Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... G... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les décisions des 23 juin et 3 novembre 2015 par lesquelles le directeur du centre hospitalier (CH) de Villefranche-de-Rouergue a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral.
Par un jugement n° 1505608 du 6 juin 2018, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire enregistrée le 30 juillet 2018 et des mémoires enregistrés les 26 novembre 2018 et 17 décembre 2019, M. G..., représenté par Me D..., demande
à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions du directeur du CH de Villefranche-de-Rouergue
des 23 juin et 3 novembre 2015 ;
3°) d'enjoindre au CH de Villefranche-de-Rouergue de lui accorder la protection fonctionnelle et de prendre en charge, à ce titre, l'intégralité des frais de procédure y compris dans le cadre des diligences menées au pénal ;
4°) de mettre à la charge du CH de Villefranche-de-Rouergue une somme
de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation en ce qu'il n'a pas répondu à l'ensemble des moyens invoqués ;
- dès lors qu'il apportait des preuves suffisantes de l'existence du harcèlement moral, c'est à tort que le tribunal n'a pas fait droit à sa demande ;
En ce qui concerne la légalité des décisions des 23 juin et 3 novembre 2015 :
- le CH de Villefranche-de-Rouergue était tenu de lui accorder la protection fonctionnelle du seul fait qu'il était partie civile dans une instruction ouverte par le Parquet dès lors que le directeur mis en cause s'est attribué cette protection ;
- le refus de protection fonctionnelle est entaché de détournement de pouvoir ;
- il a été sollicité à outrance pour effectuer du temps de travail supplémentaire contre une rémunération dérisoire dès 2003, en violation des dispositions relatives au volontariat du temps additionnel et du temps de repos réglementaire, avec un mépris répété pour son épuisement ou ses contraintes personnelles, et a été victime de discrimination en ce qui concerne la rémunération des astreintes ;
- le directeur a tenté de lui nuire dans le cadre d'un conflit personnel en produisant une attestation à la partie adverse ;
- il a été victime d'entraves à son exercice public et libéral ;
- le directeur a instrumentalisé un dysfonctionnement avec un patient pour mettre
en cause publiquement le service de cardiologie, sans mettre en oeuvre les mesures préconisées par l'agence régionale de santé (ARS) et le conseil de l'ordre à fin de réhabilitation ;
- le directeur l'a insulté de manière répétée, le traitant de " fou furieux " auprès
de collègues ou des autorités de tutelle, et a dénigré son collègue, le docteur A, fragilisant
la crédibilité du service de cardiologie ;
- il a été muselé et dénigré lors de la CME du 18 décembre 2012 ;
- son poste a été fermé avant l'expiration du délai de six mois suivant sa demande
de mise en disponibilité pour convenances personnelles, en instrumentalisant l'ARS ;
- sa convention d'accès aux plateaux techniques de l'hôpital a été rompue
afin d'entraver son exercice libéral ;
- deux médecins libéraux qui avaient été remerciés dix ans auparavant ont été recrutés
à sa place ;
- la dégradation du service de cardiologie était telle qu'il a d'abord été appelé
à réintégrer l'hôpital, puis que ses associés ont été sollicités afin de tenter de briser son association libérale ;
- après une plainte en diffamation classée sans suite, il a fait l'objet d'une citation directe pour outrage près de deux ans après les faits ;
- son activité en apnée du sommeil a fait l'objet d'une dénonciation calomnieuse auprès de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) et de l'ARS par lettre anonyme ;
- il apporte ainsi la preuve du harcèlement moral subi, de sorte que les décisions sont entachées d'erreur de droit ;
- l'illégalité du refus de protection fonctionnelle engage la responsabilité pour faute du CH de Villefranche-de-Rouergue.
Par des mémoires en défense enregistrés les 30 octobre 2019 et 2 mars 2020, le CH de Villefranche-de-Rouergue, représenté par le cabinet Alexandre Lévy, Kahn, Braun et associés, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. G... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- l'appel de M. G... est irrecevable dès lors que la requête sommaire insuffisamment motivée n'a pas été complétée par un mémoire ampliatif dans les deux mois suivant son introduction ;
A titre subsidiaire :
- les moyens tirés de l'irrégularité du jugement ne sont pas fondés ;
- la requête de première instance était irrecevable dès lors que seul le centre national de gestion est susceptible d'accorder la protection fonctionnelle à un praticien hospitalier ;
- les moyens invoqués en première instance n'étaient pas fondés ;
- les mêmes faits ayant été invoqués devant le juge pénal, l'autorité de la chose jugée par l'ordonnance de non-lieu confirmée en appel s'impose au juge administratif ;
- les agissements de harcèlement moral allégués ne sont pas établis.
Par ordonnance du 3 mars 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 4 mai 2020 et prorogée jusqu'au 23 septembre 2020 en vertu des dispositions de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.
Un mémoire présenté pour le CH de Villefranche-de-Rouergue a été enregistré
le 21 octobre 2020.
Par lettre du 2 décembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever
d'office l'incompétence du directeur du centre hospitalier pour statuer sur une demande
de protection fonctionnelle à raison de faits de harcèlement moral qui lui sont
attribués (CE 29 juin 2020 n° 423996, A).
Des observations ont été présentées par le CH de Villefranche-de-Rouergue et
M. G... le 9 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 86-634 du 13 juillet 1983 ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 22 février 2014, M. G..., cardiologue exerçant en qualité de praticien hospitalier à temps partiel au CH de Villefranche-de-Rouergue depuis le 1er avril 2001, a déposé une plainte pénale pour harcèlement moral et ségrégation à l'encontre de M. A..., directeur de cet établissement. Par lettre du 6 mai 2015, il a saisi ce dernier d'une demande de protection fonctionnelle, rejetée par une décision du 23 juin 2015. Ce refus a été confirmé par lettre
du 3 novembre 2015 après un recours gracieux présenté par le conseil de l'intéressé, au motif que la matérialité des faits invoqués n'était pas établie. M. G... relève appel du jugement
du 6 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions. La procédure pénale engagée par M. G... et quatre autres praticiens hospitaliers a donné lieu à une longue instruction, au cours de laquelle 65 témoins ont été entendus. L'ordonnance de non-lieu rendue le 9 mai 2018 par le tribunal de grande instance de Rodez a été confirmée le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Montpellier.
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicable devant la cour administrative d'appel en vertu de l'article R. 811-13 du même code : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. "
3. Dans sa requête sommaire, M. G... a présenté des conclusions, invoqué l'irrégularité du jugement, exposé succinctement la nature du harcèlement moral dont il s'estimait victime, fait valoir que les premiers juges avaient estimé à tort qu'il n'apportait pas la preuve de ce harcèlement alors qu'il était partie civile dans le cadre d'une instruction pénale, et s'est prévalu des dispositions relatives au harcèlement moral de l'article 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Cette motivation est suffisante au regard des dispositions précitées. Par suite, la fin de non-recevoir tirée d'une tardiveté de la régularisation de la requête sommaire par un mémoire ampliatif doit être écartée.
Sur la régularité du jugement :
4. En l'absence d'identification des moyens de M. G... auxquels le tribunal n'aurait pas répondu, l'invocation d'une insuffisance de motivation du jugement n'est pas assortie
des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient estimé à tort que le harcèlement moral n'était pas caractérisé ne relève pas de la régularité, mais du bien-fondé du jugement.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
5. En faisant valoir que la demande de protection fonctionnelle aurait dû être adressée au centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction, le CH de Villefranche-de-Rouergue ne met pas en cause la recevabilité de la demande de première instance, mais la légalité de la décision contestée au regard de la compétence de son auteur.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
6. Le principe d'impartialité, rappelé par l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, s'impose à toute autorité administrative dans toute l'étendue de son action, y compris dans l'exercice du pouvoir hiérarchique.
7. Lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet. Si la protection résultant de ce principe n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Il résulte du principe d'impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison de tels actes ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l'autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné.
8. Il résulte de l'ensemble des dispositions qui gouvernent les relations entre les agences régionales de santé et les établissements de santé, notamment de celles de l'article L. 6143-7-1 du code de la santé publique qui donnent compétence au directeur général de l'agence régionale de santé pour mettre en oeuvre la protection fonctionnelle au bénéfice des personnels de direction des établissements de santé de son ressort, que lorsque le directeur d'un établissement public de santé, à qui il appartient en principe de se prononcer sur les demandes de protection fonctionnelle émanant des agents de son établissement, se trouve, pour le motif indiqué au point précédent, en situation de ne pouvoir se prononcer sur une demande sans méconnaître les exigences qui découlent du principe d'impartialité, il lui appartient de transmettre la demande au directeur général de l'agence régionale de santé dont relève son établissement, pour que ce dernier y statue.
9. Dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 1, la demande de protection fonctionnelle présentée par M. G... avait pour objet des faits de harcèlement moral attribués au directeur du CH de Villefranche-de-Rouergue, ce dernier ne pouvait régulièrement statuer sur cette demande. Par suite, les décisions des 23 juin et 3 novembre 2015 sont entachées d'incompétence.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de la requête, que le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 6 juin 2018 et les décisions des 23 juin et 3 novembre 2015 doivent être annulés.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 9, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au CH de Villefranche-de-Rouergue d'accorder la protection fonctionnelle à M. G... doivent être rejetées.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, les conclusions présentées à cette fin par les parties doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1505608 du 6 juin 2018
et les décisions du directeur du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue des 23 juin
et 3 novembre 2015 sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... G... et au centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue. Une copie en sera adressée pour information à l'agence régionale de santé Nouvelle Aquitaine et au centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme J... I..., présidente,
Mme B... E..., présidente-assesseure,
Mme C... H..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2020.
La rapporteure,
Anne E...
La présidente,
Catherine I...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX03000