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08/03/2021 | FRANCE | N°19BX01138

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 08 mars 2021, 19BX01138


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. Par une première requête, enregistrée sous le n° 1605015, Bordeaux Métropole a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner in solidum les sociétés Seura Architectes, Arcadis, Aartill, D'ici là, Colas Sud-Ouest, Fayat entreprise TP et Somopa ainsi que M. F... à lui verser la somme de 200 664,72 euros, assortie des intérêts moratoires capitalisés, en réparation des préjudices causés par une substitution de matériaux opérée lors de la réfection de la chaussée de la rue Laugaa à

Pessac.

II. Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 1801435, Bordeaux Métro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. Par une première requête, enregistrée sous le n° 1605015, Bordeaux Métropole a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner in solidum les sociétés Seura Architectes, Arcadis, Aartill, D'ici là, Colas Sud-Ouest, Fayat entreprise TP et Somopa ainsi que M. F... à lui verser la somme de 200 664,72 euros, assortie des intérêts moratoires capitalisés, en réparation des préjudices causés par une substitution de matériaux opérée lors de la réfection de la chaussée de la rue Laugaa à Pessac.

II. Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 1801435, Bordeaux Métropole a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner in solidum ces mêmes personnes à lui payer la somme de 484 074,74 euros, assortie des intérêts moratoires capitalisés, en réparation des désordres affectant la place de la Vème République et ses rues adjacentes à Pessac.

Par un jugement n° 1605015 et 1801435 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a, dans son article 1er, condamné solidairement M. F... et les sociétés Seura Architectes, Arcadis, Fayat entreprise TP, Colas Sud-Ouest venant aux droits de Novello et Somopa à payer à Bordeaux Métropole la somme de 484 074,74 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2018. Puis il a, dans son article 2, condamné la société Fayat entreprise TP et M. F... à garantir la société Arcadis à hauteur respectivement de 80 % et de 20 % de la condamnation prononcée à l'article 1er, puis a condamné les sociétés Fayat entreprise TP, Colas Sud-Ouest et Somopa à garantir in solidum la société Seura Architectes de la même condamnation à hauteur de 80 % et, enfin, condamné la société Seura Architectes et M. F... à garantir les sociétés Fayat entreprises TP et Somopa à hauteur de 20 % de cette condamnation. Enfin, dans son article 3, il a condamné M. F... à garantir la société Seura Architectes à hauteur des deux-tiers de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 2. Dans son article 4, il a mis les frais et honoraires de l'expertise, s'élevant à 44 659,38 euros, à la charge des sociétés Fayat entreprise TP, de M. F... et de la société Seura Architectes, respectivement à hauteur de 80 %, 15 % et 5 %. Dans son article 5, il a mis à la charge des sociétés Seura Architectes, Fayat entreprise TP, Colas Sud-Ouest, Somopa et de M. F... une somme de 800 euros chacun à verser à Bordeaux Métropole en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a, dans son article 6, rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par une ordonnance n° 1605015 et 1801435 du 12 février 2019, le président du tribunal administratif de Bordeaux a modifié le jugement du 20 décembre 2018 comme suit :

- au point 15 des motifs la mention des " sociétés Seura Architectes, Arcadis et M. F... " est complétée avec la mention des " sociétés Colas sud-ouest, Fayat entreprise TP, Somopa " ;

- au point 16 des motifs, le n°"1605015 " est remplacé par le n°" 1801435 ".

Procédure devant la cour :

Par une requête, des mémoires et des pièces, enregistrés les 21 mars et 9 décembre 2019, 16 janvier et 20 novembre 2020 à 11H54, la société Colas Sud-Ouest, venant aux droits de la société Novello et compagnie, représentée par Me L..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il l'a condamnée au titre des désordres dont elle n'est pas responsable ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de Bordeaux Métropole dirigées contre elle ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la société Fayat TP, la société Somopa et les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre à la garantir des condamnations pouvant être mises à sa charge ;

4°) de mettre à la charge de Bordeaux Métropole la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier, car il est entaché d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif concernant les entreprises responsables des travaux litigieux ;

- le tribunal ayant décidé de joindre les deux affaires, les premiers juges ont méconnu leurs pouvoir d'instruction et le principe du contradictoire de la procédure en ne se servant pas, d'une part, des pièces produites dans l'affaire n° 1605015 pour constater que seule la société Fayat devait être condamnée et, d'autre part, en ne se servant pas de ces mêmes pièces pour répondre à ses conclusions d'appel en garantie présentées dans cette même instance pour trancher le litige dans l'affaire n° 1801435 ;

- la société Novello n'a commis aucune faute : le tableau de répartition des travaux faisait apparaître que la société Fayat était chargée de la mise en oeuvre de l'enrobé drainant et du lit de sable qui n'était pas conforme au marché ;

- malgré l'existence d'une clause solidaire qui oblige les entreprises, il est admis qu'une entreprise puisse s'opposer à ce que sa responsabilité soit recherchée lorsque le cahier des prescriptions distingue clairement les prescriptions applicables à chacun des ensembles constitutifs de l'ouvrage et leur montant ;

- si le rapport d'expertise fait état de ce que les pavés n'étaient pas conformes aux documents contractuels, elle n'était pas chargée de leur fourniture, qui était à la charge de la société Somopa ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à demander à être relevée indemne de toute condamnation par la société Fayat et par le groupement de maîtrise d'oeuvre, qui a manqué à son obligation de contrôler les travaux ;

- la mission DET incombait principalement à M. F... et à la sarl Seura.

Par un mémoire enregistré le 15 mai 2019, la sarl Seura, représentée par Me N..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Colas Sud-Ouest ;

2°) de condamner la société Arcadis Esg, la société D'ici-là, la société Fayat TP, la société Aartill, la société Colas Sud-Ouest, venant aux droits de la société Novello, la société Somopa à relever indemne la société Seura des condamnations prononcées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la partie perdante la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête de la société Colas Sud-Ouest sera rejetée car la répartition des travaux au sein d'un groupement d'entreprises n'est pas opposable au maître d'ouvrage ;

- la juridiction administrative est compétente pour statuer sur les appels en garantie dirigées entre les membres du groupement de maitrise d'oeuvre ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a retenu une quote-part de responsabilité à sa charge ;

- elle est principalement intervenue dans la conception du projet et à hauteur de 8 % dans la phase AOR ;

- elle n'est jamais intervenue dans la direction du chantier ;

- les membres du groupement solidaire d'entreprises n'ont pas respecté les prescriptions du marché.

Par un mémoire enregistré le 12 août 2019, M. F... représenté par Me I... demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Colas Sud-Ouest, ainsi que l'appel incident présenté par la société Seura ;

2°) de faire droit à ses conclusions et réformer le jugement en tant qu'il a exclu toute responsabilité de la société Arcadis ;

3°) de condamner la société Arcadis à le garantir dans des proportions qu'il appartiendra à la cour de fixer ;

4°) de confirmer le jugement pour le surplus.

Il soutient que :

- la société Colas Sud-Ouest faisant partie du groupement d'entreprises chargées des travaux, elle ne peut être exclue de la condamnation prononcée à l'encontre de son regroupement ;

- la société Seura n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'était pas en charge de la conception du projet, dès lors que le tableau de répartition des honoraires auquel elle se réfère prévoit bien un pourcentage au titre de la mission DET ;

- ses conclusions d'appel en garantie contre la société Arcadis sont fondées car il ressort des compte-rendu de chantier qu'elle produit qu'elle a participé au contrôle des éléments de voirie.

Par un mémoire enregistré le 10 septembre 2019, la société D'ici-là, représentée par M. I..., demande à la cour :

1°) de rejeter les conclusions d'appel en garantie dirigées contre elle et de prononcer sa mise hors de cause ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner la société Seura, la société Arcadis et M. F... à la garantir.

Elle fait valoir qu'elle était responsable de la maitrise d'oeuvre des éléments végétaux et sa responsabilité n'a pas été évoquée au cours des opérations d'expertise.

Par un mémoire enregistré le 9 septembre 2020, Bordeaux Métropole, représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Colas Sud-Ouest ;

2°) de statuer sur ce que de droit sur les appels incidents ;

3°) de mettre à la charge de la société Colas Sud-Ouest la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement n'est pas irrégulier ;

- la société Colas Sud-Ouest n'avait formé aucune conclusion d'appel en garantie dans l'instance n° 1801435 et la jonction des instances n'a aucun effet sur les conclusions présentées ;

- l'expert judiciaire avaitt relevé plusieurs malfaçons de la part de la société Novello, aux droits de laquelle vient la société Colas Sud-Ouest ;

- dans tous les cas, cette dernière ne peut être exonérée de son obligation de paiement solidaire dès lors qu'aucune répartition contractuelle des taches ne permet d'attribuer la charge définitive des prestations à la société Somopa ;

- elle n'a pas d'observations à faire sur les appels incidents.

Par un mémoire enregistré le 19 octobre 2020, la société Fayat Entreprise TP et la société Somopa, représentées par Me B..., demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Colas Sud-Ouest et les conclusions d'appel présentées par la société Seura et M. F... ;

2°) de confirmer le jugement du 20 décembre 2018 du tribunal administratif de Bordeaux ;

3°) de mettre à la charge de la partie perdante la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la responsabilité de la société Colas Sud-Ouest est engagée solidairement avec les autres membres du groupement à l'égard du maître d'ouvrage ;

- les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Colas Sud-Ouest dirigées contre elles sont nouvelles en appel.

Par un mémoire enregistré le 19 octobre 2020, la société Arcadis représentée par Me J..., demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter les conclusions de la requête de la société Colas Sud-Ouest formées à son encontre et les conclusions d'appel présentées par M. F... et par la société Seura ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner la société Fayat TP, la société Somopa, la société Colas Sud-Ouest, M. F... à la garantir de toute condamnation ;

3°) de mettre à la charge de la société Colas Sud-Ouest, de la société Seura, de M. F..., de la société D'ici-là, ou de toute partie perdante, la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a commis aucune faute en lien avec le préjudice subi par Bordeaux Métropole ;

- c'est M. F... qui pilotait la phase DET ;

- elle est intervenue à la demande du maître d'ouvrage pour superviser les essais sur les chaussées postérieurement à la manifestation des désordres sur les pavés. Cette mission n'est pas liée à la phase DET ;

- elle n'est pas intervenue au moment des opérations préalables à la réception des travaux ;

- un manquement dans le suivi des travaux peut être reproché à la société Seura et à M. F... ;

- à titre subsidiaire, il sera fait droit à ses conclusions d'appel en garantie.

Par une ordonnance du 20 octobre 2020 la clôture de l'instruction a été fixée au 20 novembre 2020 à 12H.

Un mémoire a été enregistré le 28 janvier 2021 pour la société Colas France venant aux droits de la société Colas Sud-Ouest.

Les parties ont été informées le 26 janvier 2021, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions d'appel incident de la société Seura dirigées contre la société Colas Sud-Ouest, dès lors qu'elles ont trait à un litige distinct de celui auquel s'appliquent les seules conclusions recevables de l'appel principal

La société Seura a présenté des observations au moyen d'ordre public le 27 janvier 2021.

Elle soutient que ses conclusions d'appel incident ne soulèvent pas un litige distinct des conclusions subsidiaires présentées par l'appelant principal et sont donc recevables.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 ;

- l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'oeuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H... C...,

- les conclusions de Mme Q..., rapporteure publique ;

- et les observations de Me A..., représentant la société Colas Sud-Ouest, les observations de Me G..., réprésentant Bordeaux Métropole, les observations de Me I..., représentant M. F... et réprésentant la société D'ici-là, les observations de Me P..., représentant la société Arcadis, et les observations de Me K..., réprésentant les sociétés Fayat entreprise TP et Somopa.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 16 octobre 2008, la communauté urbaine de Bordeaux a confié à un groupement constitué de l'Agence Seura Architectes, mandataire solidaire, de M. F..., et des sociétés D'ici-là, Arcadis et Aartill la maîtrise d'oeuvre des travaux d'aménagement des espaces du centre-ville de Pessac, soit la place de la V° République et les avenues Pasteur, Jaurès et Laugaa. Le lot n°1 " travaux d'infrastructure, démolitions, terrassements, structures, réseaux, revêtements et mobilier urbain " a été attribué le 18 avril 2011 à un groupement composé des sociétés Fayat entreprise TP, mandataire, Novello et Somopa. Les travaux qui ont été effectués sur l'avenue Laugaa ont été réceptionnés sans réserve le 12 septembre 2011. Au mois de novembre 2011, la communauté urbaine de Bordeaux a découvert que des pavés en basalte avaient été posés, au lieu de ceux en granit prévus au marché, sur la place de la V° République et sur l'avenue Laugaa. Les parties ont alors convenu de déduire une moins-value de 15 % sur le montant des travaux des parties piétonnes et cette réfaction a été régularisée par un avenant du 17 décembre 2012. Les travaux des avenues Pasteur et Jaurès ont ensuite été réceptionnés le 13 mars 2013 avec effet au 6 décembre 2012 et les réserves ont été levées le 26 juin 2013. En raison de désordres apparus à la fin de l'année 2013, consistant en un désalignement des pavés de l'avenue Laugaa et un affaissement de la chaussée des avenues Pasteur et Jaurès, et en raison de la persistance d'un désaccord portant sur la substitution de matériaux, une expertise a été ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux le 28 octobre 2014, à la demande de la communauté urbaine de Bordeaux, et le rapport a été déposé au greffe du tribunal le 13 juin 2017. Par une requête enregistrée sous le n° 1605015, la communauté urbaine de Bordeaux, devenue Bordeaux Métropole, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner les constructeurs à l'indemniser des préjudices subis du fait de la substitution de matériaux. Par une requête enregistrée sous le n° 1801435, elle a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner les constructeurs à réparer les désordres affectant les avenues Pasteur, Jaurès et Laugaa. Bordeaux Métropole ayant indiqué dans cette dernière affaire que le chiffrage de son préjudice intégrait son préjudice résultant de la substitution de matériaux, le tribunal administratif après avoir joint ces deux affaires, a, par un jugement du 20 décembre 2018, condamné solidairement, sur le fondement de la garantie décennale, M. F... et les sociétés Seura Architectes, Arcadis, Fayat entreprise TP, Colas Sud-Ouest venant aux droits de Novello et Somopa à payer à Bordeaux Métropole la somme de 484 074,74 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2018 au titre des désordres dont Bordeaux Métropole demandait réparation dans l'instance n° 1801435. Il a condamné la société Fayat entreprise TP et M. F... à garantir la société Arcadis à hauteur respectivement de 80 % et de 20 % de la condamnation prononcée à leur encontre, puis il a condamné les sociétés Fayat entreprise TP, Colas Sud-Ouest et Somopa à garantir solidairement la société Seura Architectes de la même condamnation à hauteur de 80 % et la société Seura Architectes et M. F... à garantir solidairement les sociétés Fayat entreprises TP et Somopa à hauteur de 20 % de cette condamnation. Enfin, il a condamné M. F... à garantir la société Seura Architectes à hauteur des deux-tiers de la condamnation mise à la charge du groupement de maîtrise d'oeuvre et mis les frais d'expertise, d'un montant de 44 659,38 euros, à la charge des sociétés Fayat entreprise TP, de M. F... et de la société Seura Architectes, respectivement à hauteur de 80 %, 15 % et 5 %. Enfin, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le surplus des conclusions des parties, ce qui comprenait le rejet de la requête n° 1605015 présentée par Bordeaux Métropole au motif que le préjudice dont elle demandait réparation avait été réparé par la condamnation des constructeurs à lui verser la somme de 484 074, 74 euros. La société Colas Sud-Ouest relève appel de ce jugement. La société Seura présente des conclusions d'appel incident et provoqué et M. F... des conclusions d'appel provoqué.

Sur les conclusions d'appel présentées par la société Colas Sud-Ouest :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

2. La société Colas Sud-Ouest soutient que le jugement attaqué est entaché d'une contradiction entre ses motifs et le dispositif concernant les entreprises responsables des travaux litigieux. Toutefois, le jugement a d'abord affirmé dans ses motifs qu'il ressort du document de répartition des prestations entre les entreprises membres du groupement titulaire du lot n° 1 annexé à l'acte d'engagement que la société Fayat Entreprise TP était chargée des enrobés et les sociétés Somopa et Novello des pavages. Il a également relevé que ces désordres étaient imputables à ces trois sociétés, ainsi qu'aux membres du groupement de maîtrise d'oeuvre, dès lors que pour ce dernier ni le " tableau de répartition des honoraires " ni aucun autre document ne prévoyait la répartition des tâches entre les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre. Il a conclu dans ses motifs que Bordeaux Métropole est fondée à demander la condamnation solidaire de M. F... et des sociétés Seura Architectes, Arcadis, Fayat entreprise TP, Colas Sud-Ouest venant aux droits des sociétés Novello et Somopa à réparer les conséquences préjudiciables des désordres de caractère décennal affectant les chaussées des avenues Laugaa, Pasteur et Jaurès. Par suite, cette motivation n'est entachée d'aucune contradiction avec l'article 1er du dispositif du jugement, qui condamne ces constructeurs à réparer le préjudice subi par Bordeaux Métropole.

3. La circonstance que le tribunal administratif a joint, ainsi qu'il a la faculté de le faire, la requête n° 1605015 concernant la substitution irrégulière de matériaux introduite par Bordeaux Métropole avec celle n° 1801435 concernant les désordres affectant les avenues Pasteur, Jaurès et Laugaa est dépourvue de toute influence sur le sens des décisions à prendre sur chaque litige. Dès lors, la société Colas Sud-Ouest qui n'a pas produit de mémoire en défense dans l'instance n° 1801435 n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient méconnu leurs pouvoir d'instruction et le principe du contradictoire de la procédure en ne se servant pas des pièces produites dans l'affaire n° 1605015 pour considérer que la société Fayat était seule responsable des désordres affectant les avenues Pasteur, Jaurès et Laugaa au sein du groupement des entreprises titulaires du marché de travaux et en ne se servant pas de ces pièces présentées dans l'affaire n° 1605015 pour reprendre ses conclusions d'appel en garantie dans l'instance n° 1801435.

4. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué n'est pas irrégulier.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :

S'agissant de la demande de mise hors de cause de la société Colas Sud-Ouest :

5. En l'absence de stipulations contraires, les entreprises qui s'engagent conjointement et solidairement envers le maître de l'ouvrage à réaliser une opération de construction, s'engagent conjointement et solidairement non seulement à exécuter les travaux, mais encore à réparer le préjudice subi par le maître de l'ouvrage du fait de manquements dans l'exécution de leurs obligations contractuelles. Un constructeur ne peut échapper à sa responsabilité conjointe et solidaire avec les autres entreprises co-contractantes, au motif qu'il n'a pas réellement participé aux travaux révélant un tel manquement, que si une convention, à laquelle le maître de l'ouvrage est partie, fixe la part qui lui revient dans l'exécution des travaux.

6. Il ressort explicitement de l'acte d'engagement du lot n° 1 relatif aux travaux d'infrastructures signé le 18 avril 2011 la solidarité des sociétés composant le groupement d'entreprises titulaires du marché de travaux. Si un tableau relatif à la désignation des co-traitants et répartition des prestations figure en annexe 1 à l'acte d'engagement, ce document se borne à préciser que la société Fayat Entreprise TP mandataire devait percevoir la somme de 1 764 363, 40 euros TTC au titre de l'exécution " des VRD, installations, GC, bois et mobiliers, enrobés et pilotage ". La société Somopa devait percevoir la somme de 790 485, 54 euros TTC pour réaliser les pavages et des bordures et la société Novello, la somme de 639 079, 17 euros TTC pour réaliser les VRD, le pavage et les bordures. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction qu'une autre convention, à laquelle la communauté urbaine de Bordeaux aux droits de laquelle vient Bordeaux Métropole serait partie, aurait fixé la part revenant à chaque membre du groupement d'entreprises dans l'exécution des travaux.

7. Dans ces conditions, la société Colas Sud-Ouest ne peut faire valoir que la société Novello n'a pas pris part aux travaux à l'origine des désordres affectant les avenues Pasteur, Jaurès et Laugaa, lesquels consistent en un déplacement et un désalignement des pavés sur 123 mètres dans la rue Laugaa et en un affaissement de la chaussée des avenues Pasteur et Jaurès. Par suite, la société Colas Sud-Ouest n'est pas fondée à soutenir que les désordres ne lui sont pas imputables et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée solidairement avec les autres membres du groupement d'entreprises solidaire, ainsi qu'avec le groupement de maîtrise d'oeuvre, à réparer les préjudices subis par Bordeaux Métropole résultant de ces désordres.

S'agissant des conclusions d'appel en garantie présentées par la société Colas Sud-Ouest :

8. Il résulte de l'instruction que si la société Colas Sud-Ouest avait demandé au tribunal administratif de Bordeaux, dans l'instance n° 1605015, la condamnation des sociétés Seura Architectes, D'ici-là, Arcadis, Aartill, Fayat entreprise TP, Somopa et de M. F... à la garantir des condamnations qui seraient mises à sa charge, elle n'a pas présenté de conclusions en ce sens dans l'instance n° 1801435. Dès lors, ses conclusions d'appel en garantie sont nouvelles en appel et doivent, pour ce motif, être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions d'appel incident et provoqué présentées par la société Seura :

9. La société Seura demande par un mémoire enregistré après le délai d'appel la condamnation de la société Arcadis Esg, de la société D'ici-là, de la société Fayat TP, de la société Aartill, de la société Colas Sud-Ouest, venant aux droits de la société Novello, de la société Somopa à la relever indemne des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 que les conclusions d'appel en garantie de la société Colas Sud-Ouest sont irrecevables. Par suite, en tant qu'elles sont dirigées contre la société Colas Sud-Ouest, les conclusions de la société Seura ont trait à un litige distinct de celui auquel s'appliquent les seules conclusions recevables de l'appel principal et sont ainsi irrecevables.

11. En tant qu'elles sont dirigées contre les autres constructeurs, en l'absence d'aggravation de la situation de la société Seura par la solution donnée à l'appel principal, ses conclusions sont irrecevables.

Sur les conclusions d'appel provoqué présentées par M. F... :

12. En l'absence d'aggravation de sa situation par la solution donnée à l'appel principal, la demande de M. F..., dirigée contre la société Arcadis et tendant à être garantie par elle, doit être rejetée comme irrecevable.

Sur les frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Bordeaux Métropole, qui n'a pas la qualité de partie perdante, la somme que demande la société Colas Sud-Ouest au titre de ses frais d'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de Bordeaux Métropole, de la société Fayat, de la société Arcadis et de la société Seura au titre des mêmes frais.

DÉCIDE

Article 1er : La requête de la société Colas Sud-Ouest est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel présentées par la société Seura, M. F..., la société Arcadis, la société Fayat et Bordeaux Métropole sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F..., aux sociétés Seura Architectes, Arcadis, Fayat entreprise TP, Colas France, Somopa, Aartill et D'ici-là et à Bordeaux Métropole.

Délibéré après l'audience du 1er février 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme M... O..., présidente-assesseure,

Mme H... C..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2021.

Le président,

Didier ARTUS

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX01138


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01138
Date de la décision : 08/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Déborah DE PAZ
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : CABINET BERTIN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-03-08;19bx01138 ?
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