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19/01/2021 | FRANCE | N°19BX00171

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 19 janvier 2021, 19BX00171


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Tsingoni Hôtel a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la délibération n° 2016.00101 du 10 mai 2016 de la commission permanente du conseil départemental de Mayotte lui retirant le bénéfice d'une subvention de 200 000 euros et de condamner le département de Mayotte à lui verser la somme de 200 000 euros en exécution de la délibération du 9 mars 2015 lui accordant cette subvention et la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la déli

bération du 10 mai 2016.

Par un jugement n° 1600590 du 13 novembre 2018, le tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Tsingoni Hôtel a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la délibération n° 2016.00101 du 10 mai 2016 de la commission permanente du conseil départemental de Mayotte lui retirant le bénéfice d'une subvention de 200 000 euros et de condamner le département de Mayotte à lui verser la somme de 200 000 euros en exécution de la délibération du 9 mars 2015 lui accordant cette subvention et la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la délibération du 10 mai 2016.

Par un jugement n° 1600590 du 13 novembre 2018, le tribunal administratif de Mayotte a annulé la délibération du 10 mai 2016 du conseil départemental de Mayotte et a rejeté les conclusions indemnitaires de la société.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 11 janvier 2019 et le 8 octobre 2020, la SARL Tsingoni Hôtel, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Mayotte en tant qu'il refuse de faire droit à ses conclusions tendant à ce que le département de Mayotte lui verse la somme de 200 000 euros en exécution de la délibération portant attribution de la subvention et celles tendant à la condamnation de ce département à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation des préjudices subis ;

2°) de condamner le département de Mayotte à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) d'enjoindre au département de Mayotte de lui verser la somme de 200 000 euros en exécution de la délibération n° 2036/2015/ de la commission permanente du conseil départemental de Mayotte du 09 mars 2015, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard ;

4°) de mettre la somme de 5 000 euros à la charge du département de Mayotte au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la légalité de la délibération du 10 mai 2016 de la commission permanente du conseil départemental de Mayotte :

- le département n'apporte aucun élément de nature à établir que la présence de M. I... A..., qui n'était pas rapporteur et n'a pas participé au vote, au sein de la commission permanente ait eu une influence sur l'attribution de la subvention qui a été adoptée à l'unanimité ; M. A... ne peut être qualifié de membre actif du Mouvement pour le Développement de Mayotte ; le moyen tiré de l'irrégularité de la délibération en raison de la qualité de membre de la commission permanente de M. A... aurait dû être écarté par le tribunal ;

- le dossier était complet; le département, pas plus que le jugement, n'ont jamais précisé les " pièces fondamentales " jugées manquantes justifiant le retrait de la délibération ;

- le montant de la subvention n'est pas anormalement élevé ;

- l'absence d'établissement d'une convention par les services du conseil départemental motif invoqué dans la décision de retrait ne peut lui être imputée ;

- le retrait de la délibération du 9 mars 2015, acte individuel créateur de droit, par une délibération du 10 mai 2016 est tardif ;

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

- l'annulation du retrait de la délibération implique nécessairement que la subvention lui soit versée en application de la délibération du 9 mars 2015 ;

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

- la décision illégale de retrait a engendré automatiquement le retrait de la subvention européenne d'un montant de 500 000 euros ; il appartient au département de l'indemniser du préjudice subi.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 août 2020, le département de Mayotte, représenté par Me H..., demande à la cour :

1°) à titre principal, par la voie de l'appel incident, d'annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Mayotte en date du 13 novembre 2018 et de rejeter les demandes de première instance de la SARL Tsingoni Hôtel ;

2°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement, excepté son article 2, et de rejeter la requête de la SARL Tsingoni Hôtel ;

3°) de mettre la somme de 6 500 euros à la charge de la SARL Tsingoni Hôtel au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Il soutient que :

En ce qui concerne la légalité de la délibération du 10 mai 2016 :

- le motif retenu par les premiers juges est infondé ; la décision ne constituait pas une décision individuelle créatrice de droits ; la délibération du 9 mars 2015 porte approbation du principe d'une subvention sous condition de complétude du dossier ; la condition suspensive n'ayant jamais été satisfaite, il n'était pas nécessaire de procéder au retrait à la suite d'une procédure contradictoire ;

- la présence de M. I... A..., actionnaire unique de la SARL Tsingoni Hôtel, au sein de la commission permanente du 9 mars 2015 a nécessairement eu une influence sur l'attribution de la subvention ; le montant même de la subvention qui lui est alloué est révélateur de cette influence alors que les 14 autres projets ont bénéficié de l'attribution de subvention d'un montant moyen de 45 000 euros ;

- le dossier de demande était largement incomplet ; les pièces produites pour justifier du contraire sont toutes postérieures à la délibération du 10 mai 2016 ; le Comité Régional Unique de Programmation a constaté l'incomplétude du dossier lors de sa réunion du 1er juin 2016 ;

En ce qui concerne les conclusions à fin de condamnation :

- il n'y a aucun lien de causalité entre la faute alléguée et la perte de la subvention de 500 000 euros ; le compte-rendu du 1er juin 2016 explicite les motifs du refus d'attribuer la subvention européenne de 500 000 euros.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. G... F...,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la SARL Tsingoni Hôtel,

Considérant ce qui suit :

1. Par délibérations n° 2024/2015/CP et n° 2036/2015/CP du 9 mars 2015, la commission permanente du conseil départemental de Mayotte a accordé une aide à l'investissement d'un montant de 200 000 euros à la SARL Tsingoni Hôtel. Par une délibération n° 2016.00101 du 10 mai 2016, la même commission permanente a annulé l'octroi de cette subvention. La SARL Tsingoni Hôtel relève appel du jugement en date du 13 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Mayotte après avoir annulé la délibération du 10 mai 2016 a rejeté ses conclusions tendant à ce que le département de Mayotte lui verse d'une part, la somme de 200 000 euros en exécution de la délibération du 9 mars 2015 portant attribution de la subvention et d'autre part, la somme de 500 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'annulation illégale de cette délibération. Le département de Mayotte, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation de ce jugement en ce qu'il a annulé la délibération du conseil départemental du 10 mai 2016 et le rejet des demandes de la société Tsingoni Hôtel.

Sur l'appel incident :

2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". L'article L. 211-2 de ce code prévoit que doivent être motivées, notamment, les décisions qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droits. L'attribution d'une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire. De tels droits ne sont créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention. Enfin si l'article L. 242-1 du code précité dispose que " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ", l'article L. 242-2 de ce code ajoute que " Par dérogation à l'article L. 242-1, l'administration peut, sans condition de délai : / (...) 2° Retirer une décision attribuant une subvention lorsque les conditions mises à son octroi n'ont pas été respectées ".

3. Il résulte de ce qui précède et ainsi que l'ont retenu les premiers juges, que l'attribution d'une aide à l'investissement d'un montant de 200 000 euros à la SARL Tsingoni Hôtel par la délibération du 9 mars 2015 du conseil départemental, quand bien même elle présentait un caractère conditionnel, était constitutive d'une décision créatrice de droits, dont le retrait devait être précédé d'une procédure contradictoire.

4. Il résulte de ce qui précède que le département de Mayotte, qui ne conteste pas l'absence de mise en oeuvre d'une telle procédure contradictoire, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a annulé la délibération du 10 mai 2016.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

5. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2.

6. Au soutien de ses conclusions à fin d'injonction, la société Tsingoni Hôtel fait valoir que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les motifs de la délibération retirant la subvention tirés de l'incomplétude de son dossier de demande et de l'irrégularité de la présence de M. A... lors du vote de la délibération d'octroi de la subvention ne sont pas fondés.

7. Toutefois, d'une part la délibération du 9 mars 2015 accordant la subvention précise que l'attribution des aides a lieu par le biais d'arrêtés et de convention qui peuvent prévoir des annulations au regard " du respect des stipulations contractuelles notamment en matière de pièces justificatives ". Or la délibération en litige mentionne que la société n'aurait pas communiqué certaines pièces " fondamentales ". Il résulte de l'instruction que si l'appelante soutient avoir fourni l'ensemble des pièces demandées, le dossier intitulé " étude de marché " qu'elle produit pour en justifier est daté du 1e octobre 2016, postérieurement à la délibération de retrait et elle ne justifie ainsi pas du respect de cette condition. D'autre part, il n'est pas contesté que M. I... A..., associé unique de la SARL Tsingoni Hôtel, a siégé en sa qualité de vice-président du conseil départemental lors des discussions relatives à l'attribution de la subvention en litige. S'il n'a pas participé aux travaux préparatoires à cette délibération ni au vote ayant mené à son adoption à l'unanimité, sa présence parmi les sept membres de la commission permanente tout au long des débats et pendant les opérations de vote a été de nature à exercer une influence sur le sens de la décision et a donc vicié la légalité de cette délibération.

8. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions à fin d'injonction présentées par la SARL Tsingoni Hôtel.

En ce qui concerne les conclusions à fins indemnitaires :

9. Toute illégalité affectant une décision administrative est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de la personne publique. Saisi d'une demande indemnitaire, il appartient au juge administratif d'accorder réparation des préjudices de toute nature, directs et certains, qui résultent de l'illégalité fautive entachant la décision. Le caractère direct du lien de causalité entre l'illégalité commise et le préjudice allégué ne peut notamment être retenu dans le cas où la décision administrative est seulement entachée d'une irrégularité formelle ou procédurale et que le juge considère, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties devant lui, que la décision aurait pu être légalement prise par l'autorité administrative, au vu des éléments dont elle disposait à la date à laquelle la décision est intervenue.

10. En premier lieu, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, si la SARL Tsingoni Hôtel soutient que le retrait de la subvention du département lui a fait perdre le bénéfice d'une " subvention européenne " de 500 000 euros, le courrier du secrétaire général pour les affaires régionales du 28 août 2015 relatif à cette subvention produit à l'appui de sa requête, se bornait à l'assurer de la complétude de son dossier de demande de subvention en précisant qu'il ne valait pas promesse de subvention.

11. En second lieu, si la décision portant retrait de l'aide à l'investissement d'un montant de 200 000 euros a été prise en compte pour refuser à la société Tsingoni Hôtel l'attribution de la subvention de 500 000 euros sollicitée au titre du Programme Opérationnel FEDER-FSE Mayotte 2014-2020, il résulte du compte-rendu du 20 juin 2016, que le comité régional unique de programmation - fonds européens a rejeté sa demande en retenant également que, d'une part, son plan de financement n'était pas justifié en raison de l'annulation de l'aide du département mais également en l'absence de justification de la demande de défiscalisation ou de l'existence d'un autofinancement représentant respectivement une somme de 300 000 euros et de 100 000 euros dans le budget prévisionnel de l'opération et, d'autre part, que le dossier était incomplet en l'absence " d'étude de marché permettant d'évaluer la viabilité et la rentabilité pérenne économique du projet ", " de justification des compétences du maître d'oeuvre en charge de la conduite des travaux " et de correspondance entre les plans des constructions et équipements projetés et le classement 4 étoiles de l'établissement hôtelier visé par le porteur. Il résulte des éléments qui précèdent que le caractère défavorable du comité régional n'étant pas motivé par la seule intervention de la délibération retirant la subvention, la société Tsingoni Hotel n'est pas fondée à soutenir que cette délibération, qui au demeurant était justifiée au fond, a entrainé la perte de la subvention européenne de 500 000 euros.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Tsingoni Hôtel n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à ce que le département de Mayotte lui verse une somme de 200 000 euros en exécution de la délibération du 9 mars 2015 et une somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la délibération du 10 mai 2016.

Sur les frais liés au litige :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par le département de Mayotte et la SARL Tsingoni Hôtel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Tsingoni Hôtel et les conclusions d'appel incident du département de Mayotte sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Tsingoni Hôtel et au département de Mayotte.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme E... D..., présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. G... F..., premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2021.

La présidente,

Evelyne D...

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX00171


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX00171
Date de la décision : 19/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

01-01-06-02-01 Actes législatifs et administratifs. Différentes catégories d'actes. Actes administratifs - classification. Actes individuels ou collectifs. Actes créateurs de droits.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Stéphane GUEGUEIN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : CABINET JORION AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-01-19;19bx00171 ?
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