Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 12 juin 2019 par lequel le préfet de la Guadeloupe lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 1900931 du 10 mars 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté préfectoral du 12 juin 2019, a enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement à Mme B... de la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 juin 2020, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 10 mars 2020 ;
2°) de rejeter la requête de Mme B... ;
3°) de sursoir à l'exécution du jugement du 10 mars 2020 susmentionné.
Il soutient que :
- le jugement contesté est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation au regard de la situation de l'intéressée et doit par suite être annulé ; les conclusions " indemnitaires " présentées au titre des frais de procès en première instance sont irrecevables en l'absence de demande préalable ; le sursis à exécution s'appuie sur un moyen sérieux d'annulation ;
- contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, Mme B..., qui a déclaré vivre chez sa tante et le mari de celle-ci, n'a aucune vocation à obtenir un titre de séjour en raison de sa vie privée et familiale et de sa situation professionnelle sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle ne justifie pas de sa vie commune avec la personne qu'elle présente comme son compagnon, titulaire d'un titre de séjour ; le tribunal fait état de l'insertion professionnelle de l'intéressée alors qu'il existe un doute quant au signataire de l'employeur sur le contrat de travail fourni, qui ne comporte aucun cachet de la société ; elle travaille en toute illégalité, sans autorisation de travail ; l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été méconnu ; la situation de Mme B... au regard de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires a été correctement appréciée ; c'est donc à tort que le tribunal a annulé l'arrêté contesté.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante haïtienne née le 12 avril 1998, est entrée en France en 2013 selon ses déclarations. Par un arrêté du 12 juin 2019, le préfet de la Guadeloupe lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet de la Guadeloupe relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté précité du 12 juin 2019 et lui a enjoint de délivrer à Mme B... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
2. Par ordonnance du 6 juillet 2020, il a été statué sur les conclusions du préfet aux fins de sursis à exécution, dans le cadre de l'instance n° 20BX01935. En conséquence, il n'y a lieu, dans la présente instance, de ne statuer que sur les conclusions d'appel au fond.
3. Pour annuler l'arrêté du 12 juin 2019 du préfet de la Guadeloupe, le tribunal a accueilli les moyens tirés de ce que l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de ce qu'il repose sur une appréciation manifestement erronée de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Selon l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France en 2013 selon ses déclarations, à l'âge de 15 ans et demi, qu'elle a été hébergée dès son arrivée par sa tante et son oncle et scolarisée en France au collège puis au lycée. Il ressort également des pièces du dossier qu'elle a obtenu en juin 2017 son brevet d'études professionnelles " Métiers de la relation aux clients et aux usagers " puis en juin 2018 son baccalauréat professionnel mention " Métiers de la relation aux clients et aux usagers ". Elle a produit également un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de serveuse, signé le 30 avril 2019, sur lequel la seule absence de cachet de l'entreprise ne permet pas d'estimer qu'il serait un faux, ainsi que ses bulletins de paie pour les mois d'avril, de juin et de juillet 2019. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances et notamment aux conditions et à la durée du séjour en France de Mme B..., à son jeune âge lors de son arrivée en France et à son insertion professionnelle, et alors même que l'intéressée, célibataire et sans charge de famille, n'établit pas la vie commune avec celui qu'elle présente comme son compagnon et qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales en Haïti, le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la décision du 12 juin 2019 portant refus de titre de séjour au motif qu'elle méconnaissait le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'elle portait une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme B... et qu'elle reposait sur une erreur manifeste d'appréciation et a également annulé, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour d'une durée d'un an.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Guadeloupe est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
Mme Caroline C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.
Le président,
Elisabeth Jayat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX01936