Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 30 juillet 2020 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a retiré son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2001122 du 8 octobre 2020, le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 novembre 2020 et le 28 janvier 2021, Mme D... E..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement n° 2001122 du président du tribunal administratif de Limoges ;
3°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 30 juillet 2020 ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en vue de l'examen de sa demande d'asile dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) à titre subsidiaire, de suspendre l'obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient, en ce qui concerne la décision de retrait de son attestation de demandeur d'asile, que :
- la décision a méconnu le droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Elle soutient, en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français, que :
- le préfet a insuffisamment motivé sa décision en ne faisant pas état de la gravité de son état de santé ;
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité du retrait de l'attestation de demande d'asile ;
- la décision a méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est atteinte de tétraplégie à la suite d'un accident de circulation ; le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a reconnu que l'absence de traitement médical aurait pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; de tels soins ne sont pas effectivement disponibles dans son pays d'origine ; elle doit rester en France avec ses parents qui l'assistent quotidiennement ;
- la décision a méconnu pour ces motifs l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision doit être suspendue en application de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu des éléments sérieux dont elle a fait état quant aux risques encourus par elle en cas de retour dans son pays d'origine.
Elle soutient, en ce qui concerne le pays de renvoi, que :
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2021, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. H... B...,
- et les observations de Me A..., représentant Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... E... est une ressortissante géorgienne née le 14 novembre 2001 qui est entrée sur le territoire français en septembre 2019 avec ses parents. Elle a formulé une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par une décision du 22 avril 2020, notifiée le 12 juin suivant, prise dans le cadre de la procédure accélérée en raison du fait que la Géorgie est considérée comme un pays d'origine sûr. Entre temps, Mme E... a déposé une demande de titre de séjour pour raison de santé sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le préfet de la Haute-Vienne a rejetée par une décision du 24 juin 2020. Après le rejet de la demande d'asile de Mme E..., le préfet a pris à l'encontre de celle-ci un arrêté du 30 juillet 2020 portant retrait de l'attestation de demande d'asile, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et désignation du pays de renvoi. Mme E... relève appel du jugement rendu le 8 octobre 2020 par lequel le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 30 juillet 2020.
Sur la légalité de l'arrêté du 30 juillet 2020 :
En ce qui concerne le retrait de l'attestation de demande d'asile :
2. A l'appui de son moyen tiré de la méconnaissance, par la décision attaquée, de son droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la requérante ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation devant le tribunal. Il y a lieu d'écarter son moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, à l'appui de son moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision attaquée, la requérante ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation devant le tribunal. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents du premier juge.
4. En deuxième lieu, la décision portant retrait de l'attestation de demandeur d'asile n'étant pas entachée d'illégalité, la requérante n'est pas fondée à exciper de son illégalité à l'appui de sa contestation de l'obligation de quitter le territoire français.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que, alors que sa demande d'asile était en cours d'instruction, Mme E... a déposé le 17 décembre 2019 une demande de titre de séjour pour raison de santé. En application du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article R. 313-22 du même code, le préfet a soumis cette demande à l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Dans un avis rendu le 3 juin 2020, le collège de médecins a estimé que l'état de santé de Mme E... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'elle peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
7. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... a été victime en juillet 2018 d'un accident de circulation en Géorgie à la suite duquel elle est devenue tétraplégique. Elle a été prise en charge en Géorgie où elle a subi une chirurgie de fixation cervicale puis a bénéficié d'une nouvelle opération et d'une thérapie physique d'entretien en Turquie à Istanbul. En France, Mme E... a été hospitalisée du 20 au 24 juillet 2020 au centre hospitalier universitaire de Limoges pour un bilan fonctionnel, urodynamique et neurologique.
9. Mme E... fait valoir que son état de santé nécessite la mise à sa disposition d'un fauteuil roulant adapté à sa pathologie, d'un verticalisateur, d'un bracelet métacarpien thermoformé, d'un traitement médicamenteux ainsi que d'une sonde urinaire adaptée qui, selon elle, n'existent pas dans son pays d'origine. Toutefois, les certificats médicaux produits au dossier, qui décrivent le traitement médical administré à Mme E..., ne permettent pas d'estimer que celle-ci ne pourra effectivement accéder à une prise en charge médicale adaptée dans son pays d'origine. En particulier, le courrier daté du 27 juillet 2020 du ministère géorgien de la santé, selon lequel le modèle de sonde urinaire dont la requérante est équipée n'existe pas en Géorgie, ne permet pas de retenir que cette dernière serait dans l'impossibilité de bénéficier d'un modèle de sonde équivalent. De même, cette lettre du ministère géorgien, si elle indique que seuls les mineurs souffrant d'atteintes neurologiques bénéficient en Géorgie de soins de rééducation dans le cadre d'un programme d'Etat et précise par ailleurs les démarches administratives à suivre pour demander un fauteuil médical, ne permet pas d'estimer que Mme E... ne pourrait bénéficier d'une prise en charge adaptée à sa pathologie, contrairement à ce qu'a estimé le préfet lors de l'instruction de la demande de titre de séjour sur la base de l'avis du collège de médecins de l'OFII. Il en est de même pour le suivi psychiatrique dont Mme E... bénéficie sur le territoire français. Aucun élément du dossier ne corrobore les affirmations de la requérante selon lesquelles le personnel médical en Géorgie ne disposerait pas de la compétence nécessaire pour prendre en charge son état de santé. Enfin, si Mme E... a besoin de la présence quotidienne de ses parents auprès d'elle, il ressort des pièces du dossier que ces derniers ont fait l'objet d'une mesure d'éloignement et qu'ainsi, l'arrêté en litige n'a ni pour objet ni pour effet de séparer la cellule familiale. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'il constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application des stipulations précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
11. Il ressort des pièces du dossier que Mme E..., entrée en France en septembre 2019, séjournait depuis moins d'un an sur le territoire français à la date de la décision attaquée. Son séjour en France a été rendu possible par le délai nécessaire à l'instruction de sa demande d'asile et de sa demande de titre de séjour pour raison de santé. Elle n'a, durant son bref séjour en France, tissé aucun lien privé particulier. Ainsi qu'il a été dit, il ne ressort pas des pièces du dossier que la grave pathologie dont Mme E... souffre depuis son accident ne pourra être prise en charge effectivement en Géorgie où elle a vocation à retourner avec ses parents, lesquels ont fait l'objet, eux aussi, d'une mesure d'éloignement. Dans ces conditions, le préfet n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
12. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée d'illégalité, la requérante n'est pas fondée à exciper de son illégalité à l'appui de sa contestation de la décision fixant le pays de renvoi.
13. En deuxième lieu, à l'appui de ses moyens tirés de l'insuffisante motivation de la décision attaquée et de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la requérante ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation devant le tribunal. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents du premier juge.
Sur les conclusions tendant à la suspension de la mesure d'éloignement :
14. Aux termes de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Dans le cas où le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin en application des 4° bis ou 7° de l'article L. 743-2, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné statuant sur le recours formé en application de l'article L. 512-1 contre l'obligation de quitter le territoire français de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin fait droit à la demande de l'étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la cour ".
15. Il est fait droit à la demande de suspension de la mesure d'éloignement si le juge a un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision opposée par l'OFPRA à la demande de protection, au regard des risques de persécutions allégués ou des autres motifs retenus par l'Office.
16. En se bornant à soutenir, sans apporter d'éléments permettant d'étayer ses affirmations, qu'elle est désormais en mesure de faire état des surveillances et pressions qu'elle subirait en cas de retour dans son pays d'origine, Mme E... ne peut être regardée comme apportant des éléments sérieux, au sens des dispositions précitées de l'article L. 743-3, permettant de considérer qu'elle encourrait des risques pour sa sécurité en cas d'exécution de la mesure d'éloignement. Par suite, c'est à bon droit que le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français.
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête n° 20BX03655 de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... et au ministre de l'intérieur. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 23 février 2021 à laquelle siégeaient :
Mme J... C..., président,
M. H... B..., président-assesseur,
Mme G... I..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2021.
La présidente,
Elisabeth C... La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX03655 2