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08/06/2021 | FRANCE | N°20BX04279

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 08 juin 2021, 20BX04279


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Louvie-Juzon a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté, en date du 27 novembre 2012, du préfet des Pyrénées-Atlantiques portant, au profit du syndicat mixte du Nord-Est de Pau, autorisation de dérivation et d'utilisation de l'eau pour la consommation humaine, déclaration d'utilité publique d'instauration des périmètres de protection autour de la source de l'Aygue-Blanque et autorisation au titre du code de l'environnement, ensemble la décision par laquelle le même pré

fet a implicitement rejeté son recours gracieux.

Par un jugement avant dire...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Louvie-Juzon a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté, en date du 27 novembre 2012, du préfet des Pyrénées-Atlantiques portant, au profit du syndicat mixte du Nord-Est de Pau, autorisation de dérivation et d'utilisation de l'eau pour la consommation humaine, déclaration d'utilité publique d'instauration des périmètres de protection autour de la source de l'Aygue-Blanque et autorisation au titre du code de l'environnement, ensemble la décision par laquelle le même préfet a implicitement rejeté son recours gracieux.

Par un jugement avant dire droit rendu le 30 septembre 2014, le tribunal administratif de Pau a ordonné une mesure d'expertise aux fins d'évaluer, en vue d'examiner le caractère suffisant de l'appréciation sommaire des dépenses figurant dans le dossier de demande adressé par le syndicat mixte du Nord-Est de Pau au préfet des Pyrénées-Atlantiques, la valeur vénale de la partie de la parcelle F n° 42 incluse dans le périmètre de protection immédiate institué par l'arrêté du 27 novembre 2012.

Par un jugement n° 1300809 du 1er décembre 2015, le tribunal administratif de Pau a annulé la déclaration d'utilité publique du 27 novembre 2012 et a mis à la charge de l'Etat et du syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC.

Procédure initiale devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 janvier 2016 et le 27 septembre 2016, sous le n° 16BX00405, le syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau, représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300809 du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 ;

2°) de condamner la commune de Louvie-Juzon au paiement des frais d'expertise judiciaire taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC.

3°) de mettre à la charge de la commune de Louvie-Juzon la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en se bornant à déduire le caractère irrégulier de la procédure de la seule constatation d'une sous-évaluation des acquisitions, sans examiner si la sous-évaluation relevée était de nature à nuire à l'information complète de la population ou avait exercé une influence sur la décision, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

- l'appréciation de la valeur vénale de la parcelle faite par le tribunal fondée sur la privation de propriété de ladite parcelle et de la source est entachée d'erreur de droit ; dans le cadre des règles applicables en matière d'expropriation adaptées à la spécificité des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, la Cour de cassation précise qu'il s'agit d'indemniser la dépréciation liée aux restrictions d'usage que subirait la commune du fait de la mise en oeuvre du périmètre de protection du captage et non la privation de propriété ; à cet égard, la commune ne subit aucune restriction dans la mesure où elle n'exploite pas la ressource en eau ; elle n'est donc pas confrontée à des restrictions d'usage ;

- la spécificité des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique offre au syndicat mixte du Nord-Est de Pau la possibilité de déroger à l'obligation d'acquérir par la passation d'une convention de gestion, refusée unilatéralement par la commune ;

- l'arrêté de DUP a été demandé non en vue de l'acquisition d'immeubles mais en perspective de la réalisation de travaux d'établissement des périmètres de protection des captages ; l'article R. 11-3 du code de l'expropriation applicable à la date de l'arrêté attaqué n'exige pas une estimation sommaire des acquisitions à réaliser mais une appréciation sommaire des dépenses liées au périmètre de protection d'un captage d'eau ;

- le bien litigieux était affecté à un service public, et de fait déjà inclus dans le domaine public, le syndicat mixte du Nord-Est de Pau n'est donc pas autorité expropriante ; la parcelle cadastrée section F n° 42, dont le tréfonds supporte la source, a été affecté de longue date à un service public géré par une personne autre que son propriétaire, et il appartient de ce fait au domaine public et est ainsi protégé par le principe d'inaliénabilité ; la mise en oeuvre de l'arrêté préfectoral en date du 20 décembre 1967 déclarant d'utilité publique les travaux de captage de la source " L'Aygue Blanque " et le projet de construction d'une usine de traitement des eaux de source dites de " L'Aygue Nègre" et de " L'Aygue Blanque ", ont conduit à des aménagements spéciaux réalisés à cette fin exclusive,1'ensemble étant financé par le syndicat mixte du Nord-Est de Pau ; il n'était donc pas possible pour le syndicat mixte du Nord-Est de Pau de prévoir dans le dossier d'enquête publique, et plus particulièrement dans l'appréciation sommaire des dépenses, une estimation de la valeur de la parcelle et de la source alors que l'expropriation d'un bien inclus dans le domaine public n'est pas possible au regard du principe d'inaliénabilité du domaine public ;

- en matière d'expropriation, l'indemnisation de la richesse naturelle du sous-sol n'est pas automatique et dépend de savoir si la source est exploitée ou exploitable par son propriétaire ; la commune ne justifie pas qu'elle pourrait être en mesure de se substituer au syndicat mixte du Nord-Est de Pau, syndicat de production d'eau, pour procéder à 1'exploitation de la source de l'Aygue-Blanque ;

- le tribunal ne tient pas compte de la situation d'indivision de la parcelle n° 42 qui appartient à la commune de Louvie-Juzon et à la commune d'Asson, cette dernière ayant contractualisé avec le syndicat ;

- la valeur retenue pour la source est erronée ; le rapport d'expertise judiciaire n'indique pas que la commune de Louvie-Juzon avait la possibilité d'exploiter une partie de ses eaux ; la valeur globale à retenir ne peut être supérieure à la somme de 2 400 euros proposée par l'expert, coût qui est compris dans l'évaluation qui faite à hauteur de 5 000 euros HT de 1'aménagement des dispositifs de protection du captage ; aucune évaluation du coût de la perte de la propriété de l'eau captée n'avait à être précisée dans le dossier soumis à enquête publique ;

- la proportion de ces coûts au regard du coût global du projet est minime et ne pouvait entraîner l'annulation de l'arrêté de DUP ;

- le dossier d'enquête publique contenait bien une étude d'incidence du captage sur 1'environnement comme le préconise 1'article R. 214-6 du code de 1'environnement ; le dossier soumis au CODERST précise l'insertion du captage dans l'environnement ; dans son jugement avant-dire droit en date du 30 septembre 2014, qui n'a pas été frappé d'appel par la commune, le tribunal administratif avait précisé, en se fondant sur l'article R. 214-6 du code de l'environnement que la demande déposée par le syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau comportait l'étude d'incidence prévue par ces dispositions ;

- si l'arrêté préfectoral de DUP initial en date du 20 décembre 1967 fixait un débit de prélèvement autorisé à la source Aygue-Blanque de 120 1/s (soit 432 m3/h), le débit autorisé par 1'article 3 de 1 'arrêté préfectoral du 27 novembre 2012 est réduit à 83,3 Vs soit 300 m3/h de telle sorte que l'impact du captage sur l'environnement subit une évolution très favorable à ce dernier par rapport au dispositif initialement adopté en 1967, et en vigueur depuis.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 17 juin 2016 et le 20 octobre 2016, la commune de Louvie-Juzon, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge du syndicat mixte du Nord Est de Pau sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il ressort de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation que le dossier soumis à enquête publique doit comprendre une appréciation sommaire des dépenses en ce compris notamment l'estimation sommaire des acquisitions à réaliser ; l'absence de convention de gestion oblige à envisager le coût de l'expropriation ; Or, rien n'a été prévu à propos du périmètre de protection immédiate de la source d'Aygue Blanque ainsi que le rappelle le rapport du CODERST ;

- aucune étude relative à l'incidence du captage sur l'environnement ne figure dans les documents soumis à enquête publique ou dans le rapport du CODERST ; l'appréciation même sommaire des acquisitions à réaliser qui aurait dû figurer dans le dossier d'enquête publique à propos de la source devait comprendre la perte par la commune de la propriété de l'eau captée ; l'arrêté querellé est donc aussi entaché d'une erreur de droit en ce qu'il méconnaît le droit de propriété de la commune sur la ressource en eau.

II. Par un recours et un mémoire, enregistrés le 1er février 2016 et le 17 octobre 2016, sous le n° 16BX00469, le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes puis le ministre des affaires sociales et de la santé, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300809 du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Louvie-Juzon les frais d'expertise judiciaire imputés à l'Etat et au syndicat mixte du Nord-Est de Pau sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur recours est recevable dès lors que Mme D... avait délégation de signature régulière ;

- pour estimer que le coût des acquisitions était sous-évalué, le tribunal a intégré à tort la valeur économique du terrain à l'estimation sommaire des dépenses sans rechercher si le propriétaire du terrain avait la capacité juridique, technique et financière pour un projet de ce type ;

- la commune de Louvie-Juzon est adhérente du syndicat de l'eau de la Vallée d'Ossau seul compétent pour exploiter son eau ; elle n'a pas davantage la capacité technique et financière d'exploiter elle-même la source ;

- le jugement est entaché d'erreur de droit dès lors que les dispositions du II de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation, qui ne concernent que les DUP concernant les acquisitions d'immeubles ou la réalisation d'une opération d'aménagement importante, ne sont pas applicables au litige ;

- les dispositions du I de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation ne prescrivent aucune appréciation sommaire des acquisitions ;

- une notice d'incidence au titre de la loi sur l'eau a bien été réalisée et soumise lors de l'enquête publique ; elle traite en particulier de l'incidence des captages sur l'environnement ;

- le présent recours ne vise pas à remettre en cause le principe de la propriété des sources situées sur un terrain public ou privé mais de montrer que le juge administratif par le biais du contrôle qu'il a effectué sur l'estimation sommaire des dépenses, en évaluant l'indemnité d'expropriation, a empiété sur la compétence du juge judiciaire.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 18 mai 2016, le 16 juin 2016 et le 20 octobre 2016, la commune de Louvie-Juzon, représentée par Me B..., conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité du recours du ministre, à titre subsidiaire, au rejet au fond et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le recours n'est pas signé par le ministre et qu'il n'est pas établi qu'il existe une délégation de signature régulière ;

- il ressort de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation que le dossier soumis à enquête publique doit comprendre une appréciation sommaire des dépenses en ce compris notamment l'estimation sommaire des acquisitions à réaliser ; l'absence de convention de gestion oblige à envisager le coût de l'expropriation ; Or, rien n'a été prévu à propos du périmètre de protection immédiate de la source d'Aygue Blanque ainsi que le rappelle le rapport du CODERST ;

- aucune étude relative à l'incidence du captage sur l'environnement ne figure dans les documents soumis à enquête publique ou dans le rapport du CODERST ; l'appréciation même sommaire des acquisitions à réaliser qui aurait dû figurer dans le dossier d'enquête publique à propos de la source devait comprendre la perte par la commune de la propriété de l'eau captée ; l'arrêté querellé est donc aussi entaché d'une erreur de droit en ce qu'il méconnaît le droit de propriété de la commune sur la ressource en eau.

Par un mémoire, enregistré le 28 septembre 2016, le syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau, représenté par Me A..., conclut aux mêmes fins que dans sa requête enregistrée le 28 janvier 2016 dans l'instance susvisée n° 16BX00405 par les mêmes moyens.

Par un arrêt n° 16BX00405, 16BX00469 du 9 octobre 2018, la cour a annulé le jugement du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015, rejeté la demande de première instance de la commune de Louvie-Juzon, a mis à la charge de la commune de Louvie-Juzon les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros et ainsi que le versement au syndicat mixte du Nord-Est de Pau d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par une décision n° 426098 du 30 décembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la commune de Louvie-Juzon, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la présente Cour.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :

Par un mémoire enregistré le 26 février 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut aux mêmes fins que précédemment et par les mêmes moyens.

Il soutient que la commune n'a jamais exploité la source ; l'existence de la source ne peut être à l'origine d'aucune valorisation du coût d'achat du terrain dès lors que la commune ne peut juridiquement exploiter cette source dont l'exploitation est assurée par le syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-est de Pau depuis 1967 et, d'autre part, que, selon le rapport d'expertise du 18 juillet 2015, le coût des investissements nécessaires à la mise en exploitation de cette source dépasse celui des éventuels bénéfices qu'elle serait susceptible de dégager ; la commune n'apporte aucun élément justifiant l'existence d'une plus-value même potentielle susceptible d'être prise en compte dans le coût d'acquisition de la parcelle ; en tout état de cause, l'existence d'une telle plus-value, calculée compte tenu des dépenses nécessaires à la mise en exploitation, n'aurait pas été d'un montant tel que son omission aurait entaché d'irrégularité la procédure.

Par des mémoires enregistrés les 23 mars et 23 avril 2021, le syndicat mixte du Nord-Est de Pau, représenté par la SCPA Coudevylle-Labat-A..., conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens et porte à 3 000 euros la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Il soutient également que :

- à la date d'ouverture de l'enquête publique, soit au 4 novembre 2011, la commune de Louvie-Juzon ne pouvait juridiquement pas exploiter la source située dans le tréfonds de la parcelle cadastrée section F n° 42 dès lors qu'elle avait délégué au syndicat d'eau de la vallée d'Ossau sa compétence en matière de production d'eau potable ;

- compte tenu des dépenses d'investissement nécessaires, cette commune n'a jamais été en capacité d'exploiter cette source ; le montant de ces investissements dépasse le bénéfice pouvant être retiré de l'exploitation ;

Par un mémoire enregistré le 24 mars 2021, la commune de Louvie-Juzon conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens.

Elle soutient également que :

- le dossier d'enquête ne faisait pas état de l'estimation sommaire du coût de l'acquisition de la partie de la parcelle F n°42 incluse dans le périmètre de protection immédiate ; le coût total du projet aurait été manifestement plus important s'il avait été tenu compte de la valeur de la source, soit 179 926 euros ;

- elle pouvait juridiquement exploiter cette source ; l'arrêté du 27 novembre 2012, qui vient renouveler l'autorisation de prélèvement des eaux au bénéfice de syndicat mixte du Nord-Est de Pau est postérieur à la date d'ouverture de l'enquête publique, avant cette date, l'exploitation de la source dont elle était propriétaire n'était couverte par aucune autorisation ;

- elle n'a jamais été en situation d'exploiter cette source mais est matériellement en capacité de le faire.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E... C...,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,

- et les observations de Me A..., représentant du syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau.

Une note en délibéré présentée par la commune de Louvie-Juzon a été enregistrée le 12 mai 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique dans sa rédaction alors applicable : " En vue d'assurer la protection de la qualité des eaux, l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines mentionné à l'article L. 215-13 du code de l'environnement détermine autour du point de prélèvement un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété, un périmètre de protection rapprochée à l'intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux et, le cas échéant, un périmètre de protection éloignée à l'intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés. (...) Lorsque des terrains situés dans un périmètre de protection immédiate appartiennent à une collectivité publique, il peut être dérogé à l'obligation d'acquérir les terrains visés au premier alinéa par l'établissement d'une convention de gestion entre la ou les collectivités publiques propriétaires et l'établissement public de coopération intercommunale ou la collectivité publique responsable du captage. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1321-3 du même code : " Les indemnités qui peuvent être dues aux propriétaires ou occupants de terrains compris dans un périmètre de protection de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines, à la suite de mesures prises pour assurer la protection de cette eau, sont fixées selon les règles applicables en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. ". Aux termes de l'article L. 215-13 du code de l'environnement : " La dérivation des eaux d'un cours d'eau non domanial, d'une source ou d'eaux souterraines, entreprise dans un but d'intérêt général par une collectivité publique ou son concessionnaire, par une association syndicale ou par tout autre établissement public, est autorisée par un acte déclarant d'utilité publique les travaux. ".

2. Le préfet des Pyrénées-Atlantiques a, sur le fondement des dispositions précitées, pris le 27 novembre 2012, au bénéfice du syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau, un arrêté déclarant d'utilité publique les travaux de dérivation des eaux de la source d'Aygue-Blanque située sur le territoire de la commune de Louvie-Juzon et instaurant des périmètres de protection immédiate et rapprochée. La commune de Louvie-Juzon est propriétaire d'une parcelle incluse dans le périmètre de protection immédiate et sur laquelle est située la résurgence de la source d'Aygue-Blanque. La commune, qui n'a pas conclu de convention de gestion de la source avec le syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau, a demandé au tribunal administratif de Pau l'annulation de l'arrêté préfectoral. Par un jugement avant-dire droit du 30 septembre 2014, le tribunal administratif a ordonné une mesure d'expertise aux fins d'évaluer la valeur vénale de la parcelle appartenant à la commune et, par un jugement du 1er décembre 2015, il a annulé l'arrêté attaqué et mis à la charge de l'Etat et du syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau les frais de l'expertise. Par un arrêt du 9 octobre 2018, la présente cour a, sur appel du syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau et du ministre des solidarités et de la santé, annulé le jugement du tribunal administratif de Pau, rejeté la demande en annulation de l'arrêté préfectoral du 27 novembre 2012 et mis les frais de l'expertise à la charge de la commune de Louvie-Juzon. Par une décision du 30 décembre 2020, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour.

Sur la légalité de la déclaration d'utilité publique :

3. En l'absence de dispositions spécifiques définissant la procédure qui leur est applicable, les actes portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique rappelées ci-dessus sont régis par les dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, en vigueur à la date de l'arrêté attaqué.

4. Aux termes de l'article R. 11-3 de ce dernier code, en vigueur à la date de la décision en litige : " L'expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : / I.- Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages : / (...) / 5° L'appréciation sommaire des dépenses ; / (...) II.- Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de l'acquisition d'immeubles, ou lorsqu'elle est demandée en vue de la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'urbanisme importante et qu'il est nécessaire de procéder à l'acquisition des immeubles avant que le projet n'ait pu être établi : (...) / 4° L'estimation sommaire des acquisitions à réaliser. ".

5. Il résulte des termes mêmes de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique que chacun de ses paragraphes vise un cas distinct. Or le projet du syndicat mixte du Nord-Est de Pau, constituant un ensemble unique, comportait la réalisation de travaux et d'ouvrages. Il n'appelait pas la mise en oeuvre de la procédure d'urgence prévue pour les cas où les acquisitions doivent intervenir avant que le projet n'ait pu être établi. Par suite, le dossier soumis à enquête publique devait être constitué conformément aux prescriptions du paragraphe I de l'article R. 11-3. Dès lors et ainsi que le syndicat mixte du Nord-Est de Pau le soutient, c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur le II de cet article pour annuler la déclaration d'utilité publique contestée.

6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la commune de Louvie-Juzon devant le tribunal administratif et devant la cour.

7. En premier lieu, l'obligation faite à l'autorité publique qui poursuit la déclaration d'utilité publique de travaux ou d'ouvrages d'intégrer au dossier soumis à l'enquête publique l'appréciation sommaire des dépenses a pour but de permettre à tous les intéressés de s'assurer que ces travaux ou ouvrages, compte tenu de leur coût total réel, tel qu'il peut être raisonnablement apprécié à l'époque de l'enquête, ont un caractère d'utilité publique. Toutefois, la seule circonstance que certaines dépenses auraient été omises n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité la procédure si, compte tenu de leur nature, leur montant apparaît limité au regard du coût global de l'opération et ne peut être effectivement apprécié qu'au vu d'études complémentaires postérieures, rendant ainsi incertaine leur estimation au moment de l'enquête.

8. Il ressort des pièces du dossier que l'estimation sommaire des dépenses telles qu'elles ont été évaluées au dossier d'enquête publique tenait compte seulement, à hauteur de 92 000 euros hors taxes, des travaux d'aménagement envisagés et n'incluait pas l'estimation du coût d'acquisition du terrain compris dans le périmètre de protection immédiate. La commune de Louvie-Juzon soutient que le dossier soumis à l'enquête publique était, à ce titre, incomplet.

9. Aux termes de l'article 552 du code civil : " La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. (...) ". Aux termes de l'article L. 13-13, devenu L. 321-1, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation. ". Aux termes de l'article L. 13-14, devenu L. 322-1, du même code : " La juridiction fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété. (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que le tréfonds fait partie de la consistance du bien et, qu'en conséquence, l'indemnité d'expropriation d'un terrain doit tenir compte de la plus-value apportée à ce terrain par le caractère exploitable, par le propriétaire ou à son profit, à la date de l'ordonnance de transfert de propriété, d'une ressource située dans son tréfonds. Par suite, en application des dispositions citées aux points 1 et 4, lorsqu'une source est située dans le tréfonds d'une parcelle se trouvant dans le périmètre de protection immédiat déterminé par l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement de son eau et est exploitable par le propriétaire de la parcelle ou à son profit à la date d'ouverture de l'enquête publique, son caractère exploitable est susceptible de conférer à cette parcelle une plus-value, compte tenu le cas échéant des dépenses nécessaires à la mise en exploitation, qui doit être prise en compte dans le coût de son acquisition et, par suite, dans l'appréciation sommaire des dépenses figurant dans le dossier d'enquête publique.

11. Selon le rapport d'expertise établi le 18 juillet 2015, le terrain concerné représente une bande de terre de 94 m² d'une longueur de 23 mètres et d'une largeur variant entre 2 et 5 mètres, située en pied de falaise à 620 mètres d'altitude, dont l'accès est très difficile. Ce terrain supporte le dispositif de captage de la source de l'Aygue-Blanque exploitée depuis 1967 ainsi qu'un ouvrage rudimentaire accolé à la paroi rocheuse. L'expertise a évalué à 1 000 euros la valeur du terrain et des ouvrages et compte tenu de la valeur brute de la source, dont les eaux respectent les critères de qualité pour la production d'eau destinée à la consommation humaine, a estimé qu'elle pouvait être évaluée à une somme d'environ 275 790 euros. L'expert estime par ailleurs que le coût des investissements nécessaires à l'exploitation de la source dépassait cette somme et a évalué la plus-value correspondante à une somme de 1 400 euros.

12. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport de présentation de l'opération menée par le syndicat mixte du Nord-est de Pau à la séance du CODERST du 20 septembre 2012 que l'estimation des travaux d'aménagement et de protection nécessaires pour exploiter les sources des Aygues sont évalués à 1 178 986 euros et que cette somme intègre notamment les travaux d'aménagement nécessaires à la mise en conformité des périmètres de protection, évalué à 92 000 euros pour la seule source d'Aygue-Blanque, et les coûts relatifs à la mise en conformité de l'installation de production d'eau destinée à la consommation humaine évalués à 889 604 euros dont 347 466 euros pour la seule mise en conformité de l'usine de traitement. Compte tenu des montants des travaux ainsi nécessaires pour l'exploitation de la source concernée, et sans qu'il soit besoin de diligenter une expertise en l'absence d'élément probant de contestation, il y a lieu d'évaluer à 2 400 euros le coût d'acquisition du terrain de la commune de Louvie-Juzon.

13. Dans ces conditions, à supposer même que cette acquisition ait été raisonnablement prévisible à l'époque de l'enquête publique et donc, que l'appréciation sommaire des dépenses jointe au dossier d'enquête publique ait irrégulièrement omis de la prendre en compte, eu égard au faible montant de 2 400 euros qui n'a pas été mentionné dans cette appréciation, les chiffres qui ont été portés à la connaissance du public et de l'autorité administrative ne peuvent être regardés comme manifestement sous-évalués.

14. Dès lors, la commune de Louvie-Juzon n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance du I de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

15. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de ce que le dossier de demande ne comportait pas le document prévu au 4° de l'article R. 214-6 du code de l'environnement manque en fait.

16. Enfin, le moyen tiré de ce que la décision en litige méconnaitrait le droit de propriété de la commune est inopérant. Il en va de même de la circonstance que la commune a classé la propriété litigieuse dans son domaine public par une délibération du 17 septembre 2018, postérieure à l'arrêté attaqué.

17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de nonrecevoir opposée au ministre, que le syndicat mixte du Nord-Est de Pau est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé la déclaration d'utilité publique du 27 novembre 2012.

Sur les frais liés à l'instance :

18. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...) dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ". Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC, à la charge de la commune de Louvie-Juzon, partie perdante.

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le syndicat mixte du Nord-Est de Pau et l'Etat, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, versent à la commune de Louvie-Juzon la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Louvie-Juzon le versement d'une somme de 1 500 euros au syndicat mixte, en application des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1300809 du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la commune de Louvie-Juzon devant le tribunal administratif de Pau et le surplus de ses conclusions sont rejetés.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC sont mis à la charge de la commune de Louvie-Juzon.

Article 4 : La commune de Louvie-Juzon versera une somme de 1 500 euros au syndicat mixte du Nord-Est de Pau en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat mixte du Nord-Est de Pau, au ministre des solidarités et de la santé, au ministre de la transition écologique et à la commune de Louvie-Juzon.

Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. E... C..., premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juin 2021.

Le rapporteur,

Stéphane C... La présidente,

Evelyne Balzamo

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX04279


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX04279
Date de la décision : 08/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Eaux - Régime juridique des eaux - Régime juridique des cours d'eau.

Eaux - Travaux - Captage des eaux de source.

Expropriation pour cause d'utilité publique - Règles générales de la procédure normale - Enquêtes - Enquête préalable - Dossier d'enquête - Appréciation sommaire des dépenses.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Stéphane GUEGUEIN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SELARL CABINET CAMBOT

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-06-08;20bx04279 ?
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