Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A... C... a demandé au tribunal de Bordeaux d'annuler, d'une part, l'arrêté du 21 mai 2020 par lequel le préfet de la Dordogne a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de six mois et, d'autre part, l'arrêté du même jour par lequel la même autorité l'a assigné à résidence dans le département de la Dordogne pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2002144, 2002145 du 29 mai 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 juin 2020, M. A... C..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 29 mai 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés préfectoraux du 21 mai 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 700 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les arrêtés contestés ne sont pas suffisamment motivés ;
- les arrêtés contestés ont été pris à l'issue d'une procédure irrégulière, l'intéressé n'ayant pas été mis à même de présenter ses observations préalablement à l'édiction de ces décisions ;
En ce qui concerne l'arrêté portant interdiction de retour sur le territoire français :
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
- l'arrêté méconnait les dispositions du 5° du I de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a entaché cette décision d'une erreur manifeste d'appréciation en l'obligeant, d'une part, à être présent au lieu d'assignation tous les jours entre 6 heures et 8 heures 45 et, d'autre part, à se présenter trois fois par semaine entre 9 et 10 heures au commissariat de police de Périgueux ;
- l'arrêté méconnaît la liberté d'aller et venir.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020, et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... A... C..., ressortissant marocain né le 12 avril 1992, a déclaré être entré en France le 1er septembre 2018 muni d'un titre de séjour italien. Ayant contracté mariage le 23 juin 2018 avec une ressortissante marocaine titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 5 novembre 2024, il a sollicité, le 22 janvier 2019, son admission exceptionnelle au séjour au titre de sa vie privée et familiale. Par un arrêté du 3 avril 2019, le préfet de la Dordogne a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le Maroc comme pays de destination de la mesure d'éloignement. Par un arrêté du 21 mai 2020, le préfet de la Dordogne a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de six mois. Par un arrêté du même jour, la même autorité l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. A... C... relève appel du jugement du 29 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 21 mai 2020.
En ce qui concerne la légalité externe des arrêtés contestés :
2. M. A... C... reprend en appel, sans l'assortir d'arguments nouveaux ou de critique utile du jugement, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des arrêtés contestés. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
3. Si, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Par suite, ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
4. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... C... a été entendu le 21 mai 2020 par les services de police qui lui ont posé des questions notamment sur ses conditions de séjour en France et en Italie, sur sa vie familiale et professionnelle ainsi que sur l'éventualité d'un retour dans son pays d'origine. En outre, il ne ressort pas des écritures du requérant qu'il disposait d'informations pertinentes tenant à sa situation personnelle qu'il aurait pu utilement porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prises les décisions contestées et qui, si elles avaient été communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à la décision d'interdiction de retour sur le territoire français et à la décision l'assignant à résidence. Par suite, la seule circonstance que les services de police n'ont pas sollicité les observations de M. A... C... quant à l'éventualité d'une interdiction de retour sur le territoire français ou d'une décision l'assignant à résidence n'a pas effectivement privé ce dernier de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie en raison de la méconnaissance du principe général du droit d'être entendu doit être écarté.
En ce qui concerne les autres moyens développés à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 mai 2020 portant interdiction de retour sur le territoire français :
6. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. (...) Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative prononce une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... C... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours par un arrêté du 3 avril 2019. M. A... C... s'est maintenu sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire. En outre, après avoir déclaré aux services de la préfecture être entré en France le 1er septembre 2018, il ressort du procès-verbal d'audition du 21 mai 2020 que M. A... C... déclare avoir quitté le Maroc en 2010, avoir séjourné en Italie et faire très régulièrement des allers retours entre l'Italie et la France pour voir son fils et son épouse. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. A... C... vit actuellement séparément de son fils et de son épouse à la suite d'une procédure de comparution immédiate pour s'être rendu coupable de violences conjugales en avril 2020. Ainsi, alors même que sa présence ne constitue pas une menace à l'ordre public, compte tenu de sa durée de présence en France, de l'absence d'intensité et de stabilité des liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement, M. A... C... n'est pas fondé à soutenir qu'en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de six mois, le préfet de la Dordogne aurait entaché sa décision d'une erreur de droit.
8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
9. M. A... C... se prévaut de sa résidence en France depuis plus de cinq ans et de la présence en France de son épouse, titulaire d'un titre de séjour de dix ans, et de son fils âgé de six mois. Il fait valoir que depuis son arrivée en France, il a rompu tout contact avec son pays d'origine et vit désormais en France où il ne constitue pas une menace à l'ordre public et où il contribue activement aux activités locales et apprend la langue française. Ainsi qu'il a été indiqué au point 7, M. A... C... a déclaré aux services de la préfecture être entré en France le 1er septembre 2018 alors qu'au cours de son audition du 21 avril 2020, il déclare avoir séjourné en Italie et faire très régulièrement des allers retours entre l'Italie et la France pour voir son fils et son épouse, le dernier voyage datant du 1er janvier 2020. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. A... C... vit actuellement séparément de son fils et de son épouse à la suite d'une procédure de comparution immédiate pour s'être rendu coupable de violences conjugales en avril 2020. Enfin, il se maintient irrégulièrement sur le territoire français et a fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 3 avril 2019 qu'il n'a pas exécutée. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, l'appelant ne peut être regardé comme ayant fixé en France le centre de ses intérêts privés et familiaux. Dans ces conditions, l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois ne peut être regardée comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis par cette décision ni comme ayant été prise en méconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant de M. A... C.... Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent être écartés.
En ce qui concerne les autres moyens développés à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 mai 2020 portant assignation à résidence :
10. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 5° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé ; / 6° Doit être reconduit d'office à la frontière en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une interdiction de circulation sur le territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire (...) ".
11. Si l'arrêté par lequel le préfet de la Dordogne a assigné M. A... C... à résidence mentionne l'obligation de quitter le territoire français du 3 avril 2019, il indique également que l'appelant a fait l'objet d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois par arrêté du 21 mai 2020, notifié de même jour, et est, au vu de ses visas, fondé sur le 6° de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 5° du I de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est inopérant.
12. M. A... C... reprend en appel, sans l'assortir d'arguments nouveaux ou de critique utile du jugement, les moyens tirés de l'erreur manifeste dans l'appréciation des modalités de l'assignation à résidence et de l'atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir. Il y a lieu, par suite, d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
13. Il résulte de ce qui précède que M. A... C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de la Dordogne du 21 mai 2020. Par voie de conséquence, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1 : La requête de M. A... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de la Dordogne.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er avril 2021.
La présidente,
Marianne Hardy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX01952 2