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07/04/2021 | FRANCE | N°20BX01757

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 07 avril 2021, 20BX01757


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 20 juin 2019 par laquelle la préfète des Deux-Sèvres lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a délivré une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement.

Par un jugement n° 1902261 du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le

26 mai 2020, Mme D..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du t...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 20 juin 2019 par laquelle la préfète des Deux-Sèvres lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a délivré une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement.

Par un jugement n° 1902261 du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 mai 2020, Mme D..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 16 janvier 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 20 juin 2019 par laquelle la préfète des Deux-Sèvres lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a délivré une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Deux-Sèvres, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour temporaire dans le délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me A..., sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision méconnait l'article L. 313-11 6e du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit à la vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle porte atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant en méconnaissance de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2020, le préfet des Deux-Sèvres conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.

Mme B... D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 avril 2020.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme F... G... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., de nationalité comorienne, serait entrée à Mayotte en 2011, puis en France métropolitaine le 24 mars 2017 munie d'un titre de séjour valable uniquement sur le territoire mahorais, mention " vie privée et familiale " en qualité de parent d'enfant français. Le 24 septembre 2018, Mme D... a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. Par un arrêté du 20 juin 2019 la préfète des Deux-Sèvres lui a refusé la délivrance du titre et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destination. Mme D... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Poitiers. Elle relève appel du jugement du 16 janvier 2020 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) ". Selon l'article L. 623-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (...). / Ces mêmes peines sont applicables en cas d'organisation ou de tentative d'organisation d'un mariage ou d'une reconnaissance d'enfant aux mêmes fins. / Elles sont portées à 10 ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise en bande organisée ".

3. En premier lieu, si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., née en 1994, de nationalité comorienne, serait entrée sur le territoire de Mayotte en 2011. A la suite de la naissance, le 26 août 2013, de sa fille Hidaya, qui avait fait l'objet d'une reconnaissance de paternité le lendemain, 27 août 2013, par un ressortissant français, M. H... né en 1959, elle a obtenu, un titre de séjour valable uniquement sur le territoire mahorais en application des dispositions de l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle est ensuite entrée irrégulièrement sur le territoire métropolitain et sa demande de titre de séjour présentée, sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11, a été rejetée par la préfète des Deux-Sèvres, qui a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français. Il ressort de l'entretien de Mme D... avec les services de la préfecture le 11 décembre 2018, qu'elle n'a jamais vécu avec M. H..., elle ne connaissait aucun détail de sa vie, elle a été dans l'incapacité de restituer des souvenirs de leurs rencontres, ne connaît ni son adresse ni son numéro de téléphone ni sa profession ni aucun membre de sa famille, n'a aucun contact avec lui et l'aurait vu pour la dernière fois en 2014. Il résulte en outre des pièces versées au dossier par le préfet des Deux-Sèvres que M. H... aurait fait légation de son autorité parentale à Mme D... le 17 décembre 2014 en indiquant d'ailleurs " pour nos enfants " alors qu'il s'agit d'une seule fille. Au surplus, le préfet des Deux-Sèvres soutient sans être contredit que M. H... a également reconnu deux autres enfants de mères entrées irrégulièrement sur le territoire français et qu'il ne participe pas à l'entretien et l'éducation de l'enfant.

5. Au regard de ces éléments précis et concordants, et alors même que l'autorité judiciaire n'aurait pas donné suite, pour des raisons inconnues, à sa saisine par le préfet en reconnaissance de paternité frauduleuse, Mme D... ne fournit aucun élément permettant de retenir que M. H... serait effectivement le père de son enfant. Dès lors, la préfète des Deux-Sèvres doit être regardée comme établissant que la reconnaissance de paternité souscrite par M. H... à l'égard de la fille de Mme D... avait un caractère frauduleux. Par suite, la préfète des Deux-Sèvres, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude dès lors que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'était pas acquise, était légalement fondé à refuser, pour ce motif, la délivrance du titre de séjour sollicité par Mme D..., alors même qu'à la date de ce refus, son enfant mineure, avec qui elle vit, n'avait pas été déchu de la nationalité française.

6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la requérante est entrée récemment sur le territoire métropolitain où elle vit avec sa fille. Si elle fait état de l'existence de sa mère et d'un frère sur le territoire métropolitain, il ne ressort d'aucun élément autre qu'une attestation sur l'honneur, que ceux-ci, qui ne portent pas le même nom qu'elle, aient effectivement cette qualité et, en tout état de cause, qu'ils entretiendraient des liens particuliers avec la requérante. En outre, il ressort des pièces du dossier Mme D... a un autre enfant mineur dans son pays d'origine, resté avec son père. Par suite, et eu égard au motif qui le fonde, l'arrêté contesté n'a pas porté au respect de la vie privée et familiale de Mme D... une atteinte excessive au regard des buts poursuivis par la préfète des Deux-Sèvres et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme.

7. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un élément interdirait que la fille de Mme D... née en 2013 quitte le territoire français en compagnie de sa mère. De même, compte tenu de son jeune âge, sa scolarisation en école maternelle sur le territoire français à la date de la décision attaquée n'est pas de nature à faire obstacle au bon déroulement de sa scolarité. Par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, doit être écarté.

8. Il résulte de ce qui précède, que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 20 juin 2019. Par suite, les conclusions à fin d'injonction de Mme D... et celles qui tendent à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera délivrée au préfet des Deux-Sèvres.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme F... G..., présidente-assesseure,

Mme E... C..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2021.

Le président,

Didier ARTUS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX01757


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01757
Date de la décision : 07/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Fabienne ZUCCARELLO
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : HAY

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-04-07;20bx01757 ?
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