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09/10/2018 | FRANCE | N°16BX00405,16BX00469

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre (formation à 3), 09 octobre 2018, 16BX00405,16BX00469


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Louvie-Juzon a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté, en date du 27 novembre 2012, du préfet des Pyrénées-Atlantiques portant, au profit du syndicat mixte du Nord Est de Pau, autorisation de dérivation et d'utilisation de l'eau pour la consommation humaine, déclaration d'utilité publique d'instauration des périmètres de protection autour de la source de l'Aygue-Blanque et autorisation au titre du code de l'environnement, ensemble la décision par laquelle le même pré

fet a implicitement rejeté son recours gracieux.

Par un jugement avant dire...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Louvie-Juzon a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté, en date du 27 novembre 2012, du préfet des Pyrénées-Atlantiques portant, au profit du syndicat mixte du Nord Est de Pau, autorisation de dérivation et d'utilisation de l'eau pour la consommation humaine, déclaration d'utilité publique d'instauration des périmètres de protection autour de la source de l'Aygue-Blanque et autorisation au titre du code de l'environnement, ensemble la décision par laquelle le même préfet a implicitement rejeté son recours gracieux.

Par un jugement avant dire droit rendu le 30 septembre 2014, le tribunal administratif de Pau a ordonné une mesure d'expertise aux fins d'évaluer, en vue d'examiner le caractère suffisant de l'appréciation sommaire des dépenses figurant dans le dossier de demande adressé par le syndicat mixte du Nord-Est de Pau au préfet des Pyrénées-Atlantiques, la valeur vénale de la partie de la parcelle F n° 42 incluse dans le périmètre de protection immédiate institué par l'arrêté du 27 novembre 2012.

Par un jugement mettant fin à l'instance n° 1300809 du 1er décembre 2015, le tribunal administratif de Pau a annulé la déclaration d'utilité publique du 27 novembre 2012 et a mis à la charge de l'Etat et du syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 janvier 2016 et le 27 septembre 2016, sous le n° 16BX00405, le syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau, représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300809 du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 ;

2°) de condamner la commune de Louvie-Juzon au paiement des frais d'expertise judiciaire taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC.

3°) de mettre à la charge de la commune de Louvie-Juzon la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en se bornant à déduire le caractère irrégulier de la procédure de la seule constatation d'une sous-évaluation des acquisitions, sans examiner si la sous-évaluation relevée était de nature à nuire à l'information complète de la population ou avait exercé une influence sur la décision, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

- l'appréciation de la valeur vénale de la parcelle faite par le tribunal fondée sur la privation de propriété de ladite parcelle et de la source est entachée d'erreur de droit ; dans le cadre des règles applicables en matière d'expropriation adaptées à la spécificité des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, la Cour de cassation précise qu'il s'agit d'indemniser la dépréciation liée aux restrictions d'usage que subirait la commune du fait de la mise en oeuvre du périmètre de protection du captage et non la privation de propriété ; à cet égard, la commune ne subit aucune restriction dans la mesure où elle n'exploite pas la ressource en eau ; elle n'est donc pas confrontée à des restrictions d'usage ;

- la spécificité des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique offre au SMNEP la possibilité de déroger à l'obligation d'acquérir par la passation d'une convention de gestion, refusée unilatéralement par la commune ;

- l'arrêté de DUP a été demandé non en vue de l'acquisition d'immeubles mais en perspective de la réalisation de travaux d'établissement des périmètres de protection des captages ; l'article R. 11-3 du code de l'expropriation applicable à la date de l'arrêté attaqué n'exige pas une estimation sommaire des acquisitions à réaliser mais une appréciation sommaire des dépenses liées au périmètre de protection d'un captage d'eau ;

- le bien litigieux était affecté à un service public, et de fait déjà inclus dans le domaine public, le SMNEP n'est donc pas autorité expropriante ; la parcelle cadastrée section F n° 42, dont le tréfonds supporte la source, a été affecté de longue date à un service public géré par une personne autre que son propriétaire, et il appartient de ce fait au domaine public et est ainsi protégé par le principe d'inaliénabilité ; la mise en oeuvre de l'arrêté préfectoral en date du 20 décembre 1967 déclarant d'utilité publique les travaux de captage de la source " L'Aygue Blanque " et le projet de construction d'une usine de traitement des eaux de source dites de " L'Aygue Nègre" et de " L'Aygue Blanque ", ont conduit à des aménagements spéciaux réalisés à cette fin exclusive,1'ensemble étant financé par le SMNEP ; il n'était donc pas possible pour le SMNEP de prévoir dans le dossier d'enquête publique, et plus particulièrement dans l'appréciation sommaire des dépenses, une estimation de la valeur de la parcelle et de la source alors que l'expropriation d'un bien inclus dans le domaine public n'est pas possible au regard du principe d'inaliénabilité du domaine public ;

- en matière d'expropriation, l'indemnisation de la richesse naturelle du sous-sol n'est pas automatique et dépend de savoir si la source est exploitée ou exploitable par son propriétaire ; la commune ne justifie pas qu'elle pourrait être en mesure de se substituer au SMNEP, syndicat de production d'eau, pour procéder à 1'exploitation de la source de l'Aygue-Blanque ;

- le tribunal ne tient pas compte de la situation d'indivision de la parcelle n° 42 qui appartient à la commune de Louvie-Juzon et à la commune d'Asson, cette dernière ayant contractualisé avec le syndicat ;

- la valeur retenue pour la source est erronée ; le rapport d'expertise judiciaire n'indique pas que la commune de Louvie-Juzon avait la possibilité d'exploiter une partie de ses eaux ; la valeur globale à retenir ne peut être supérieure à la somme de 2 400 euros proposée par l'expert, coût qui est compris dans l'évaluation qui faite à hauteur de 5 000 euros HT de 1'aménagement des dispositifs de protection du captage ; aucune évaluation du coût de la perte de la propriété de l'eau captée n'avait à être précisée dans le dossier soumis à enquête publique ;

- la proportion de ces coûts au regard du coût global du projet est minime et ne pouvait entraîner l'annulation de l'arrêté de DUP ;

- le dossier d'enquête publique contenait bien une étude d'incidence du captage sur 1'environnement comme le préconise 1'article R. 214-6 du code de 1'environnement ; le dossier soumis au CODERST précise l'insertion du captage dans l'environnement ; dans son jugement avant-dire droit en date du 30 septembre 2014, qui n'a pas été frappé d'appel par la commune, le tribunal administratif avait précisé, en se fondant sur l'article R. 214-6 du code de l'environnement que la demande déposée par le syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau comportait l'étude d'incidence prévue par ces dispositions ;

- si l'arrêté préfectoral de DUP initial en date du 20 décembre 1967 fixait un débit de prélèvement autorisé à la source Aygue-Blanque de 120 1/s (soit 432 m3/h), le débit autorisé par 1'article 3 de 1 'arrêté préfectoral du 27 novembre 2012 est réduit à 83,3 Vs soit 300 m3/h de telle sorte que l'impact du captage sur l'environnement subit une évolution très favorable à ce dernier par rapport au dispositif initialement adopté en 1967, et en vigueur depuis.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 17 juin 2016 et le 20 octobre 2016, la commune de Louvie-Juzon, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge du syndicat mixte du Nord Est de Pau sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il ressort de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation que le dossier soumis à enquête publique doit comprendre une appréciation sommaire des dépenses en ce compris notamment l'estimation sommaire des acquisitions à réaliser ; l'absence de convention de gestion oblige à envisager le coût de l'expropriation ; Or, rien n'a été prévu à propos du périmètre de protection immédiate de la source d'Aygue Blanque ainsi que le rappelle le rapport du CODERST ;

- aucune étude relative à l'incidence du captage sur l'environnement ne figure dans les documents soumis à enquête publique ou dans le rapport du CODERST ; l'appréciation même sommaire des acquisitions à réaliser qui aurait dû figurer dans le dossier d'enquête publique à propos de la source devait comprendre la perte par la commune de la propriété de l'eau captée ; l'arrêté querellé est donc aussi entaché d'une erreur de droit en ce qu'il méconnaît le droit de propriété de la commune sur la ressource en eau.

Par ordonnance du 20 octobre 2016, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 30 décembre 2016 à 12 heures.

II. Par un recours et un mémoire, enregistrés le 1er février 2016 et le 17 octobre 2016, sous le n° 16BX00469, le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes puis le ministre des affaires sociales et de la santé, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300809 du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Louvie-Juzon les frais d'expertise judiciaire imputés à l'Etat et au SMNEP sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur recours est recevable dès lors que Mme A...D...avait délégation de signature régulière ;

- pour estimer que le coût des acquisitions était sous-évalué, le tribunal a intégré à tort la valeur économique du terrain à l'estimation sommaire des dépenses sans rechercher si le propriétaire du terrain avait la capacité juridique, technique et financière pour un projet de ce type ;

- la commune de Louvie-Juzon est adhérente du syndicat de l'eau de la Vallée d'Ossau seul compétent pour exploiter son eau ; elle n'a pas davantage la capacité technique et financière d'exploiter elle-même la source ;

- le jugement est entaché d'erreur de droit dès lors que les dispositions du II de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation, qui ne concernent que les DUP concernant les acquisitions d'immeubles ou la réalisation d'une opération d'aménagement importante, ne sont pas applicables au litige ;

- les dispositions du I de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation ne prescrivent aucune appréciation sommaire des acquisitions ;

- une notice d'incidence au titre de la loi sur l'eau a bien été réalisée et soumise lors de l'enquête publique ; elle traite en particulier de l'incidence des captages sur l'environnement ;

- le présent recours ne vise pas à remettre en cause le principe de la propriété des sources situées sur un terrain public ou privé mais de montrer que le juge administratif par le biais du contrôle qu'il a effectué sur l'estimation sommaire des dépenses, en évaluant l'indemnité d'expropriation, a empiété sur la compétence du juge judiciaire.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 18 mai 2016, le 16 juin 2016 et le 20 octobre 2016, la commune de Louvie-Juzon, représentée par MeC..., conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité du recours du ministre, à titre subsidiaire, au rejet au fond et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le recours n'est pas signé par le ministre et qu'il n'est pas établi que Mme D...dispose d'une délégation de signature régulière ;

Elle ajoute que :

- il ressort de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation que le dossier soumis à enquête publique doit comprendre une appréciation sommaire des dépenses en ce compris notamment l'estimation sommaire des acquisitions à réaliser ; l'absence de convention de gestion oblige à envisager le coût de l'expropriation ; Or, rien n'a été prévu à propos du périmètre de protection immédiate de la source d'Aygue Blanque ainsi que le rappelle le rapport du CODERST ;

- aucune étude relative à l'incidence du captage sur l'environnement ne figure dans les documents soumis à enquête publique ou dans le rapport du CODERST ; l'appréciation même sommaire des acquisitions à réaliser qui aurait dû figurer dans le dossier d'enquête publique à propos de la source devait comprendre la perte par la commune de la propriété de l'eau captée ; l'arrêté querellé est donc aussi entaché d'une erreur de droit en ce qu'il méconnaît le droit de propriété de la commune sur la ressource en eau.

Par un mémoire, enregistré le 28 septembre 2016, le syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau, représenté par MeB..., conclut aux mêmes fins que dans sa requête enregistrée le 28 janvier 2016 dans l'instance susvisée n° 16BX00405 par les mêmes moyens.

Par ordonnance du 20 octobre 2016, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 30 décembre 2016 à 12 heures.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Madelaigue ;

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant le syndicat mixte d'alimentation en eau potable du Nord-Est de Pau, et de MeE..., représentant la commune de Louvie-Juzon.

Des notes en délibéré présentées pour la commune de Louvie-Juzon ont été enregistrées le 13 septembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 215-13 du code de l'environnement dispose que la dérivation des eaux d'une source, lorsqu'elle est entreprise dans un but d'intérêt général par un établissement public, doit être autorisée par un acte déclarant d'utilité publique les travaux. L'article L. 1321-2 du code de la santé publique précise qu'en vue d'assurer la protection de la qualité des eaux, cet acte doit déterminer autour du point de prélèvement, à tout le moins un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont en principe à acquérir en pleine propriété, et un périmètre de protection rapprochée à l'intérieur duquel peuvent être interdites ou réglementées les activités de nature à nuire à la qualité des eaux. Par un arrêté du 27 novembre 2012 pris à la demande du syndicat mixte du Nord-Est de Pau (SMNEP), le préfet des Pyrénées-Atlantiques a notamment déclaré d'utilité publique les travaux de dérivation des eaux de la source d'Aygue Blanque sur le territoire de la commune de Louvie-Juzon ainsi que l'instauration de périmètres de protection immédiate et rapprochée.

2. La commune de Louvie-Juzon, qui détient des droits de propriété sur la parcelle F n° 42, lieu de résurgence de la source inclus dans le périmètre de protection immédiate, a demandé au tribunal administratif de Pau l'annulation de cette déclaration d'utilité publique. Après avoir, par un jugement avant-dire droit du 30 septembre 2014, ordonné une mesure d'expertise aux fins d'évaluer la valeur vénale de la partie de la parcelle incluse dans le périmètre de protection immédiate, le tribunal a annulé cette déclaration d'utilité publique par un jugement du 1er décembre 2015 dont le SMNEP et le ministre des solidarités et de la santé relèvent appel respectivement sous les n° 16BX00405 et 16BX00469.

3. Les deux requêtes du SMNEP et du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la légalité de la déclaration d'utilité publique :

4. En l'absence de dispositions spécifiques définissant la procédure qui leur est applicable, les actes portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique rappelées ci-dessus sont régis par les dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, en vigueur à la date de l'arrêté attaqué. Aux termes de l'article R. 11-3 de ce dernier code en vigueur à la date de la décision en litige : " L'expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : / I.- Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages : / (...) / 5° L'appréciation sommaire des dépenses ; / (...) II.- Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de l'acquisition d'immeubles, ou lorsqu'elle est demandée en vue de la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'urbanisme importante et qu'il est nécessaire de procéder à l'acquisition des immeubles avant que le projet n'ait pu être établi : (...) / 4° L'estimation sommaire des acquisitions à réaliser. ".

5. Il résulte des termes même de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique que chacun de ses paragraphes vise un cas distinct. Or le projet du SMNEP, constituant un ensemble unique, comportait la réalisation de travaux et d'ouvrages. Il n'appelait pas la mise en oeuvre de la procédure d'urgence prévue pour les cas où les acquisitions doivent intervenir avant que le projet n'ait pu être établi. Par suite, le dossier soumis à enquête publique devait être constitué conformément aux prescriptions du paragraphe I de l'article R. 11-3. Dès lors et ainsi que le SMNEP le soutient, en se fondant sur le II de cet article pour annuler la déclaration d'utilité publique contestée, le tribunal a fait application d'une règle inapplicable.

6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la commune de Louvie-Juzon devant le tribunal administratif et devant la cour.

7. L'appréciation sommaire des dépenses jointe au dossier d'enquête publique visée au point 4 a pour objet de permettre à tous les intéressés de s'assurer que les travaux ou ouvrages, compte tenu de leur coût total réel, tel qu'il peut être raisonnablement estimé à l'époque de l'enquête, ont un caractère d'utilité publique. L'estimation sommaire des dépenses telles qu'elles ont été évaluées au dossier d'enquête publique tenait compte seulement, à hauteur de 92 000 euros hors taxes, des travaux d'aménagement envisagés et n'incluait pas l'estimation du coût d'acquisition du terrain compris dans le périmètre de protection immédiate. D'après la commune de Louvie-Juzon et à ce titre, le dossier soumis à enquête publique aurait été incomplet.

8. Toutefois, les inexactitudes, omissions ou insuffisances du dossier d'enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. Dès lors, la seule circonstance que certaines dépenses auraient été omises n'est pas par elle-même de nature à entacher d'irrégularité la procédure si notamment, compte tenu de leur nature, leur montant apparaît limité au regard du coût global de l'opération.

9. Au sens du I de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation, le coût total réel d'un projet qui comporte l'acquisition d'immeubles, tel qu'il peut être raisonnablement estimé à l'époque de l'enquête, procède le cas échéant des conditions dans lesquelles, en application de l'article L. 13-13 de ce code - depuis lors transféré - le juge de l'expropriation sera appelé à fixer au bénéfice de l'exproprié une indemnité couvrant l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation. Il résulte des articles L. 13-14 et L. 13-15 de ce même code que, fixant ladite indemnité, ce juge doit prendre en considération la plus-value apportée au terrain par l'exploitation d'une ressource naturelle lorsque, un an avant l'arrêté ordonnant l'ouverture de l'enquête publique, la ressource était exploitée par son propriétaire, ou lorsque cette ressource est exploitable par lui à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété, compte non tenu, en principe, des améliorations postérieures à l'arrêté d'ouverture de l'enquête publique.

10. En l'espèce, il est constant que la commune de Louvie-Juzon n'a jamais exploité la source d'Aygue Blanque. Si la parcelle expropriée supporte, depuis 1967, les ouvrages que le SMNEP a implantés pour l'exploitation de la source au bénéfice exclusif des intérêts publics dont il a la charge, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est pas soutenu, qu'au 4 novembre 2011, date de l'arrêté ordonnant l'ouverture de l'enquête publique, ces mêmes ouvrages auraient permis l'exploitation de la source par la commune de Louvie-Juzon dans son propre intérêt. Dès lors, et contrairement à ce que soutient la commune, l'évaluation sommaire des dépenses requises au dossier d'enquête publique par le I de l'article R. 11-3 de ce code n'avait pas à tenir compte de la plus-value apportée au terrain par l'exploitation de la source.

11. La superficie de 94 m2 prise sur la parcelle cadastrée F n° 42 et qui est incluse dans le périmètre de protection immédiate forme une bande de terre longue de 23 mètres et dont la largeur oscille entre 2,5 et 5 mètres. Située en pied de falaise à 620 mètres d'altitude, son accès, au moyen d'un cheminement très abrupt, est difficile. Pour le reste en nature de lande et de rocher, elle supporte des ouvrages de captage rudimentaires et vétustes. Abstraction faite de la plus-value qui aurait été apportée au terrain par l'exploitation de la source, l'expertise ordonnée avant-dire droit par le tribunal a évalué le prix d'acquisition de cet ensemble immobilier à 2 400 euros. Dans ces conditions, à supposer même que cette acquisition ait été raisonnablement prévisible à l'époque de l'enquête publique et donc, que l'appréciation sommaire des dépenses jointe au dossier d'enquête publique ait irrégulièrement manqué de la prendre en compte, pour autant, les chiffres qui ont été portés à la connaissance du public et de l'autorité administrative ne peuvent être regardés comme manifestement sous-évalués.

12. Dès lors, la commune de Louvie-Juzon n'est pas fondée à se prévaloir du I de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

13. Il ressort enfin des pièces du dossier que, contrairement à ce que la commune de Louvie-Juzon soutient, la demande déposée par le SMNEP a comporté l'étude d'incidence prévue à l'article R. 214-6 du code de l'environnement.

14. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée au ministre, que le SMNEP est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé la déclaration d'utilité publique du 27 novembre 2012.

Sur les frais liés à l'instance :

15. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...) dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ". Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC, à la charge de la commune de Louvie-Juzon, partie perdante.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le SMNEP et l'Etat, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, versent à la commune de Louvie-Juzon la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Louvie-Juzon le versement d'une somme de 1 500 euros au syndicat qui le demande, en application des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1300809 du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la commune de Louvie-Juzon devant le tribunal administratif de Pau est rejetée.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 413,26 euros TTC sont mis à la charge de la commune de Louvie-Juzon.

Article 4 : La commune de Louvie-Juzon versera une somme de 1 500 euros au syndicat mixte du Nord-Est de Pau en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat mixte du Nord-Est de Pau, au ministre des solidarités et de la santé, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et à la commune de Louvie-Juzon. Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 11 septembre 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

Mme Florence Madelaigue, premier conseiller,

Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 9 octobre 2018.

Le rapporteur,

Florence MadelaigueLe président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Florence Deligey

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX00405, 16BX00469


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 16BX00405,16BX00469
Date de la décision : 09/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

EAUX - RÉGIME JURIDIQUE DES EAUX - RÉGIME JURIDIQUE DES COURS D'EAU - DUP EN VUE DE LA PROTECTION D'UNE SOURCE D'EAU DESTINÉE À LA CONSOMMATION HUMAINE - ELÉMENTS DEVANT ÊTRE PRIS EN COMPTE POUR L'APPRÉCIATION SOMMAIRE DES DÉPENSES - VALEUR ÉCONOMIQUE DE LA SOURCE - EXCLUSION EN L'ESPÈCE.

27-01-01 Le préfet des Pyrénées-Atlantiques a déclaré d'utilité publique au profit du syndicat mixte du Nord-Est de Pau les travaux de dérivation des eaux d'une source, ainsi que l'instauration de périmètres de protection immédiate et rapprochée. La commune de Louvie-Juzon, propriétaire du terrain où se situe la source, compris dans le périmètre de protection immédiate et qui doit en principe, en application de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, être acquis en pleine propriété, a demandé l'annulation de cet acte.,,,L'obligation prévue à l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique de faire figurer au dossier soumis à l'enquête publique une appréciation sommaire des dépenses a pour but de permettre à tous les intéressés de s'assurer que ces travaux ou ouvrages, compte tenu de leur coût total réel, tel qu'il peut être raisonnablement apprécié à l'époque de l'enquête, ont un caractère d'utilité publique. La seule circonstance que certaines dépenses auraient été omises n'est pas par elle-même de nature à entacher d'irrégularité la procédure si notamment, compte tenu de leur nature, leur montant apparaît limité au regard du coût global de l'opération.,,,En l'espèce, le coût total des travaux objet de la déclaration d'utilité publique porté à la connaissance du public dans le dossier de l'enquête publique avait été estimé à 92 000 euros, sans tenir compte du coût d'acquisition des terrains compris dans le périmètre de protection immédiate.... ,,Pour apprécier la régularité de la procédure suivie, la cour juge que la détermination du coût total réel de l'opération tel qu'il peut être raisonnablement estimé à l'époque de l'enquête, procède le cas échéant des conditions dans lesquelles le juge de l'expropriation sera appelé, conformément au code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, à fixer l'indemnité à verser à l'exproprié, en prenant en considération la plus-value apportée au terrain par l'exploitation d'une ressource naturelle lorsque, un an avant l'arrêté ordonnant l'ouverture de l'enquête publique, la ressource était exploitée par son propriétaire, ou lorsque cette ressource est exploitable par lui à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété, compte non tenu, en principe, des améliorations postérieures à l'arrêté d'ouverture de l'enquête publique.,,,En l'espèce, la commune de Louvie-Jouzon n'avait jamais exploité la source et il n'apparaissait pas qu'à la date de l'arrêté ordonnant l'ouverture de l'enquête publique, les ouvrages réalisés sur le terrain par le syndicat mixte auraient permis l'exploitation de la source par la commune dans son propre intérêt. Pour la cour, l'évaluation sommaire des dépenses n'avait donc pas à tenir compte de la plus-value apportée au terrain par l'exploitation de la source. Abstraction faite de cette plus-value, le prix d'acquisition de l'immeuble s'établissait à 2 400 euros. La cour a donc estimé que l'estimation portée à la connaissance du public, même si elle ne tenait pas compte de ce montant, n'avait pas été manifestement sous-estimée.

EAUX - TRAVAUX - CAPTAGE DES EAUX DE SOURCE.

27-03-01

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE - RÈGLES GÉNÉRALES DE LA PROCÉDURE NORMALE - ENQUÊTES - ENQUÊTE PRÉALABLE - DOSSIER D'ENQUÊTE - APPRÉCIATION SOMMAIRE DES DÉPENSES.

34-02-01-01-01-03


Références :

Rapprocher : Cass, 3ème civ, 2003-02-12, 01-70089, Bulletin 2003 III n°33 p 33.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Florence MADELAIGUE
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : SCPA COUDEVYLLE - LABAT - BERNAL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-10-09;16bx00405.16bx00469 ?
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