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23/02/2021 | FRANCE | N°19BX00139

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 23 février 2021, 19BX00139


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... A..., Mme C... A... et Mme N... A... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier (CH) Henri Laborit à leur verser la somme totale de 84 566,74 euros en réparation des préjudices résultant du décès dans cet établissement de leur fils et frère, M. H... A..., le 15 juin 2014.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Loir-et-Cher a demandé la condamnation solidaire du CH Henri Laborit et de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM)

à lui rembourser la somme de 3 400,88 euros correspondant au capital décès qu'el...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... A..., Mme C... A... et Mme N... A... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier (CH) Henri Laborit à leur verser la somme totale de 84 566,74 euros en réparation des préjudices résultant du décès dans cet établissement de leur fils et frère, M. H... A..., le 15 juin 2014.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Loir-et-Cher a demandé la condamnation solidaire du CH Henri Laborit et de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui rembourser la somme de 3 400,88 euros correspondant au capital décès qu'elle a versé.

Par un jugement n° 1601830 du 13 novembre 2018, le tribunal a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 janvier 2019 et un mémoire enregistré

le 27 janvier 2020, les consorts A..., représentés par la SCP Denizeau, Gaborit, Takhedmit et associés, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le CH Henri Laborit à verser à M. et Mme A... la somme

de 10 556,74 euros au titre des frais d'obsèques et une somme de 30 000 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection, et à Mme N... A... une somme de 14 000 euros au titre de son préjudice d'affection, avec intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge du CH Henri Laborit une somme de 3 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- M. A... était notoirement connu pour ses tentatives d'autolyse et son addiction aux médicaments ; il avait fait plusieurs tentatives de suicide dans les mois précédant son décès et en dernier lieu le 7 mai 2014 ; eu égard à ce risque, il aurait dû faire l'objet d'une surveillance accrue, ce qui n'a pas été le cas ;

- à supposer qu'il ne s'agisse pas d'un suicide mais d'une intoxication médicamenteuse involontairement mortelle, ce risque était identifié et prévisible, et M. A..., qui contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges avait été hospitalisé à la demande d'un tiers, aurait dû faire l'objet d'une surveillance renforcée et constante compte tenu de sa grande fragilité thymique et addictive mentionnée dans le certificat médical du 13 juin 2014, lequel remet en cause les avis optimistes des professionnels de santé ;

- les examens toxicologiques ont révélé la présence de Tramadol et de Lexomil à des doses létales alors que ces médicaments ne faisaient pas partie du traitement ; le fait que M. A..., dont l'addiction aux médicaments était connue, a pu se les procurer et les consommer caractérise l'existence d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ; le médecin responsable du service a admis ignorer comment M. A... avait pu se procurer ce type de médicaments, un infirmier a déclaré que la cadence de travail était à l'origine de ce dysfonctionnement, et une patiente a révélé que M. A... s'était déjà servi dans la pharmacie de l'établissement en raison d'un manquement du personnel infirmier ; enfin, une plaquette de Zopiclone dont il ne restait que deux cachets a été trouvée dans la poche du bermuda de M. A... après son décès, ce qui démontre qu'il était particulièrement aisé de découvrir les médicaments indûment détenus ;

- le 14 juin 2014, alors qu'une patiente avait constaté vers 16 heures une altération brutale de l'état de M. A..., qui n'était pas habituellement léthargique, le personnel soignant et médical n'a pas fait réaliser les examens qui auraient dû conduire à adresser le patient au service des urgences du CHU de Poitiers afin de traiter les conséquences de la consommation massive de médicaments ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le fait que M. A... s'est trouvé en contact direct avec une infirmière quelques heures avant son décès démontre que cette dernière aurait dû percevoir l'altération de son état, ce qui confirme le caractère fautif de l'absence d'examen et de soins ;

- M. et Mme A... ont exposé une somme totale de 10 566,74 euros au titre des frais d'obsèques ;

- le préjudice d'affection doit être évalué à 30 000 euros pour chacun des parents et à 14 000 euros pour la soeur de M. A....

Par un mémoire enregistré le 17 avril 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot-Ravaut et associés, fait valoir que :

- aucune conclusion n'est dirigée à son encontre ;

- un éventuel défaut de surveillance engagerait la responsabilité pour faute du CH Henri Laborit ;

- dès lors que la prise massive de Tramadol et Bromazépam ne résultait pas d'une prescription médicale, le décès n'est pas en lien avec un accident médical pouvant ouvrir droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale.

Par des mémoires en défense enregistrés le 26 septembre 2019, 4 février 2020

et 18 février 2020, le CH Henri Laborit et la SHAM, représentés par Me L..., concluent au rejet de la requête et de la demande de la CPAM de Loir et Cher.

Ils font valoir que :

- M. A... se trouvait sous le régime de l'hospitalisation libre au moment de son décès ;

- aucune tendance suicidaire n'a été observée dans les jours précédant le décès ;

- aucun défaut de surveillance fautif ne peut être imputé à l'établissement hospitalier ;

- à titre subsidiaire, les demandes indemnitaires des consorts A... sont excessives ;

- la demande de la CPAM de Loir et Cher est irrecevable faute d'avoir été présentée par un avocat et en tant qu'elle est dirigée contre la SHAM, qui n'est pas partie au litige ; au surplus, la caisse, subrogée dans les droits de la victime, ne peut prétendre au remboursement du capital décès versé aux ayants droit de M. A..., dont le décès n'a été à l'origine d'aucun préjudice économique subi par la victime.

Par un mémoire enregistré le 10 octobre 2019, la CPAM de Loir et Cher demande à la cour de condamner solidairement le CH Henri Laborit et la SHAM à lui rembourser la somme de 3 400,88 euros et de mettre à leur charge les sommes de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle invoque les mêmes moyens que les consorts A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de Mme Beuve D..., rapporteur public,

- et les observations de Me K..., représentant le CH Henri Laborit.

Considérant ce qui suit :

1. M. H... A..., âgé de 31 ans, qui présentait des conduites poly-addictives associées à des troubles psychiatriques, a été hospitalisé au CH Henri Laborit le 14 janvier 2014 à la demande de son père après un épisode de conduite d'un véhicule à contresens en état alcoolique et sous l'emprise de benzodiazépines. Le dimanche 15 juin 2014 à 7 h 30, son corps sans vie a été découvert sur son lit par un aide-soignant qui effectuait sa ronde de réveil des patients. Les analyses toxicologiques des prélèvements réalisés lors de l'autopsie ont mis en évidence la présence dans le sang de très nombreux médicaments, et notamment d'une concentration létale de Bromazépam, spécialité dont la toxicité, qui s'exprime par une dépression du système nerveux central aboutissant à un arrêt cardiaque et respiratoire, a pu être augmentée

par le Zopiclone retrouvé en concentration significative. Les consorts A... relèvent appel du jugement du 13 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande de condamnation du CH Henri Laborit à les indemniser, sur le fondement de la responsabilité pour faute, des préjudices en lien avec le décès de leur fils et frère.

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...). "

3. Eu égard, d'une part, à l'amélioration de l'état de M. A..., qui avait bénéficié en juin 2014 de sorties qui s'étaient bien déroulées, avait participé avec satisfaction à un stage de récupération de points de son permis de conduire et commençait à élaborer des projets pour sa sortie de l'hôpital, et d'autre part, à la persistance de son addiction aux médicaments, il ne résulte pas de l'instruction que son décès serait imputable à un suicide, mais plutôt à une intoxication sans volonté de se donner la mort d'un patient hospitalisé à raison de ses conduites addictives.

4. Il résulte de l'instruction que le Bromazepam, le Zopiclone et le Tramadol à l'origine du décès ne faisaient pas partie du traitement dispensé au CH Henri Laborit. L'hypothèse selon laquelle M. A... aurait dérobé ces médicaments dans l'armoire à pharmacie de l'hôpital ne repose que sur une anecdote qu'il aurait rapportée à une patiente selon laquelle, à une date indéterminée, l'infirmier l'aurait laissé seul dans la salle de soins pour répondre à un appel téléphonique, ce qui lui aurait permis de " prendre les boîtes qu'il connaissait ". Cette hypothèse est en contradiction avec les explications de l'infirmier sur les précautions prises du fait des addictions des patients de l'unité de soins, ainsi que sur le contrôle du stock de médicaments deux fois par semaine, les erreurs constatées ne portant que sur de petites quantités, et jamais sur des boîtes. Par suite, le fait que M. A... a eu à sa disposition des doses létales de médicaments ne peut être imputé à une négligence du personnel de l'établissement hospitalier.

5. Comme l'a relevé le médecin de l'établissement hospitalier, M. A... a pu se procurer les médicaments en cause soit dans le cadre d'un échange avec d'autres patients, soit à l'occasion de ses sorties autorisées. Il résulte de l'instruction que lors de son séjour au CH Henri Laborit, M. A..., qui se trouvait sous le régime de l'hospitalisation sous contrainte, a bénéficié ou non d'autorisations de sortie, avec ou sans surveillance, en fonction de l'évolution de son état de santé appréciée par les médecins, que ces autorisations ont été suspendues après une intoxication à l'alcool et aux anxiolytiques lors d'un week-end en famille au début du mois de mai 2014, qu'elles ont repris au mois de juin, notamment avec sa soeur et ses parents, et qu'elles se sont alors bien déroulées. L'autorisation de sortie du samedi 14 juin, au cours de laquelle M. A... a pu se procurer des médicaments, n'apparaît pas comme fautive au regard de l'évolution de son état de santé, et il n'est d'ailleurs pas allégué par sa famille, qui l'a accueilli à cette occasion, qu'elle l'aurait été. Le médecin a précisé qu'en cas de suspicion, les affaires de M. A... étaient inventoriées, tout en admettant qu'il était " impossible de tout fouiller car tout peut se cacher ". Alors qu'aucun texte ne prévoit la pratique des fouilles corporelles dans les établissements hospitaliers, l'existence d'un défaut de surveillance à raison de l'absence de recherche de médicaments la veille du décès ne peut être déduite du seul fait qu'une plaquette de Zopiclone presque vide a été trouvée dans la poche du bermuda de M. A... après son décès.

6. Lors de son audition par les services de police le 5 mai 2015, une patiente a déclaré que le samedi 14 juin 2014, M. A... " allait bien " au retour de sa sortie en début d'après-midi, qu'il s'est ensuite absenté, qu'au moment du goûter, il salivait et était léthargique au point de ne pas pouvoir manger, qu'il n'a pas davantage pris le repas servi à 18 h 30, et qu'il est allé se coucher après que l'infirmière lui ait donné son traitement. Ce témoignage isolé, recueilli près d'un an après les faits, n'est corroboré par aucune autre pièce. Par suite, il n'est pas établi que l'infirmière aurait vu le patient dans un état anormal qui aurait dû l'alerter. Dans ces circonstances, l'absence d'identification d'un état d'intoxication la veille du décès ne peut être regardée comme fautive.

7. Il résulte de ce qui précède que les consorts A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande. Par suite, leurs conclusions présentées au titre des frais liés au litige doivent être rejetées.

8. La responsabilité du CH Henri Laborit n'étant pas engagée, les conclusions de la CPAM de Loir-et-Cher, au demeurant irrecevables faute d'avoir été présentées par un avocat comme le fait valoir en défense le centre hospitalier, ne peuvent qu'être rejetées dans leur totalité.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête des consorts A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... A..., à Mme C... A..., à Mme N... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher, au centre hospitalier Henri Laborit, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021 à laquelle siégeaient :

Mme M... J..., présidente,

Mme B... F..., présidente-assesseure,

Mme E... I..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 février 2021.

La rapporteure,

Anne F...

La présidente,

Catherine J...La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX00139


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX00139
Date de la décision : 23/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. Absence de faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : SCP DENIZEAU GABORIT TAKHEDMIT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-02-23;19bx00139 ?
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