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31/05/2021 | FRANCE | N°19BX01460

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 31 mai 2021, 19BX01460


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2015 par lequel la rectrice de l'académie de Toulouse a retiré l'arrêté du 27 novembre 2015 et l'a admise à la retraire pour limite d'âge à compter du 1er décembre 2016, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 3 mars 2016 et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 89 652,37 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de l

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Par un jugement n° 1602992 du 6 février 2019, le tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2015 par lequel la rectrice de l'académie de Toulouse a retiré l'arrêté du 27 novembre 2015 et l'a admise à la retraire pour limite d'âge à compter du 1er décembre 2016, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 3 mars 2016 et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 89 652,37 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du 8 décembre 2015.

Par un jugement n° 1602992 du 6 février 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 avril 2019, Mme C..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 6 février 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté de la rectrice de l'académie de Toulouse du 8 décembre 2015 retirant l'arrêté du 27 novembre 2015 et l'admettant à la retraite à compter du 1er septembre 2016, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 3 mars 2016 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 89 652,37 euros ;

4°) de mettre à la charge l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'article 1-1 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public ne conditionne la demande du fonctionnaire à aucune exigence de délai ni ne subordonne sa mise en oeuvre à des conditions déterminées par le pouvoir règlementaire ; sa situation ne relève pas de l'article 4 du décret du 30 décembre 2009, pris pour l'application du seul article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984, dès lors qu'elle a sollicité une prolongation d'activité pour une période postérieure à ses 65 ans ; sa demande du 30 octobre 2015 ne pouvait être regardée comme une demande nouvelle présentée postérieurement à sa limite d'âge fixée le 21 novembre 2014 ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que l'administration était dans une situation de compétence liée dès lors qu'elle devait porter une appréciation quant à son aptitude et à l'intérêt du service, ces deux considérations pouvant fonder le refus de sa demande en application du 2ème alinéa de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 ;

- l'arrêté du 8 décembre 2015 n'est pas suffisamment motivé ;

- l'arrêté du 8 décembre 2015 est entaché d'erreur de droit en ce qu'aucune illégalité ne justifiait le retrait de l'arrêté du 27 novembre 2015 ;

- l'illégalité de l'arrêté du 8 décembre 2015 est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; son préjudice financier s'élève à 59 652,37 euros ; son préjudice lié aux troubles dans les conditions d'existence est évalué à 20 000 euros et son préjudice moral à 10 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 12 novembre 2020, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la rectrice de l'académie de Toulouse était tenue de rejeter la nouvelle demande de Mme C... sans disposer d'aucune marge d'appréciation dès lors qu'elle était présentée postérieurement à la limite d'âge statutaire et portait sur une période supérieure à dix trimestres, en méconnaissance des dispositions de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 ; compte tenu de la situation de compétence liée dans laquelle se trouvait la rectrice, les moyens développés à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 décembre 2015 étaient inopérants ;

- en l'absence d'illégalité de la décision contestée, les conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984

- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 ;

- la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ;

- le décret n° 2009-1744 du 30 décembre 2009

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020, et notamment son article 5 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... C..., née le 21 novembre 1949, titularisée dans le corps des professeurs certifiés le 1er septembre 1993, a présenté, le 14 janvier 2014, une demande de maintien en activité jusqu'au 1er septembre 2016 pour carrière incomplète. Par un arrêté du 6 février 2014, la rectrice de l'académie de Toulouse a fait droit à sa demande et l'a admise à la retraite à compter du 1er septembre 2016. Par une lettre du 30 octobre 2015, Mme C... a sollicité le report de la date de son départ à la retraite au 31 juillet 2017, qui a été accepté par un arrêté du 27 novembre 2015. Toutefois, par un arrêté du 8 décembre 2015, la rectrice de l'académie de Toulouse a retiré cette dernière décision en admettant Mme C... à la retraite à compter du 1er septembre 2016. Par une lettre du 3 mars 2016, Mme C... a formé un recours gracieux demandant le retrait de cet arrêté. Mme C... relève appel du jugement du 6 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 décembre 2015 et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux ainsi que ses conclusions indemnitaires.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 décembre 2015 :

2. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ". Aux termes de l'article L. 211-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

3. En application des dispositions citées ci-dessus, l'arrêté contesté du 8 décembre 2015, qui a eu pour effet de procéder au retrait de l'arrêté du 27 novembre 2015, décision créatrice de droit accordant à Mme C... une prolongation d'activité, devait être motivé. Or, il résulte de l'examen de cet arrêté du 8 décembre 2015 qu'il ne comportait aucune motivation en droit ni en fait. Cet arrêté n'a donc pas permis à Mme C... de comprendre et donc de contester de façon appropriée la décision de retrait prise à son encontre. Par ailleurs, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la rectrice de l'académie de Toulouse, qui était nécessairement conduite, pour relever l'éventuelle illégalité de l'arrêté du 27 novembre 2015, à porter une appréciation sur les faits de l'espèce, notamment sur les critères exigés par l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public, ne se trouvait pas, pour procéder au retrait de cet arrêté, en situation de compétence liée. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 8 décembre 2015 n'était pas inopérant. Dès lors, Mme C... est fondée à soutenir que cette décision méconnait l'article L. 211-1 du code des relations entre le public et l'administration et qu'elle doit, pour ce motif, être annulée.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 décembre 2015.

Sur les conclusions indemnitaires :

5. Si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de la collectivité publique, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise.

6. Aux termes de l'article 68 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les fonctionnaires ne peuvent être maintenus en fonctions au-delà de la limite d'âge de leur emploi sous réserve des exceptions prévues par les textes en vigueur ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public : " Sous réserve des reculs de limite d'âge pouvant résulter des textes applicables à l'ensemble des agents de l'Etat, la limite d'âge des fonctionnaires civils de l'Etat est fixée à soixante-sept ans lorsqu'elle était, avant l'intervention de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, fixée à soixante-cinq ans ". Aux termes de l'article 1-1 de la même loi : " Sous réserve des droits au recul des limites d'âge reconnus au titre des dispositions de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, les fonctionnaires dont la durée des services liquidables est inférieure à celle définie à l'article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite peuvent, lorsqu'ils atteignent les limites d'âge applicables aux corps auxquels ils appartiennent, sur leur demande, sous réserve de l'intérêt du service et de leur aptitude physique, être maintenus en activité. / La prolongation d'activité prévue à l'alinéa précédent ne peut avoir pour effet de maintenir le fonctionnaire concerné en activité au-delà de la durée des services liquidables prévue à l'article L. 13 du même code ni au-delà d'une durée de dix trimestres (...) ".

7. Il résulte de l'instruction que la première demande de prolongation d'activité présentée le 14 janvier 2014 par Mme C... portait sur la période du 21 novembre 2014 au 1er septembre 2016, soit sept trimestres, et que sa seconde demande, présentée le 30 octobre 2015, concernait la période du 1er septembre 2016 au 31 juillet 2017. Par suite, l'arrêté du 27 novembre 2015, qui fixait au 1er août 2017 la date d'admission à la retraite de Mme C..., était illégal dès lors qu'en autorisant une prolongation d'activité au-delà d'une durée totale de dix trimestres, il méconnaissait les dispositions citées ci-dessus de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984. Ainsi, en l'espèce, la décision du 27 novembre 2015 aurait pu légalement être retirée par un arrêté suffisamment motivé. Dès lors, les préjudices invoqués par Mme C... du fait du retrait de cette décision résultent de l'application même des dispositions de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 et ne sauraient, par suite, être regardés comme la conséquence du vice dont est entaché l'arrêté du 8 décembre 2015. Par suite, Mme C... n'est pas fondée se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie principalement perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme C... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 6 février 2019 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme C... tendant à l'annulation de l'arrêté de la rectrice de l'académie de Toulouse du 8 décembre 2015.

Article 2 : L'arrêté du 8 décembre 2015 de la rectrice de l'académie de Toulouse est annulé.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Délibéré après l'audience du 29 avril 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme D..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2021.

La présidente,

Marianne Hardy

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX01460 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01460
Date de la décision : 31/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-10 Fonctionnaires et agents publics. Cessation de fonctions.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SABATTE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-05-31;19bx01460 ?
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