Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Sea-Invest Bordeaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer l'annulation, ou à défaut la résiliation, de la convention de terminal du 19 décembre 2014 par laquelle le Grand Port Maritime de Bordeaux a confié à la société Europorte l'exploitation du terminal à conteneurs du sud-ouest du Verdon.
Par un jugement n° 1602147 du 2 juillet 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 septembre 2018, la société Sea-Invest Bordeaux, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 2 juillet 2018 ;
2°) d'annuler, ou à défaut de résilier, la convention de terminal du 19 décembre 2014 par laquelle le Grand Port Maritime de Bordeaux (GPMB) a confié à la société Europorte l'exploitation du terminal à conteneurs du sud-ouest du Verdon ;
3°) de mettre à la charge du GPMB la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il méconnait l'article R. 732-1 du code de justice administrative ; en effet, le président de la formation de jugement et le rapporteur public ont questionné M. A... alors qu'aucune des parties au litige ne l'avait demandé ; en outre le président de la formation de jugement a donné la parole en premier au défendeur, le GPMB ;
- le GPMB a commis des manquements aux principes d'impartialité de la procédure et d'égalité de traitement des candidats ;
- le GPMB a commis une erreur manifeste d'appréciation dans la sélection de la candidature d'Europorte ;
- l'offre de GPMB était irrégulière dès lors qu'elle ne décrivait pas les intervenants dans l'exécution de la convention de terminal et que l'offre n'était pas détaillée ;
- l'intuitu personae et le principe de l'exécution personnelle qui s'attachent aux contrats conclus par l'administration s'opposaient à ce que Europorte sous-traite la totalité de sa mission en méconnaissance de l'article 5.2 de la convention ;
- les manquements de GPMB constituent des vices d'une particulière gravité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2019, le société Europorte, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Sea-Invest Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande subsidiaire de résiliation est sans objet ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 janvier 2021, le GPMB, représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Sea-Invest Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande était tardive devant le tribunal administratif de Bordeaux ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des transports ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... F...,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la société Sea_Invest Bordeaux, de Me G..., représentant le Grand Port Maritime de Bordeaux, et de Me E..., représentant la société Europorte.
Considérant ce qui suit :
1. Le Grand Port Maritime de Bordeaux (GPMB) a lancé une procédure d'attribution de la convention de terminal du Verdon comprenant une phase de sélection des candidatures engagée le 25 juin 2013 puis une phase d'analyse des offres des deux seuls candidats retenus et ayant effectivement présenté une offre, la société Sea-Invest Bordeaux et la société Europorte. Par courrier du 19 mai 2014, le GPMB a informé la société Sea-Invest Bordeaux que son offre était classée seconde et que celle de la société Europorte était retenue. La société Sea-Invest Bordeaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler ou à défaut de résilier la convention de terminal conclue le 19 décembre 2014 entre la société Europorte et le GPMB. Elle relève appel du jugement du 2 juillet 2018 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
2. En premier lieu, le GPMB soutient que la demande de la société Sea-Invest Bordeaux devant le tribunal administratif de Bordeaux était tardive. Toutefois, si tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat, ce recours doit être exercé dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. Or en l'espèce, le GPMB se borne à soutenir qu'il a informé la société Sea-Invest Bordeaux du rejet de son offre par courrier du 19 mai 2014 et à produire un relevé de conclusions du 19 décembre 2014 diffusé sur son site internet indiquant que la convention de terminal était en cours de finalisation. Ces simples courrier et mention ne sauraient être regardées comme des mesures de publicité appropriées de nature à faire courir le délai de recours contentieux de deux mois dans lequel pouvait être exercée la contestation de la validité du contrat. Par ailleurs, la société requérante n'a eu connaissance de la convention de terminal en cause que le 22 mars 2016 à la suite de la saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) sur cette demande de communication de la convention. En conséquence, le GPMB ne saurait soutenir que la demande de la société Sea-Invest Bordeaux devant le tribunal administratif de Bordeaux le 20 mai 2016 était tardive.
3. En second lieu, indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.
4. Saisi par un tiers, dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.
5. Au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
6. En l'espèce, il résulte de l'instruction que M. A..., par le biais de la société CTS qu'il dirige, a été chargé par le GPMB de plusieurs missions relatives au port du Verdon : l'assistance à l'élaboration du projet stratégique en 2012, l'assistance à la maitrise d'ouvrage pour la conclusion de la convention de terminal en août 2013, l'étude stratégique des flux logistiques et des gains associés à la mise en place d'un terminal en 2014. Il n'est pas sérieusement contesté que M. A..., compte tenu de ses missions, a participé à l'élaboration des documents de la consultation et également à l'analyse des offres des candidats et qu'il a ainsi été susceptible d'influencer l'issue de la procédure litigieuse. Or il résulte également de l'instruction que la société attributaire de la convention de terminal, Europorte, a sous-traité la majeure partie des prestations dont elle avait la charge du fait de la convention de terminal, à l'exception des opérations ferroviaires, à la société SMPA laquelle est également dirigée par M. A..., fut ce par le biais d'une holding à laquelle il a cédé les parts de la société SMPA. Si Europorte n'a effectivement sous-traité ces prestations à la société SMPA que le 30 juillet 2015, il résulte de l'instruction que le mémorandum du 7 novembre 2014 produit au dossier révèle que Europorte et la SMPA, en cours de création pour les besoins de l'opération, s'étaient déjà accordées sur le contenu de cette sous-traitance alors même que la convention de terminal n'était pas encore signée. Les circonstances que M. A... n'ait informé ni le GPMB de son intention de bénéficier de la sous-traitance d'Europorte pour l'exploitation du terminal du Verdon ni Europorte de ses liens contractuels avec le GPMB, à les supposer établies, sont sans incidence sur l'irrégularité de la procédure commise dans l'attribution de cette convention. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, le GPMB doit être regardé comme ayant méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence.
7. Dans ces conditions, eu égard à la particulière gravité du vice entachant le contrat et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'annulation du contrat, au demeurant résilié et qui n'a reçu qu'un commencement d'exécution, porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, il y a lieu d'en prononcer l'annulation. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, la société Sea-Invest Bordeaux est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société requérante, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent le GPMB et Europorte au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du GPMB la somme de 1 500 euros qu'il versera à la société Sea-Invest Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1602147 du 2 juillet 2018 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La convention de terminal du 19 décembre 2014 par laquelle le Grand Port Maritime de Bordeaux a confié à la société Europorte l'exploitation du terminal à conteneurs du sud-ouest du Verdon est annulée.
Article 3 : Le Grand Port Maritime de Bordeaux versera à la société Sea-Invest Bordeaux une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du Grand Port Maritime de Bordeaux et d'Europorte au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sea-Invest Bordeaux, au Grand Port Maritime de Bordeaux et à la société Europorte.
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme D... F..., présidente-assesseure,
Mme Déborah de Paz, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 février 2021.
Le président,
Didier ARTUS
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et des transports, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX03381