Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler, d'une part, la décision du 9 décembre 2016 par laquelle le commandant de la gendarmerie de Guadeloupe n'a pas agréé la demande de mutation qu'elle avait formulée le 10 octobre 2016 et, d'autre part, la décision implicite de rejet de son recours devant la commission des recours des militaires qui a confirmé la décision de non-agrément.
Par un jugement n° 1700632 du 14 décembre 2018, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 février 2019, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 14 décembre 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet du recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission des recours des militaires le 8 janvier 2017 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet du recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission des recours des militaires le 8 janvier 2017 contre la décision du 9 décembre 2016 par laquelle le commandant de la gendarmerie de la Guadeloupe n'a pas agréé sa demande de mutation présentée le 10 octobre 2016 ;
3°) d'enjoindre à l'administration de la rétablir dans son droit à être mutée dans une autre brigade de la Guadeloupe ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'est pas suffisamment motivé ; le tribunal a jugé que les faits dénoncés n'étaient pas de nature à faire présumer une situation de harcèlement moral, en se contentant de motiver le jugement en retenant que les faits n'étaient pas matériellement établis ;
- le refus opposé à sa demande de mutation méconnaît les dispositions de la circulaire 970980 du 3 septembre 2015 relative à la gestion des sous-officiers de la gendarmerie affectés en outre-mer et de la note d'information 18851 du 15 juin 2015 ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation, l'administration ayant toute latitude de la muter au sein d'une autre brigade au titre du département ou de la collectivité outre-mer dans le cadre du plan annuel de mutation 2017 ou dans une autre cellule du département ou de la collectivité outre-mer par le mécanisme d'une mutation d'office dans l'intérêt du service pour motifs tenant à la personne conformément aux dispositions de la circulaire 90000/GEND/DPMGN/SDAP/BCPJ du 20 novembre 2012 ;
- le refus de mutation dans les unités de Guadeloupe qu'elle avait sollicitées, résulte de faits qui sont constitutifs d'une situation de harcèlement moral, en méconnaissance de l'article L. 4123-10-2 du code de la défense.
Par un mémoire enregistré le 10 août 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de la circulaire n° 970980 GEND/DPMGN/SDGP/BPSOGV du 3 septembre 2015 relative à la gestion des
sous-officiers de la gendarmerie affectés outre-mer et la note d'information n° 18851 GEND/CGOM/BPERS/SMOB du 15 juin 2015 relative aux modalités de gestion des sous-officiers de gendarmerie du cadre général et des gendarmes adjoints volontaires relevant du CGOM est inopérant dès lors que la mutation n'est pas un avantage dont l'attribution constitue un droit pour le fonctionnaire qui l'a demandée ;
- les autres moyens présentés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020, et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., intégrée dans les rangs de la gendarmerie nationale le 27 mars 2000 en qualité d'élève-gendarme volontaire, lauréate du concours de sous-officiers de gendarmerie le 26 août 2003, promue au grade de maréchal des logis-chef le 1er septembre 2010 puis au grade d'adjudant le 1er décembre 2012, a été affectée le 17 juillet 2016 à la brigade territoriale autonome de Saint-Claude au sein du commandement de la gendarmerie de la Guadeloupe. Le 10 octobre 2016, elle a sollicité une mutation au sein d'une autre unité du commandement de la gendarmerie de la Guadeloupe. Par une décision du 9 décembre 2016, le commandant de la gendarmerie de Guadeloupe a rejeté sa demande de mutation. Le 8 janvier 2017, Mme A... a formé un recours administratif préalable, au caractère obligatoire, devant la commission des recours des militaires. Mme A... relève appel du jugement du 14 décembre 2018 en tant que le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision née du silence gardé pendant quatre mois sur son recours devant la commission des recours des militaires.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif a, au point 13 de son jugement, exposé les raisons pour lesquelles il estimait que les faits invoqués par la requérante n'étaient pas constitutifs de harcèlement moral. Ces indications ont permis à Mme A... de comprendre et de contester utilement l'appréciation ainsi portée par les premiers juges. Par suite, contrairement à ce que soutient l'appelante, le jugement est suffisamment motivé.
Sur la légalité de la décision implicite de rejet du recours exercé devant la commission des recours des militaires :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 4121-5 du code de la défense : " Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu (...) ".
5. Il résulte des dispositions citées au point précédent qu'il appartient à l'autorité militaire compétente d'apprécier l'intérêt du service pour prononcer la mutation des personnels et leur affectation. Mme A... n'a ainsi aucun droit à obtenir l'affectation de son choix. D'ailleurs, la décision contestée refusant d'agréer la demande de mutation présentée par Mme A... seulement quatre mois après son affectation en outre-mer ne méconnaît, en tout état de cause, ni le point 3.6 de la circulaire n° 970980 du 3 septembre 2015 relative à la gestion des sous-officiers de la gendarmerie affectés en outre-mer selon lequel si les militaires ont vocation à occuper le même emploi tout au long de leur séjour, la mobilité au sein d'un commandement de gendarmerie demeure possible afin d'assurer la continuité du service, de répondre à des situations fortuites ou à des besoins spécifiques, ni la note du 15 juin 2015 aux termes de laquelle la mutation interne sur demande n'intervient normalement qu'après deux ans pour le régime commun et doit rester compatible avec les exigences du service. Par ailleurs, l'appelante ne verse au dossier aucun élément permettant de remettre en cause les pièces produites par le ministre démontrant que les unités demandées par Mme A... ne disposaient pas de postes vacants correspondant à son grade et à ses responsabilités. En particulier, s'agissant du message du 16 décembre 2016, l'administration soutient sans être sérieusement contestée, que le militaire affecté à la brigade de recherches de Saint-Claude pour servir à l'été 2017, avait déjà servi en unités de recherches et de renseignements pendant huit ans, contrairement à l'appelante qui n'avait pas servi au sein d'une telle unité. Enfin, la circonstance, au demeurant non établie, qu'un tiers des effectifs de la Guadeloupe seraient mutés chaque année ne suffit pas à démontrer la vacance d'un poste dans les unités demandées par Mme A.... Par suite, en estimant que la demande de mutation de Mme A... ne pouvait être accueillie, compte tenu de la situation des effectifs dans le grade de l'appelante au sein des unités qu'elle avait sollicitées, le ministre n'a pas fait des dispositions légales applicables une inexacte application.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 4123-10 du code de la défense : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les menaces, violences, harcèlements moral ou sexuel, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet. / L'État est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ". L'article L. 4123-10-2 du même code dispose : " Aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un militaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral mentionnés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés (...) ".
7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
8. Pour caractériser les faits de harcèlement moral dont elle prétend avoir été victime, Mme A... fait valoir qu'après avoir dénoncé des conditions anormales dans l'exécution du service au sein de la brigade de Saint-Claude, elle a fait l'objet d'une " entreprise de dénigrement " et de " déstabilisation ". Elle soutient que les manquements professionnels des personnels de la brigade territoriale autonome de Saint-Claude ont impacté ses conditions de travail et ont engendré la perte de quartiers libres et que la notation qui lui a été attribuée pour l'année 2017 ne traduit pas une appréciation réelle de sa manière de servir et est en contradiction avec les décisions défavorables relatives à sa mutation. Elle invoque une injure à son encontre par l'une de ses supérieures et soutient qu'elle s'est vu infliger une sanction de dix jours d'arrêts. Enfin, elle fait valoir que le refus d'agrément de sa demande de mutation interne, comme la décision de mutation d'office en métropole, ont été pris à son égard en prenant en considération ces faits constitutifs de harcèlement moral. Il ressort toutefois des pièces du dossier que, en premier lieu, la perte de quartiers libres, au demeurant non établie par les pièces du dossier, n'est pas propre à Mme A... et ne caractérise pas une inégalité de traitement. En deuxième lieu, la notation établie en 2017, qui souligne les qualités professionnelles de l'appelante, mais rappelle également ses nombreuses critiques qui ont contribué à l'instauration de conditions de travail dégradées au sein de son unité et ses difficultés relationnelles, ne révèle pas d'incohérence avec la décision de muter l'appelante pour raison de service. En troisième lieu, la plainte déposée le 13 septembre 2016 pour des faits d'" injures publiques " a été classée sans suite le 26 octobre 2016 et la circonstance que, le 12 septembre 2016, une de ses supérieures aurait employé des propos vulgaires à son encontre, pour regrettables qu'ils soient, ne caractérise pas à elle seule un harcèlement moral, ainsi que l'a relevé le rapport de l'inspection générale de la gendarmerie rédigé à la suite de la saisine de la plateforme " Stop-Discri " le 2 décembre 2016. Enfin, la décision de sanction de dix jours d'arrêts du 9 juin 2017 a été retirée par une décision du général commandant la gendarmerie de Guadeloupe du 19 mars 2018. Ainsi, les faits relatés par Mme A... ne sont pas susceptibles, eu égard à leur nature et à leur fréquence, de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Par suite, même à le supposer opérant à l'encontre de la décision litigieuse, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 4123-10-2 du code de la défense doit être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours formé le 8 janvier 2017 devant la commission des recours des militaires contre la décision du 9 décembre 2016 par laquelle le commandant de la gendarmerie de la Guadeloupe n'a pas agréé sa demande de mutation présentée le 10 octobre 2016.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme A..., n'appelle aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2021 à laquelle siégeaient :
M. Didier Salvi, président,
Mme F..., première conseillère,
Mme D... B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2021.
Le président,
Didier Salvi
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX00796 6