La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/02/2021 | FRANCE | N°20BX01564

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 04 février 2021, 20BX01564


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 juin 2019 par lequel la préfète de Lot-et-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 1904805 du 18 décembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 mai 2020, M. C..., représenté par Me D.

.., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 déc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 juin 2019 par lequel la préfète de Lot-et-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 1904805 du 18 décembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 mai 2020, M. C..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 décembre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 juin 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour portant autorisation de travail dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- en considérant que l'absence de notification de la décision de retrait de la carte de résident était sans incidence sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, le tribunal a méconnu les dispositions de l'article L. 221-8 du code des relations entre le public et l'administration ; en outre, en l'absence des mentions prévues par l'article L. 111-8 du code des relations entre le public et l'administration quant à l'interprète en langue arabe dont il devait bénéficier au moment de la notification, la notification est inopposable ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que le titre portant la mention " salarié " prévu à l'article 3 de l'accord franco-marocain ne faisait pas partie des titres de séjour pouvant être attribués de plein droit alors que la préfecture n'a pas procédé à un examen médical ni demandé de présenter un contrat de travail ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'arrêté contesté ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté contesté :

- l'arrêté contesté sera annulé en raison du défaut de notification de l'arrêté portant retrait de sa carte de résident ; en outre, en l'absence des mentions prévues par l'article L. 111-8 du code des relations entre le public et l'administration quant à l'interprète en langue arabe dont il devait bénéficier au moment de la notification, la notification est inopposable ;

- en considérant que le titre de séjour portant la mention " salarié " prévu à l'article 3 de l'accord franco-marocain ne faisait pas partie des titres de séjour pouvant lui être attribués de plein droit, alors que la préfecture n'a pas fait procéder à examen médical d'usage ni lui a demandé de présenter un contrat de travail en violation de l'article 3 de l'accord franco-marocain, le préfet de Lot-et-Garonne a commis un vice de procédure ;

- la notification de l'arrêté contesté qui ne comporte aucun détail sur l'identité de l'agent notifiant, méconnait les dispositions des articles L. 212-1 et L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration et entache l'arrêté d'illégalité ;

En ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté contesté :

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation quant à son insertion professionnelle et a méconnu les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain ;

- l'arrêté méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 décembre 2020, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 avril 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... ;

- et les observations de Me A..., représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant marocain, né le 31 décembre 1964, s'est marié le 21 mai 2016 avec une ressortissante marocaine titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 15 janvier 2021. Il est entré en France le 2 juin 2017, muni d'un visa long séjour au titre du regroupement familial, et s'est vu délivrer, le 26 juin 2017, une carte de résident " vie privée et familiale " valable jusqu'au 25 juin 2027, en application de l'article 5 de l'accord franco-marocain. A la suite de la rupture de la vie conjugale, M. C... a fait l'objet d'un arrêté du 20 juin 2019 portant retrait de sa carte de résident. Par un arrêté du même jour, le préfet de Lot-et-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai d'un mois et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit. M. C... relève appel du jugement du 18 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation du seul arrêté du 20 juin 2019 l'obligeant à quitter le territoire dans un délai d'un mois et fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Sur la régularité du jugement :

2. Les moyens tirés de l'incidence du défaut de notification de la décision de retrait de la carte de résident sur la légalité de l'arrêté contesté, du caractère opérant du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de l'accord franco-marocain et de l'appréciation du tribunal quant à l'atteinte portée au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale relèvent du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.

Sur la légalité de l'arrêté du 20 juin 2019 :

3. Aux termes de l'article L. 221-8 du code des relations entre le public et l'administration : " Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d'autres formalités préalables, une décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en fait l'objet au moment où elle est notifiée ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".

4. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient M. C..., l'arrêté du 20 juin 2019 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne lui a retiré sa carte de résident a été régulièrement notifié le 29 juin 2019 à 10 heures, notification qui comporte la signature de l'interprète. L'appelant ne peut utilement se prévaloir de l'absence des mentions prévues par le second alinéa de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile exigées lors de l'assistance de l'interprète par l'intermédiaire de moyens de télécommunication, procédure dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait été utilisée en l'espèce. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision l'obligeant à quitter le territoire français serait illégale en raison de l'inopposabilité de la décision retirant sa carte de résident doit être écarté.

5. Aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles (...) ".

6. Lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à un étranger, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français. Tel n'est pas le cas des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain, lesquelles ne prescrivent pas la délivrance de plein droit du titre de séjour portant la mention " salarié ". Il en résulte que M. C... ne peut pas utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de l'accord franco-marocain à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français contestée. Au surplus il n'avait pas présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de cet article et l'autorité compétente n'a pas procédé à un examen d'un éventuel droit au séjour à ce titre. Pour les mêmes motifs, l'arrêté n'est pas entaché de vices de procédure en ce que le préfet n'aurait pas fait procéder à l'examen médical d'usage, ni demandé à l'intéressé de présenter un contrat de travail. Par ailleurs, la production de certificats de travail et de bulletins de salaires établissant que M. C... a travaillé en qualité d'ouvrier agricole ne suffisent pas caractériser une erreur manifeste qu'aurait commise le préfet dans l'appréciation de l'insertion professionnelle de l'appelant.

7. Les conditions de notification de l'arrêté contesté n'ont pas d'incidence sur sa légalité. Par suite, l'appelant ne peut utilement se prévaloir de ce que l'arrêté contesté méconnaitrait les dispositions des articles L. 212-1 et L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration, alors même qu'il ne comporte aucun détail sur l'identité de l'agent notifiant.

8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, M. C..., entré en France en juin 2017 à l'âge de cinquante-trois ans, était présent sur le territoire depuis deux ans et était séparé de son épouse. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, la circonstance que le couple se soit réconcilié et vit de nouveau ensemble postérieurement à la décision contestée n'a pas d'incidence sur la légalité de cette décision qui s'apprécie à la date de son édiction. En outre, si M. C... se prévaut de la présence en France de deux soeurs, il ressort des pièces du dossier qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où réside notamment sa mère et où il a vécu la plus grande partie de sa vie. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment au caractère récent de son entrée en France, l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne n'a pas porté au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée eu égard aux buts en vue desquels la mesure d'éloignement a été prise. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, l'arrêté attaqué n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'appelant.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 7 janvier 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme E..., premier conseiller.

Rendu public par mise à dispositions au greffe le 4 février 2021.

Le rapporteur,

E...Le président,

Marianne Hardy

Le greffier,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX01564 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01564
Date de la décision : 04/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY-SABOURDY
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : CHAMBERLAND POULIN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-02-04;20bx01564 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award