Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de mettre à la charge de l'Office national des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) une indemnité de 359 538,77 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à la suite de l'accident médical dont il a été victime lors de l'intervention chirurgicale réalisée le 16 octobre 2014 au centre hospitalier universitaire de Bordeaux.
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Pau-Pyrénées a demandé la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser la somme de 133 150,64 euros en remboursement de ses débours, ainsi que la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 1704946 du 26 février 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a, d'une part, mis à la charge de l'ONIAM une somme de 71 625 euros à verser à M. E..., ainsi que les frais d'expertise taxés et liquidés à hauteur de 1 360 euros et la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, d'autre part, rejeté la demande de la CPAM de Pau-Pyrénées.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 25 avril 2019, le 29 septembre 2020 et le 30 septembre 2020, l'ONIAM, représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) de rejeter la demande de M. E... présentée devant le tribunal en tant qu'elle est dirigée contre l'ONIAM ;
3°) à titre subsidiaire, de rejeter la demande en ce qu'elle porte sur une perte de gains professionnels actuels, une perte de gains professionnels futurs, un préjudice d'incidence professionnelle et un préjudice d'agrément, de rejeter les conclusions présentées par M. E... par la voie de l'appel incident tendant à ce que les sommes allouées par le tribunal au titre des autres postes de préjudices soient majorées.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que les douleurs névralgiques intercostales dont souffre M. E... résultent d'un échec thérapeutique qui n'est pas susceptible d'être indemnisé au titre de la solidarité nationale dès lors que ces douleurs préexistaient à l'intervention chirurgicale litigieuse du 16 octobre 2014 qui n'a eu aucune incidence à cet égard ;
- c'est en revanche à tort que le tribunal a estimé que le sectionnement involontaire du nerf grand dentelé n'engage pas la responsabilité pour faute du centre hospitalier universitaire de Bordeaux alors que ce nerf n'était pas visé par l'intervention et que M. E... ne présentait aucune particularité anatomique justifiant un risque plus élevé d'atteinte du nerf grand dentelé gauche ; le caractère exceptionnel de cette complication, qui n'est pas inhérente à l'intervention réalisée, ne saurait suffire à justifier qu'elle soit qualifiée d'aléa thérapeutique ;
- à titre subsidiaire, le dommage de M. E... ne remplit pas les critères de gravité permettant une indemnisation au titre de la solidarité nationale ;
- le jugement présente des motifs contradictoires en retenant, d'une part, que M. E... n'aurait, du fait de ses douleurs intercostales, pas repris son activité professionnelle en l'absence d'atteinte du nerf grand dentelé et, d'autre part, qu'il existe un lien de causalité entre cet arrêt de travail et la complication dont il a été victime ;
- à titre subsidiaire, devront être rejetées les demandes de M. E... relatives à sa perte de gains professionnels actuels faute de lien de causalité établi avec la complication, à sa perte de gains professionnels futurs faute de lien de causalité et dès lors qu'il n'est pas établi qu'il ne pourrait plus exercer une quelconque activité professionnelle et à son préjudice d'agrément dont la réalité n'est pas établie ;
- les sommes allouées par le tribunal au titre du déficit fonctionnel temporaire, du déficit fonctionnel permanent, des souffrances endurées, du préjudice esthétique permanent et du préjudice sexuel doivent être réduites à de plus justes proportions.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 juillet 2019 et le 4 septembre 2020, M. E..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de l'ONIAM ;
2°) par la voie de l'appel incident, de porter à 359 538,37 euros la somme que le tribunal administratif de Bordeaux a mise à la charge de l'ONIAM pour la réparation de ses préjudices ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser cette même somme ;
4°) de mettre à la charge de l'ONIAM, et subsidiairement du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- il ne demande réparation que des préjudices liés à l'atteinte très sévère du nerf grand dentelé gauche qu'il a subie lors de l'intervention du 16 octobre 2014 ;
- cette complication résulte bien d'un accident médical susceptible d'ouvrir droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ;
- son dommage atteint bien le seuil de gravité nécessaire pour une indemnisation à ce titre puisqu'il a été contraint de cesser ses activités professionnelles pendant plus de six mois ; cette interruption est bien due à la lésion du nerf grand dentelé gauche et ne résulte pas de ses douleurs intercostales préexistantes ; en toute hypothèse, l'acte opératoire ayant majoré ces douleurs intercostales, il n'y a pas lieu de distinguer la part de chacune des lésions dans son dommage final ; en outre, il a été déclaré définitivement inapte à l'exercice de son activité professionnelle ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Bordeaux est engagée en raison de la maladresse fautive à l'origine de la lésion ;
- le centre hospitalier universitaire, qui avait été attrait à la cause par l'ONIAM en première instance, n'avait pas soulevé l'absence de demande préalable devant le tribunal, et n'est pas recevable à soulever une fin de non-recevoir sur ce point pour la première fois en appel ;
- ses préjudices doivent être évalués aux sommes suivantes :
o 24 156,01 euros au titre de sa perte de gains professionnels actuels ;
o 267 720,26 euros au titre de sa perte de gains professionnels futurs ;
o 200 000 euros au titre de l'incidence professionnelle dans l'hypothèse où il ne serait pas fait droit à sa demande présentée au titre de la perte de gains professionnels futurs ;
o 5 062,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
o 27 600 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 15% ;
o 8 000 euros au titre des souffrances endurées de 3,5/7 ;
o 2 000 euros au titre du préjudice esthétique de 1,5/7 ;
o 10 000 euros au titre du préjudice sexuel ;
o 15 000 euros au titre du préjudice d'agrément.
Par un mémoire, enregistré le 30 juillet 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de Pau-Pyrénées, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser la somme de 31 079,56 euros en remboursement de ses débours déjà exposés, outre la pension d'invalidité au fur et à mesure des versements à venir, à moins qu'il ne préfère s'acquitter du capital représentatif de la pension, évalué à 102 071,08 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux les intérêts au taux légal " à compter de la décision à intervenir ", les sommes de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de 13 euros au titre des droits de plaidoirie, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- la section du nerf grand dentelé de M. E... résulte d'une maladresse du chirurgien et caractérise une faute du centre hospitalier universitaire de Bordeaux ;
- le centre hospitalier universitaire est ainsi tenu de lui rembourser le montant de ses débours qui s'élève à la somme de 133 150,64 euros soit 6 237,47 euros au titre des dépenses de santé, 13 612,91 euros au titre des indemnités journalières, 11 229,18 euros au titre des arrérages échus en invalidité jusqu'au 31 mai 2018, et 102 071,08 euros au titre du capital invalidité.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 août 2020 et le 21 octobre 2020, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux, représenté par Me J..., conclut au rejet de la requête de l'ONIAM et des conclusions de M. E... dirigées à son encontre.
Il soutient que :
- M. E... n'est pas recevable à diriger, pour la première fois en appel, ses conclusions contre le centre hospitalier universitaire de Bordeaux ;
- ces conclusions sont également irrecevables faute pour M. E... de lui avoir adressé une demande d'indemnisation préalable ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la section du nerf grand dentelé gauche de M. E... ne résulte pas d'une faute mais constitue un aléa thérapeutique, car cette atteinte constituait un risque inhérent à l'intervention et le praticien a agi conformément aux règles de l'art ;
- à supposer que la cour retienne l'existence d'une faute, seule une majoration des douleurs de M. E... de 20% est imputable à l'acte chirurgical litigieux ; la perte de gains professionnels actuels et futurs, les souffrances endurées et le préjudice d'agrément dont M. E... demande l'indemnisation ne sont pas en lien avec l'intervention du 16 octobre 2014 car il s'agit de préjudices résultant entièrement de son état antérieur ;
- en toute hypothèse, aucune indemnité ne saurait être allouée au titre des pertes de gains professionnels futurs, M. E... n'étant pas dans l'impossibilité d'exercer toute activité professionnelle ; l'incidence professionnelle, n'est pas établie et, à titre subsidiaire, la somme demandée à ce titre est excessive ; le déficit fonctionnel temporaire, le déficit fonctionnel permanent, le préjudice sexuel et le préjudice d'agrément ne résultent pas exclusivement de la section du nerf grand dentelé et, à titre subsidiaire, les sommes demandées à ce titre sont excessives ; les sommes demandées au titre des souffrances endurées et du préjudice esthétique permanent devront être minorées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... G...,
- les conclusions de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, rapporteure publique,
- et les observations de Me H..., représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... a ressenti de vives douleurs inter scapulaires et intercostales gauches après une séance de course à pied en décembre 2013, et une imagerie par résonance magnétique réalisée le 30 janvier 2014 a permis d'objectiver une petite hernie discale T6-T7 paramédiane gauche. Le traitement par antalgiques, puis les infiltrations pratiquées, n'ayant pas permis de remédier aux douleurs, une intervention chirurgicale a été pratiquée au centre hospitalier universitaire de Bordeaux le 16 octobre 2014 pour procéder à une discectomie T6-T7 par minithoracotomie vidéo-assistée. Les suites opératoires ont été marquées par la persistance de douleurs neuropathiques. Un décollement majeur de l'omoplate gauche ainsi qu'une atteinte très sévère du nerf grand dentelé gauche ont été objectivés par les différents examens réalisés, qui ont conduit, le 19 mai 2015, à une intervention de neurolyse du long thoracique.
2. M. E... a saisi, le 9 septembre 2015, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) d'Aquitaine d'une demande d'indemnisation. Après la réalisation d'une expertise dont le rapport a été remis le 27 novembre 2015, cette commission a conclu, par un avis du 13 janvier 2016, à l'absence de faute du centre hospitalier universitaire de Bordeaux et à l'indemnisation des préjudices de M. E... par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale. L'ONIAM ayant refusé de lui adresser une offre, M. E... a sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux qu'il ordonne une nouvelle expertise médicale. Le rapport de cette expertise a été déposé le 26 juillet 2017 et M. E... a adressé à l'ONIAM une demande d'indemnisation, qui a été rejetée par une décision du 16 octobre 2017. Saisi par M. E... puis par la CPAM de Pau-Pyrénées, le tribunal administratif de Bordeaux a, d'une part, mis à la charge de l'ONIAM une somme de 71 625 euros à verser à M. E... en réparation de ses préjudices, ainsi que les frais d'expertise taxés et liquidés à hauteur de 1 360 euros et la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, d'autre part, rejeté la demande de la CPAM de Pau-Pyrénées. L'ONIAM relève appel de ce jugement en tant qu'il a mis à sa charge la réparation des préjudices de la victime. M. E... et la CPAM de Pau-Pyrénées demandent respectivement à la cour la majoration des sommes allouées par le tribunal et le remboursement de ses débours.
Sur l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Bordeaux :
3. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
4. L'ONIAM soutient que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que la lésion du nerf grand dentelé gauche causée à M. E... à l'occasion de l'intervention chirurgicale du 16 octobre 2014 caractérise un accident médical, alors qu'elle révèle nécessairement une maladresse fautive du chirurgien, laquelle engage la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Bordeaux dès lors qu'il a été porté atteinte à un organe ou partie du corps du patient que l'intervention n'impliquait pas et que M. E... ne présentait aucune particularité anatomique justifiant un risque majoré d'atteinte à ce nerf. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment des deux expertises médicales au dossier que l'atteinte au nerf grand dentelé est une complication connue, bien qu'exceptionnelle, de la minithoracotomie à fin de discectomie. Tant l'expert désigné par la CCI d'Aquitaine que celui désigné par le tribunal administratif de Bordeaux ont indiqué que l'atteinte au nerf grand dentelé devait en l'espèce être regardée comme la réalisation de ce risque inhérent à l'intervention, et qu'aucune faute du centre hospitalier universitaire de Bordeaux ne pouvait être retenue. Dans ces conditions, alors que l'ONIAM n'apporte aucun élément permettant de caractériser la faute qu'il reproche à cet établissement de santé et qu'une telle faute ne saurait être regardée comme présumée au vu des circonstances de l'espèce, la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Bordeaux n'est pas engagée, ainsi que l'ont retenu les premiers juges. Le dommage de M. E... n'étant pas imputable à un tiers, la CPAM de Pau-Pyrénées n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant au remboursement de ses débours, présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la santé publique.
Sur les conditions d'une indemnisation par l'ONIAM :
5. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : / 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; / 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. ".
6. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.
7. L'ONIAM ne conteste pas que la lésion du nerf grand dentelé a entraîné un décollement de l'omoplate de M. E..., soit des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles il aurait été exposé de manière suffisamment probable à défaut d'intervention chirurgicale. La condition d'anormalité du dommage doit ainsi être tenue pour satisfaite.
8. Pour retenir que M. E... avait droit à l'indemnisation, par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, des préjudices résultant de l'accident médical dont il a été victime, le tribunal administratif a relevé qu'il a été placé en arrêt de travail jusqu'au 30 octobre 2016 soit plus de six mois consécutifs, même en excluant la période de deux mois ayant immédiatement suivi l'intervention pendant laquelle il aurait de toute façon été arrêté. Il résulte néanmoins de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise diligenté par le tribunal, que les douleurs intercostales dont M. E... souffrait en raison de sa hernie discale l'avait d'ores et déjà conduit à cesser toute activité professionnelle depuis le 17 février 2014, soit plusieurs mois avant l'intervention litigieuse du 16 octobre suivant. Cette intervention ayant échoué à remédier aux douleurs dont il souffrait, M. E... n'aurait, en toute hypothèse, pas été en mesure de reprendre son activité de chauffeur routier, à laquelle faisait également obstacle le lourd traitement antalgique qui lui était administré et qui le conduisait à s'assoupir au volant. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, l'accident médical survenu au cours de l'intervention chirurgicale du 16 octobre 2014 ne saurait être regardé comme ayant entraîné, au sens des dispositions précitées, les arrêts de travail de M. E... postérieurs à cette date, ni même son inaptitude à son activité professionnelle antérieure, ceux-ci résultant déjà entièrement de son état initial.
9. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise diligenté par le tribunal, que la lésion du nerf grand dentelé de M. E... a entraîné une limitation de l'élévation abduction antépulsion active à 85° sur son membre supérieur gauche, non dominant chez un droitier, ce qui correspond à un déficit fonctionnel permanent de 15%. Ce pourcentage est inférieur à celui prévu par les dispositions précitées des articles L. 1142-1 et D. 1142-1 du code de la santé publique.
10. Il résulte de l'instruction que l'accident médical litigieux a été à l'origine d'un déficit fonctionnel temporaire total du 22 mai au 11 juin 2015, d'un déficit fonctionnel de 50% du 22 mai au 11 juin 2015 et d'un déficit fonctionnel de 25% du 16 décembre 2014 au 17 mai 2015 et du 12 juin 2015 à la date de consolidation de son état de santé, le 4 juillet 2017. Ainsi, M. E... n'a pas subi, du fait de l'accident médical, de gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à 50% pendant une durée de six mois.
11. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas soutenu par M. E... que l'accident médical en cause serait à l'origine de troubles particulièrement graves dans ses conditions d'existence au sens du dernier alinéa de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies, et que l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a mis à sa charge une indemnité d'un montant de 71 625 euros à verser à M. E.... Il résulte également de ce qui précède que M. E... n'est fondé à demander ni que les sommes mises à la charge de l'ONIAM soient majorées ni, à titre subsidiaire, que le centre hospitalier universitaire de Bordeaux soit condamné à l'indemniser.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
13. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. ".
14. Il y a lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de maintenir les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Bordeaux, taxés et liquidés à la somme de 1 360 euros, à la charge définitive de l'ONIAM.
15. M. E... étant la partie perdante dans la présente instance, les conclusions qu'il présente tendant à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'ONIAM et subsidiairement du centre hospitalier universitaire de Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
16. La CPAM Pau-Pyrénées n'obtenant pas le remboursement de ses débours dans la présente instance, les conclusions qu'elle présente tendant à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux l'indemnité forfaitaire de gestion, les somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de 13 euros au titre des droits de plaidoirie ne peuvent qu'être rejetées également.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 26 février 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 360 euros, sont mis à la charge de l'ONIAM.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à M. I... E..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux et à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau-Pyrénées.
Copie en sera adressée à M. B..., expert.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme C... G..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 avril 2021.
La présidente,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01701