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08/03/2021 | FRANCE | N°20BX02701

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 08 mars 2021, 20BX02701


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 23 juin 2020 par lequel le préfet de la Savoie a pris une obligation de quitter le territoire français à son encontre, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 202771 du 26 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a reje

té sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 23 juin 2020 par lequel le préfet de la Savoie a pris une obligation de quitter le territoire français à son encontre, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 202771 du 26 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces enregistrées les 18 août et 3 décembre 2020, Mme A... représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer un titre de séjour, ou subsidiairement, de procéder au réexamen de sa demande, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire est entachée d'erreur de droit : la base légale de cette décision est erronée ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, car elle est mariée avec un compatriote qui bénéficie d'une carte de résident et qui est parent d'un enfant de nationalité française ;

- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est entachée d'erreur d'appréciation ;

- la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire n'est pas suffisamment motivée et elle est entachée d'erreur d'appréciation.

Par une ordonnance du 15 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 décembre 2020.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... C...,

- et les observations de Me E..., représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante marocaine née le 1er novembre 1976 à Kenitra (Maroc), est entrée en France en 2019. Elle a été interpelée en Italie à bord d'un train à destination de Milan. Dans le cadre des accords de Chambéry, elle a été réadmise en France. Par un arrêté du 23 juin 2020, le préfet de la Savoie l'a obligée à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an. Placée en rétention dans les locaux du centre de rétention administrative de Toulouse, elle a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de l'arrêté précité. Dans la présente instance, elle relève appel du jugement du 26 juin 2020, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les conclusions en annulation :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter de territoire :

2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., titulaire d'un visa de court séjour Schengen délivré par les autorités espagnoles et valable jusqu'au 15 janvier 2020, est entrée sur le territoire espagnol le 24 août 2019 comme l'indique le cachet de ces autorités sur son passeport produit dans le cadre de cette instance. Toutefois, à la date de la décision en litige, elle ne justifiait pas être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Par suite, le préfet de la Savoie a pu légalement considérer qu'elle relevait du 2° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où l'autorité peut obliger un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union Européenne à quitter le territoire. Dès lors, son moyen tiré de ce que la décision litigieuse est entachée d'erreur de droit doit être écarté.

4. Aux termes de l'article 8 de de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. Il appartient à l'autorité administrative qui envisage de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé. Cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.

6. Il ressort des pièces du dossier, qu'à la date de la décision attaquée, Mme A... résidait en France depuis moins d'un an auprès de son mari, père d'un enfant français, qui est titulaire d'une carte de résident et auquel elle est unie depuis le 17 août 2007 en vertu d'un mariage célébré au Maroc. Toutefois, compte tenu notamment du caractère récent de la communauté de vie des époux sur le territoire national, de la durée du séjour en France de Mme A..., de la circonstance qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches au Maroc où elle a vécu jusqu'à ses 42 ans et où réside sa mère, sa fille et une partie de sa fratrie, le préfet de la Savoie n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en l'obligeant à quitter le territoire français, ni entaché cette décision d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle.

En ce qui concerne la décision refusant un délai de départ volontaire :

7. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...) ; / h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français. ".

8. Pour refuser d'accorder un délai de départ volontaire au requérant, le préfet de la Savoie s'est fondé sur la circonstance que, d'une part, Mme A... n'a effectué aucune démarche en vue de régulariser sa situation et, d'autre part, qu'il existe un risque qu'elle se soustraie à l'obligation qui lui est faite de quitter le territoire français dès lors qu'elle ne dispose pas de garanties de représentation suffisantes car elle ne peut notamment justifier d'une résidence permanente ou effective. Par ailleurs, le préfet a retenu que la requérante ne justifiait d'aucune circonstance particulière tenant à sa situation personnelle de nature à justifier qu'un délai lui soit accordé à titre exceptionnel pour quitter volontairement le territoire français.

9. Si Mme A... soutient que le préfet de la Savoie a commis une erreur d'appréciation de sa situation au regard de ces mêmes dispositions, il ressort des pièces du dossier qu'elle s'est maintenue sur le territoire français après la date d'expiration de son visa sans régulariser sa situation. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que lors de son audition, elle a déclaré une adresse à vocation uniquement postale et une adresse de domiciliation avec son époux sur la commune de Rambouillet, dont il est apparu qu'il s'agissait d'un domicile non déclaré dont le couple ne pouvait justifier de l'effectivité et de la permanence. Si elle a produit une attestation d'hébergement à Sarcelles non datée et rédigée par M. et Mme G..., ce courrier n'est pas de nature à la faire regarder comme justifiant d'une résidence effective et permanente en France.

10. Enfin, la circonstance que les conditions de l'exécution de cet arrêté soient, le cas échéant, devenues plus difficiles du fait de l'épidémie de Covid-19 est sans incidence sur la légalité de la décision litigieuse.

11. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'elle est entachée d'erreur d'appréciation.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

12. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

13. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français, une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision de prolongation de l'interdiction de retour doit, comme la décision initiale d'interdiction de retour, comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, et attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi.

14. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace.

15. La décision en litige, qui a rappelé que Mme A... est entrée en France en 2019 et les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne que l'intéressée est restée en France après l'expiration de son visa de séjour sans disposer d'un titre de séjour. Elle indique également que Mme A..., qui ne justifie pas avoir des moyens d'existence légaux, a obtenu un visa sur la base de fausses déclarations afin de pénétrer dans l'espace Schengen et entrer en France sans recourir à la procédure de regroupement familial dont elle relève. Puis, elle a rappelé les attaches fortes dont elle dispose dans son pays d'origine et qu'elle ne justifie pas de circonstances humanitaires qui feraient obstacle à une interdiction de retour sur le territoire français, dès lors que si son mari obtient un accord de regroupement, cette mesure serait abrogée. Cette décision, dont il ressort la prise en compte par le préfet de la situation particulière de Mme A... au vu de l'ensemble des critères prévus par les dispositions précitées, est suffisamment motivée.

16. Il résulte des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur depuis le 1er novembre 2016, que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ volontaire, ou lorsque l'étranger n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour satisfaire à cette obligation, il appartient au préfet d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. La durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés au paragraphe III de l'article L. 511-1 précité, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.

17. En effet, au regard de l'ensemble des éléments précités, qui sont corroborés par les pièces du dossier, Mme A... ne justifiait pas de circonstances humanitaires faisant obstacle au prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français. Dans ces conditions, alors même qu'elle ne trouble pas l'ordre public, le préfet de la Savoie n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en prononçant à l'encontre de Mme A... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Ses conclusions à fins d'injonction et celles présentées au titre de ses frais d'instance doivent être rejetées par voie de conséquence.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.

Délibéré après l'audience du 1er février 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme F... H..., présidente-assesseure,

Mme D... C..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2021.

Le président,

Didier ARTUS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX02701 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX02701
Date de la décision : 08/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Déborah DE PAZ
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : MACAREZ

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-03-08;20bx02701 ?
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