancier expose qu'il a amarré son bateau à l'arrière à la demande de l'éclusier,
que ce dernier lui a indiqué qu'une seconde amarre n'était pas nécessaire, et que lorsque l'écluse s'est remplie très rapidement, le bateau a été poussé vers l'avant, s'est encastré sous une poutre en acier de l'ouvrage et a pu difficilement être dégagé par une puissante marche arrière. L'incident ainsi relaté faisant apparaître un amarrage insuffisant, il ne peut en être déduit que la cause de l'accident en litige serait un dysfonctionnement des écluses automatiques qui se rempliraient trop rapidement, alors au demeurant que le département soutient sans être contredit qu'aucun autre accident n'a été déploré parmi les 70 navires passés par l'écluse n° 7 entre
le 1er et le 9 juillet 2016. Un dysfonctionnement du bouton d'urgence n'est pas davantage
à l'origine du naufrage de la barge " Le Somail " dès lors qu'il résulte de l'instruction que
ce bouton a fonctionné en l'espèce, et a commandé la fermeture des portes et des vantelles,
mais n'a pu enrayer la montée de l'eau du fait de l'obstruction par la proue du bateau
de la fermeture totale des portes amont. Par suite, l'accident ne peut qu'être en lien avec la faute de M. et Mme F..., qui ne contestent pas ne pas avoir suffisamment amarré la barge
d'une longueur de 15 mètres et d'un poids de 22 tonnes, mais se bornent à se prévaloir
de recommandations de la Royal Yatching Association selon lesquelles un amarrage souple permettrait un " ajustement " à mesure que le niveau d'eau s'élève.
5. Les requérants n'étant parties à aucun contrat avec le département de Lot-et-Garonne, ils ne peuvent utilement invoquer la responsabilité contractuelle de ce dernier.
6. Il résulte de ce qui précède que la société MS Amlin et M. et Mme F... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande. Par suite, leurs conclusions présentées au titre des frais liés au litige doivent être rejetées.
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge des requérants au titre des frais exposés par le département de Lot-et-Garonne à l'occasion
du présent litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société MS Amlin et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département de Lot-et-Garonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société MS Amlin, à M. A... F...,
à Mme G... F... et au département de Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 29 juin 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne C..., présidente-assesseure,
Mme B... E..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2021.
La rapporteure,
Anne C...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au préfet de Lot-et-Garonne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01736