La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/02/2021 | FRANCE | N°18BX04138

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 09 février 2021, 18BX04138


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... F... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner solidairement la commune de Gramond et l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant total

de 90 040,76 euros en réparation des préjudices qu'il attribue aux travaux d'assainissement réalisés en 2003 au droit de la grange dont il est propriétaire.

Par un jugement n° 1602852 du 4 octobre 2018, le tribunal a rejeté sa demande

et partagé les frais d'expertise entre M. F... et la commune de Gramond.

Proc

dure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 décembre 2018 et des mémoires enregistrés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... F... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner solidairement la commune de Gramond et l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant total

de 90 040,76 euros en réparation des préjudices qu'il attribue aux travaux d'assainissement réalisés en 2003 au droit de la grange dont il est propriétaire.

Par un jugement n° 1602852 du 4 octobre 2018, le tribunal a rejeté sa demande

et partagé les frais d'expertise entre M. F... et la commune de Gramond.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 décembre 2018 et des mémoires enregistrés

les 25 février 2019 et 29 octobre 2020, M. F..., représenté par la SCPI Philippo et Pressecq, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner solidairement la commune de Gramond et l'Etat à lui verser

les sommes de 87 586,20 euros hors taxes, soit 105 103,44 euros toutes taxes comprises, au titre des travaux à réaliser et de 5 000 euros au titre de son trouble de jouissance ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Gramond et de l'Etat

les frais d'expertise de 4 191,96 euros, ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- alors que l'état des lieux réalisé le 8 octobre 2003 faisait apparaître des fissures et des lézardes, et que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) lui imposait de prendre toutes mesures utiles pour assurer la conservation des constructions existantes, l'entreprise Arrazat a réalisé les travaux avec un brise-roche hydraulique et une pelle mécanique

de 10 tonnes équipée d'un marteau, ce qui était de nature à engendrer des désordres sérieux ou aggraver les désordres préexistants ;

- l'expert missionné par le juge des référés a relevé que la fragilité et la précarité de la structure étaient connues et que les mesures adaptées pour le terrassement devaient proscrire l'utilisation d'engins vibrants ; il a conclu que les travaux ont " sûrement et certainement " contribué à la dégradation de l'immeuble ;

- le jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il écarte le lien de causalité entre les désordres et les travaux de façon arbitraire, sans répondre à son argumentation, et en se fondant sur une interprétation erronée des conclusions de l'expert ;

- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs dès lors qu'il le déboute de ses demandes tout en laissant les frais d'expertise à la charge de la commune ;

- le dommage n'a été entièrement révélé que le 11 août 2008, date de l'effondrement de la toiture, et il a adressé une réclamation à la commune le 18 mars 2008, de sorte que la prescription quadriennale, qui a commencé à courir le 1er janvier 2009, n'était pas acquise lorsqu'il a déposé sa requête en référé ;

- l'évaluation des travaux à 87 586,20 euros TTC en 2013 doit être revalorisée par

une majoration de 30 %, soit 105 103,44 euros TTC ;

- il sollicite une somme de 5 000 euros au titre de son trouble de jouissance dès lors

que la grange est devenue inutilisable ;

- les frais et honoraires de l'expertise devront lui être remboursés par la partie perdante.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 janvier 2019, la commune de Gramond, représentée par Me G..., conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que l'Etat et l'entreprise Arrazat Frères soient condamnés

à la relever et garantir de toute condamnation, et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise

à leur charge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- dès lors que les désordres imputés aux travaux ont été constatés en avril 2007, l'action de M. F... était atteinte par la prescription quadriennale lorsqu'il a présenté sa requête en référé expertise le 4 avril 2012 ;

- à titre subsidiaire, c'est à bon droit que le tribunal, qui a suffisamment motivé son jugement, a rejeté la demande de M. F... ;

- à titre infiniment subsidiaire, la société Arrazat et l'Etat devront être condamnés à la relever et garantir de toute condamnation éventuelle dès lors que l'expert a constaté la réalisation des travaux tels qu'ils étaient prévus malgré l'identification du risque, et que l'article 33 du CCTP désignait l'entrepreneur comme responsable des dommages et accidents de toute nature

se rapportant à l'exécution des obligations du marché.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 septembre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête et de l'appel en garantie de la commune de Gramond,

et à titre subsidiaire à ce que le partage de responsabilité soit étendu à la société Arrazat.

Elle fait valoir que :

- le jugement n'est pas irrégulier ;

- l'effet déclenchant ou aggravant des travaux de terrassement sur la détérioration de la grange n'est pas démontré ;

- à titre subsidiaire, la base de l'indemnisation devrait être limitée à 7 238 euros HT ;

- les conclusions à fin d'appel en garantie de la commune de Gramond doivent être rejetées dès lors que la réception de l'ouvrage le 26 février 2004 a mis fin aux rapports contractuels, et que l'article 4-8 du CCTP invoqué par la commune se rapporte

à la responsabilité de l'entrepreneur, et non à celle de l'Etat maître d'oeuvre ; à titre subsidiaire, le partage de responsabilité doit être étendu à la société Arrazat, titulaire du marché de travaux

et professionnel de son art.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme B... C..., rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... est propriétaire d'un terrain référencé D n° 360 au cadastre de la commune de Gramond (Aveyron), sur lequel est implantée une grange à usage de stabulation

au rez-de-chaussée et de remise de fourrage à l'étage, construite vers 1860. En octobre 2003,

la commune, maître d'ouvrage, a fait réaliser, sous la maîtrise d'oeuvre de

l'Etat (direction départementale de l'équipement), des travaux de construction d'un réseau public d'assainissement au cours desquels une tranchée a été creusée dans la roche à 2,10 mètres

de la paroi la plus proche de ce bâtiment. La réception des travaux a été prononcée sans réserve le 26 février 2004. M. F..., qui aurait évacué les animaux et le foin en avril 2007, a fait constater l'état de la grange par un huissier le 10 juillet 2007, et a saisi la commune, par un courrier du 18 mars 2008, d'une demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité

de la dégradation du bâtiment aux travaux d'assainissement réalisés en 2003, laquelle a été rejetée par lettre du 1er août 2008. Le 14 mai 2012, à la demande de M. F..., le juge

des référés du tribunal administratif de Toulouse a ordonné une expertise afin de rechercher l'origine des désordres. L'expert a estimé que s'il était très difficile d'établir un lien de causalité entre la détérioration de l'immeuble et les travaux, ceux-ci avaient eu un effet aggravant.

M. F... relève appel du jugement du 4 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif

de Toulouse a rejeté sa demande de condamnation de la commune de Gramond et de l'Etat

à l'indemniser de ses préjudices au motif que le lien de causalité entre ceux-ci et les travaux publics invoqués n'était pas établi.

Sur la régularité du jugement :

2. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments développés par M. F..., ont suffisamment motivé l'absence de lien de causalité qu'ils ont retenue en relevant que les désordres générés par les vibrations d'engins tels que le brise-roche utilisé pour l'ouverture d'une tranchée au droit de la grange n'ont pas les mêmes caractéristiques que ceux constatés sur les murs de la grange. Le moyen tiré de ce que le tribunal se serait fondé sur une interprétation erronée de l'expertise relève du bien-fondé, et non de la régularité du jugement.

3. Si les dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative posent le principe que les dépens, tels que les frais d'expertise, sont mis à la charge de toute partie perdante, elles permettent au juge d'y déroger " si les circonstances de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ". En rejetant les conclusions indemnitaires de M. F... puis en décidant, dans les circonstances de l'espèce, de ne laisser à sa charge que la moitié des frais d'expertise et de faire supporter l'autre moitié par la commune de Gramond, le tribunal n'a entaché son jugement d'aucune contradiction de motifs.

Sur les conclusions indemnitaires de M. F... :

4. Même en l'absence de faute, la collectivité maître de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, l'entrepreneur chargé des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime.

5. La description de la grange par l'expert missionné par le juge des référés fait apparaître que la conception traditionnelle de la charpente, constituée d'arbalétriers et d'un entrait retroussé sans aucune contrefiche, est à l'origine d'une réaction oblique, ce qui rend le modèle " instable par n'importe quelle méthode de calcul ", d'autant que les murs de pierres hourdées à la chaux ou à la terre forment des parois hétéroclites, et que leur très grande hauteur favorise leur déformation. L'expert, qui a constaté une vétusté et un défaut d'entretien largement documentés par les photographies figurant au dossier, précise que les déformations des murs sont telles qu'une évolution entre les constats d'huissiers avant et après les travaux n'est pas appréciable. S'il relève que l'état de l'immeuble devait conduire à proscrire l'utilisation d'engins vibrants pour les terrassements, son avis selon lequel les travaux, auxquels il attribue un effet " déclenchant ou aggravant ", ont " sûrement et certainement participé à la dégradation de l'immeuble dans le temps, tout du moins par sa fragilisation ", ne repose sur aucune argumentation technique. En revanche, il admet expressément qu'une relation directe entre les désordres et les travaux est très difficilement démontrable, et répond au dire du technicien conseil de M. F... que les sollicitations liées à des vibrations engendrent des désordres caractéristiques autres que ceux constatés sur les murs. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que les premiers juges n'ont pas retenu de lien de causalité entre les travaux réalisés au début de l'année 2003 et la dégradation constatée par un huissier le 10 juillet 2007.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception

de prescription quadriennale opposée par la commune de Gramond, que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif

de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser les frais d'expertise

pour moitié à la charge de la commune de Gramond et pour moitié à la charge de M. F....

Ce dernier, qui est la partie perdante, n'est pas fondé à demander l'allocation d'une somme

au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans

les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à sa charge sur le fondement de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Gramond au titre des frais exposés à l'occasion du litige sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... F..., à la commune de Gramond et à la ministre de la transition écologique. Copie en sera adressée au préfet de l'Aveyron.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021 à laquelle siégeaient :

Mme J... I..., présidente,

Mme A... E..., présidente-assesseure,

Mme D... H..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.

La rapporteure,

Anne E...

La présidente,

Catherine I...La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX04138


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX04138
Date de la décision : 09/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-03 Travaux publics. Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. Lien de causalité.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS PHILIPPO PRESSECQ

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-02-09;18bx04138 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award