Vu la procédure suivante :
La société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 7 471 840,08 euros TTC en règlement du solde du marché de travaux de reconstruction de l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs en arts chimiques et technologiques sur le campus de Toulouse-Labège.
Par un jugement n° 1201114 du 1er juin 2016, le tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 16BX02606 du 31 décembre 2018, la cour d'administrative d'appel de Bordeaux a fixé le décompte général et définitif du marché à 53 922 079,10 euros TTC, condamné l'Etat à verser à la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest la somme de 5 480 656,58 euros TTC au titre du solde restant dû et la somme de 172 093,99 euros TTC au titre des intérêts moratoires diminuée des intérêts afférents à la somme de 220 000 euros mais actualisée à la date du paiement effectif des sommes concernées ou de la notification de l'arrêt. Le jugement du tribunal a été réformé en ce qu'il avait de contraire à l'arrêt.
Saisie par la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest d'un recours en rectification matérielle de l'arrêt du 31 décembre 2018, la cour, par un arrêt n° 19BX00820 du 29 août 2019 a admis ce recours et a substitué la somme de 54 365 156,78 euros à celle de 53 922 079,10 euros figurant au point 13 des motifs de l'arrêt n° 16BX02606 et à l'article 1er du dispositif de cet arrêt.
Par un courrier enregistré le 14 mai 2020, la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest a demandé à la cour d'ouvrir une procédure en vue de l'exécution de l'arrêt n° 19BX00820 du 29 août 2019.
Par une ordonnance du 17 décembre 2020, la présidente de la cour a décidé l'ouverture d'une procédure juridictionnelle d'exécution de l'arrêt.
Par une demande enregistrée au greffe de la cour le 2 novembre 2020 et un mémoire complémentaire du 16 mars 2021, la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, représentée par Me C..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de prononcer toutes les mesures utiles afin d'obliger l'Etat à régler les intérêts dus et provisoirement arrêtés à la somme de 2 521 274,72 euros au 1er mars 2021 ;
2°) d'enjoindre à l'Etat de verser ces intérêts sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé un délai de 30 jours à compter de la décision à intervenir.
Elle soutient que :
- par un arrêt du 31 décembre 2018 rectifié le 29 août 2019, la cour d'administrative d'appel de Bordeaux a fixé à 54 365 156,78 euros le solde lui restant dû au titre de l'exécution du marché portant sur la reconstruction de l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs en arts chimiques et technologiques sur le campus de Toulouse-Labège qui lui a été confié par marché du 5 juillet 2006 ;
- au sein de ce solde, 27 991 652,71 euros doivent revenir à la société et c'est sur la base de ce montant que le maître de l'ouvrage doit régler les sommes mises à sa charge en tenant compte des intérêts moratoires ; à ce titre, elle a perçu le 10 octobre 2019 une somme de 5 480 656,58 euros, ce qui porte à 27 991 652,71 euros le montant réglé par l'Etat ;
- l'Etat reste néanmoins devoir à la société les intérêts moratoires s'agissant d'un marché conclu le 5 juillet 2006 ; il s'agit des intérêts prévus à l'article 96 du code des marchés publics dans sa version en vigueur à la date du marché ; ces intérêts sont dus également en application de l'article 3.7 " délai global de règlement " du cahier des clauses administratives particulières du marché ;
- le point de départ du délai de 45 jours à l'issue duquel les intérêts moratoires sont dus doit être fixé au 21 juillet 2011, date à laquelle le maître de l'ouvrage a reçu le mémoire en réclamation de la société contre le décompte général ; ces intérêts moratoires doivent aussi être actualisés ; ce montant s'élève au 1er mars 2021 à 2 521 274,72 euros qu'il appartient à l'Etat de régler.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 janvier 2021 et le 6 avril 2021, le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation conclut au rejet de la requête.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par ordonnance du 4 janvier 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 6 avril 2021 à 12h00.
Un mémoire a été présenté pour la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest le 30 avril 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code monétaire et financier ;
- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... A...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteure publique,
- et les observations de Me F..., représentant Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest.
Considérant ce qui suit :
1. Le 5 juillet 2006, la société DV Construction, devenue Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, a conclu avec l'Etat un marché public de travaux portant sur la reconstruction de l'école nationale supérieure d'ingénieurs en arts chimiques et technologiques sur le campus de Toulouse-Labège. Le 7 juin 2011, le maître de l'ouvrage a notifié un décompte général à la société qui l'a retourné le 20 juillet 2011 accompagné d'un mémoire en réclamation détaillant les sommes dont elle sollicitait le paiement. Ne parvenant pas à obtenir le paiement de ces sommes, la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser le solde du marché. Sa demande ayant été rejetée par le tribunal, la société a saisi la cour d'administrative d'appel de Bordeaux dont l'arrêt rendu le 31 décembre 2018 sous le n° 16BX02606 a fixé le décompte général et définitif du marché à la somme de 53 922 079,10 euros, condamné l'Etat à verser à la société la somme de 5 480 656,58 euros au titre du solde restant dû ainsi qu'une somme correspondant aux intérêts moratoires. Saisie par la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest d'un recours en rectification d'erreur matérielle de cette décision, la cour a rendu un arrêt le 29 août 2019 sous le n° 19BX00820 substituant la somme de 54 365 156,78 euros à celle de 53 922 079,10 euros figurant dans les motifs et le dispositif de l'arrêt du 31 décembre 2018.
2. Le 10 octobre 2019, la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest a reçu de l'Etat un courrier lui confirmant le versement de la somme de 5 480 658,58 euros au titre du solde du marché, mais précisant que le sort des intérêts moratoires " est disjoint de ce premier paiement en raison de la complexité attachée au contrôle de leur liquidation ". La société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, qui évalue dans le dernier état de ses écritures à 2 521 274,24 euros le montant des intérêts moratoires dus par l'Etat sur le solde du marché, a demandé à la cour d'ouvrir une procédure juridictionnelle en vue d'obtenir la complète exécution de l'arrêt du 31 décembre 2018 rectifié. Par une ordonnance n° 20BX03598 du 17 décembre 2020, la présidente de la cour, en application de l'article R. 921-6 du code de justice administrative, a fait droit à cette demande.
3. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution. Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte. ". Aux termes de l'article L. 911-9 du même code : " Lorsqu'une décision passée en force de chose jugée a prononcé la condamnation d'une personne publique au paiement d'une somme d'argent dont elle a fixé le montant, les dispositions de l'article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, ci-après reproduites, sont applicables. " Art. 1er. - I. - Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné l'Etat au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. Si la dépense est imputable sur des crédits limitatifs qui se révèlent insuffisants, l'ordonnancement est fait dans la limite des crédits disponibles. Les ressources nécessaires pour les compléter sont dégagées dans les conditions prévues par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Dans ce cas, l'ordonnancement complémentaire doit être fait dans un délai de quatre mois à compter de la notification. A défaut d'ordonnancement dans les délais mentionnés aux alinéas ci-dessus, le comptable assignataire de la dépense doit, à la demande du créancier et sur présentation de la décision de justice, procéder au paiement. "
4. Alors même qu'une partie a la faculté de solliciter le mandatement d'office de la somme que l'Etat a été condamné à lui payer et même dans l'hypothèse où elle n'aurait pas sollicité ce mandatement, elle est recevable, lorsque la décision juridictionnelle qui, selon elle, est inexécutée, ne fixe pas précisément le montant de la somme due ou lorsque le calcul de celle-ci soulève une difficulté sérieuse, à demander que soit ordonné, le cas échéant sous astreinte, le versement de la somme due.
5. Selon la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest, le montant de 423 783,02 euros que l'Etat lui a versé au titre des intérêts moratoires en mars 2020 ne correspond pas à la somme dont elle est créancière en exécution de l'arrêt de la cour dès lors qu'il a été calculé selon le régime des intérêts légaux prévu par le code civil et non selon le régime des intérêts au taux contractuel.
6. Aux termes de l'article 96 du code des marchés publics dans sa version applicable : " Le délai global de paiement d'un marché public ne peut excéder 45 jours. (...) Le dépassement du délai de paiement ouvre de plein droit et sans autre formalité, pour le titulaire du marché (...) le bénéfice d'intérêts moratoires, à compter du jour suivant l'expiration du délai (...) ". Aux termes de l'article 3.7 du cahier des clauses administratives particulières, relatif au délai global de paiement, applicable au marché en litige : " (...) en application de l'article 96 du code des marchés publics, les délais dont dispose le maître de l'ouvrage pour procéder au paiement des acomptes et du solde sont fixés à 45 jours. En ce qui concerne le paiement du solde, le délai part à compter de l'accusé de réception par le maître d'oeuvre de la notification par le maître de l'ouvrage du décompte général. En cas de dépassement de ce délai de paiement, les intérêts moratoires versés seront calculés sur la base de l'intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, augmenté de deux points. "
7. Pour fixer les intérêts moratoires dus à la société sur le solde du marché, la cour s'est fondée, au point 14 de sa décision, sur les dispositions et stipulations précitées du code des marchés publics et du cahier des clauses administratives générales. Ce faisant, et alors que la société avait elle-même devant le juge d'appel calculé les intérêts moratoires sur la base du taux contractuel, la cour a entendu faire application du régime des intérêts moratoires contractuels résultant de ces dispositions et stipulations.
8. Aux termes de l'article 1er du décret n° 2002-232 du 21 février 2002, relatif à la mise en oeuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics, dans sa version applicable en l'espèce : " I. - Le point de départ du délai global de paiement prévu (...) à l'article 96 du code des marchés publics est la date de réception de la demande de paiement par les services de la personne publique contractante ou, si le marché le prévoit, par le maître d'oeuvre (...) Toutefois : (...) - pour les marchés de travaux, le point de départ du délai global de paiement du solde est la date d'acceptation du décompte général et définitif (...) ". Pour l'application de ces dispositions, lorsqu'un décompte général fait l'objet d'une réclamation par le cocontractant, le délai de paiement du solde doit être regardé comme ne commençant à courir qu'à compter de la réception de cette réclamation par le maître d'ouvrage.
9. Il résulte de l'instruction que la réclamation formée par la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest à l'encontre du décompte général a été réceptionnée par le maître de l'ouvrage le 21 juillet 2011. En application des dispositions et stipulations citées aux points 6 et 8, les intérêts moratoires contractuels dus à la société ont couru à compter du 4 septembre 2011.
10. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier : " Le taux de l'intérêt légal est, en toute matière, fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie. (...) Il est calculé semestriellement (...) ". Aux termes de l'article L. 313-3 du même code : " En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. (...) ".
11. Il résulte de ces dispositions que la majoration prévue à l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ne s'applique, en cas de condamnation pécuniaire, qu'au taux de l'intérêt légal, fixé en application de l'article L. 313-2 du même code, et ne s'applique pas, en revanche, au taux d'intérêt contractuel résultant de stipulations expresses ou, s'agissant d'un marché public, et en l'absence de stipulations contraires, des dispositions prises pour l'application de l'article 96 du code des marchés publics, dans sa version applicable au litige. Eu égard à l'intérêt qui s'attache à l'exécution rapide des décisions juridictionnelles et au paiement des dettes nées de l'exécution d'un marché public, le titulaire d'un marché public peut bénéficier, sur sa demande, à l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification à son débiteur de la décision de justice condamnant celui-ci à une indemnité assortie d'intérêts moratoires contractuels, de l'application du taux d'intérêt légal majoré prévu à l'article L. 313-3 du code monétaire et financier pour chacune des périodes pour lesquelles celle-ci s'avère plus favorable que l'application du seul taux d'intérêt contractuel ou résultant du code des marchés publics.
12. Il y a lieu de faire application de ces dispositions, dès lors qu'il n'est pas contesté que le taux de l'intérêt légal majoré de cinq points est plus favorable à la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest et que celle-ci a droit aux intérêts selon les modalités définies par l'article L. 313-3 précité à compter du 1er mars 2019, soit deux mois après que l'arrêt de la cour est devenu exécutoire.
13. Il résulte de ce qui précède que l'exécution de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 31 décembre 2018 rectifié le 29 août 2019 implique le versement, par l'Etat, à la société requérante, de la somme de 2 521 274,72 euros au titre des intérêts moratoires sur le solde du marché. Il y a lieu d'enjoindre à l'Etat de verser à la société requérante la somme précitée dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il soit nécessaire, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
DECIDE :
Article 1er : Il est enjoint à l'Etat de verser à la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest la somme de 2 521 274,72 euros dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. D... A..., président-assesseur,
Mme B... E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juin 2021.
Le rapporteur,
Frédéric A...
La présidente,
Elisabeth JayatLa greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX03598