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09/03/2021 | FRANCE | N°20BX03781

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 09 mars 2021, 20BX03781


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision par laquelle la préfète de la Gironde a implicitement rejeté sa demande de titre de séjour.

Par un jugement n° 2000336 du 21 octobre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision implicite née du silence gardé par la préfète de la Gironde sur la demande de M. A... du 7 août 2019 et a enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour pluriannuel de deux ans, port

ant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois suivant la notificat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision par laquelle la préfète de la Gironde a implicitement rejeté sa demande de titre de séjour.

Par un jugement n° 2000336 du 21 octobre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision implicite née du silence gardé par la préfète de la Gironde sur la demande de M. A... du 7 août 2019 et a enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour pluriannuel de deux ans, portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois suivant la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 novembre 2020, la préfète de la Gironde demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 octobre 2020 ;

2°) de mettre à la charge de M. A... le versement à l'Etat d'une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- M. A... ne pouvait bénéficier d'une carte de séjour pluriannuelle en application de l'article L. 313-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'à la condition de remplir les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 du même code, ce qui n'est pas le cas, dès lors qu'il a été condamné pour terrorisme et était inscrit au fichier des auteurs d'infractions terroristes ; dès lors que sa présence constitue une menace grave pour l'ordre public, il ne fait pas partie des étrangers pouvant être admis au séjour en France, même si son signalement au fichier a été effacé ; selon l'article L. 313-17 du code, l'étranger qui sollicite la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle ne doit pas non plus avoir manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République ; ainsi, bien que l'intéressé justifie de liens familiaux en France, la carte de séjour sollicitée ne pouvait lui être délivrée ;

- au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il convient de mettre en balance la vie privée et familiale de l'intéressé et la menace pour l'ordre public qu'il représente ; au surplus, l'épouse et les enfants de M. A... sont de nationalité turque et il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine ;

- l'autorisation provisoire de séjour qui a été délivrée à M. A... n'est motivée que par le souci de se conformer au jugement d'annulation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2021, M. A..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui délivrer une carte de séjour pluriannuelle en application de l'article L. 313-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il existe bien une décision implicite du préfet rejetant sa demande ;

- les moyens invoqués par le préfet ne sont pas fondés ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau de l'aide juridictionnelle du 25 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme G... C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant turc né le 15 juin 1982, est entré sur le territoire français en 2000. Sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile en 2007. Par la suite, marié à une compatriote titulaire d'une carte de résident et père de trois enfants nés en France en 2008, 2011 et 2013, il a été titulaire de titres de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dont le dernier était valable du 23 juin 2016 et 22 juin 2017. Le 12 avril 2017, il a sollicité le renouvellement de ce titre de séjour, ainsi que la délivrance d'une carte de résident en application de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 21 juin 2017, le préfet de la Gironde lui a refusé la délivrance d'une carte de résident au motif qu'il ne remplissait pas les conditions de ressources pour en bénéficier mais lui a indiqué qu'il lui serait ultérieurement délivré une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale ". L'intéressé ayant toutefois fait l'objet, le 28 juin 2017, d'une condamnation à deux ans d'emprisonnement dont un avec sursis pour des actes de terrorisme par le tribunal correctionnel de Paris, condamnation réduite en appel à huit mois d'emprisonnement, et ayant été inscrit au fichier des auteurs d'infractions terroristes, l'instruction de sa demande a été prolongée. Le 7 août 2019, M. A... a renouvelé sa demande en signalant au préfet que son inscription au fichier des auteurs d'actes de terrorisme avait été effacée. En l'absence de décision expresse, M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation du refus implicite né du silence gardé sur sa demande du 7 août 2019. La préfète de la Gironde fait appel du jugement du tribunal prononçant l'annulation de cette décision implicite de rejet et lui enjoignant de délivrer à M. A... un titre de séjour valable deux ans portant la mention " vie privée et familiale ".

2. Aux termes de l'article L. 313-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Au terme d'une première année de séjour régulier en France accompli au titre de l'un des documents mentionnés aux 2° et 3° de l'article L. 311-1, l'étranger bénéficie, à sa demande, d'une carte de séjour pluriannuelle dès lors que : 1° Il justifie de son assiduité, sous réserve de circonstances exceptionnelles, et du sérieux de sa participation aux formations prescrites par l'Etat dans le cadre du contrat d'intégration républicaine conclu en application de l'article L. 311-9 et n'a pas manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République ; 2° Il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire (...) ". L'article L. 313-18 du même code dispose que : " La carte de séjour pluriannuelle a une durée de validité de quatre ans, sauf lorsqu'elle est délivrée : (...) 2° Aux étrangers mentionnés aux 4°, 6° et 7° de l'article L. 313-11. Dans ce cas, sa durée est de deux ans (...) ". Selon l'article L. 313-11 de ce code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné le 28 juin 2017 par le tribunal correctionnel de Paris pour des faits de terrorisme et qu'il a été inscrit au fichier des auteurs d'infractions terroristes. Le 31 janvier 2019, sur appel de ce jugement, la chambre des appels correctionnels de Paris l'a condamné définitivement à huit mois d'emprisonnement pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, commis au cours de l'année 2012 et jusqu'au 12 février 2013, pour des faits de financement d'entreprise terroriste, commis au cours de la même période, et pour des actes de terrorisme consistant en des faits de violence avec préméditation ou guet-apens sans incapacité, commis le 18 août 2011. Compte tenu de la gravité et du caractère répété des faits sanctionnés, bien que ces faits remontent à plusieurs années et malgré l'effacement, le 31 janvier 2019, du signalement de M. A... au fichier des auteurs d'infractions terroristes, il doit être considéré que M. A... a manifesté un rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République et que sa présence constitue une menace pour l'ordre public, de sorte qu'il ne remplit plus les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire, alors même qu'il vit en France depuis 2000, qu'il exerce un emploi d'ouvrier du bâtiment, qu'il est marié depuis 2007 à une compatriote titulaire d'une carte de résident avec laquelle il a trois enfants nés en France et qu'il n'a plus que sa mère et un frère en Turquie. Dès lors, la préfète a pu lui refuser la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle qu'il sollicitait sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 313-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé le refus implicite de la préfète de lui délivrer une carte de séjour pluriannuelle au motif que ce refus méconnaissait ces dispositions.

4. Il appartient à la cour, saisi du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... à l'encontre de la décision contestée.

5. Compte tenu des circonstances exposées au point 3 ci-dessus, le refus de délivrance de titre de séjour opposé à M. A... ne peut être regardé comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été décidé, au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui inclut la sûreté publique parmi les objectifs qui peuvent justifier des mesures impliquant l'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit. Dans ces mêmes circonstances, la décision contestée ne peut être regardée comme méconnaissant l'intérêt supérieur des enfants de M. A... ni comme reposant sur une appréciation manifestement erronée de ses effets sur la situation personnelle de l'intéressé.

6. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Gironde est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé l'annulation de la décision contestée et lui ont enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour pluriannuelle.

7. Si les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif ne font pas obstacle à ce qu'une personne publique qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat demande au juge l'application de cet article au titre des frais spécifiques exposés par elle à l'occasion de l'instance, la préfète ne fait état en l'espèce d'aucun frais précis que l'Etat aurait exposé pour introduire l'instance. Ses conclusions tendant à ce que soit mise à la charge de M. A..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en tout état de cause, de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, une somme à verser à l'Etat à ce titre, doivent, par suite, être rejetées. Ces dispositions font, par ailleurs, obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme à l'avocat de l'intimé.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 octobre 2020 est annulé.

Article 2 : La demande de M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée ainsi que ses conclusions d'appel.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la préfète de la Gironde est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... A.... Une copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 9 février 2021 à laquelle siégeaient :

Mme G... C..., présidente,

M. Frédéric Faïck, président assesseur,

Mme E... F..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mars 2021.

La présidente-rapporteure,

Elisabeth C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX03781


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03781
Date de la décision : 09/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Elisabeth JAYAT
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : CESSO

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-03-09;20bx03781 ?
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