La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/12/2020 | FRANCE | N°18BX02998

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 29 décembre 2020, 18BX02998


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... J... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 23 juin 2015 par laquelle le directeur du centre hospitalier (CH)

de Villefranche-de-Rouergue a rejeté sa demande du 28 avril 2015 tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral, à l'exercice de son droit d'alerte,

à la saisine du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)

et de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS),

à la réparation de ses préjudices

et à la communication de son dossier administratif et de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... J... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 23 juin 2015 par laquelle le directeur du centre hospitalier (CH)

de Villefranche-de-Rouergue a rejeté sa demande du 28 avril 2015 tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral, à l'exercice de son droit d'alerte,

à la saisine du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)

et de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), à la réparation de ses préjudices

et à la communication de son dossier administratif et de son dossier médical personnel, ainsi que de condamner le CH de Villefranche-de-Rouergue à lui verser une indemnité d'un montant total de 231 388 euros et de lui enjoindre de lui accorder la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1503958 du 6 juin 2018, le tribunal administratif de Toulouse

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire enregistrée le 30 juillet 2018 et des mémoires enregistrés

les 23 novembre 2018 et 26 décembre 2019, Mme J..., représentée par Me D..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du directeur du CH de Villefranche-de-Rouergue

du 23 juin 2015 ;

3°) de condamner le CH de Villefranche-de-Rouergue à lui verser une indemnité d'un montant total de 231 388 euros ;

4°) d'enjoindre au CH de Villefranche-de-Rouergue de lui accorder la protection fonctionnelle et de prendre en charge, à ce titre, l'ensemble des frais de justice qu'elle a exposés, qui s'élèvent à 12 282,76 euros ;

5°) de mettre à la charge du CH de Villefranche-de-Rouergue les entiers dépens de la procédure, ainsi qu'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne répond pas au moyen tiré du manquement à l'obligation de protection des agents publics, alors qu'elle a subi un accident du travail ;

- le mémoire du 19 janvier 2018, assorti de nombreuses pièces nouvelles, n'a été ni versé au contradictoire, ni examiné, alors que les témoignages et démonstrations multiples permettaient d'éclairer la juridiction sur le harcèlement moral et que l'enquête de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), qui n'a pas été examinée, permettait d'éclairer l'imputabilité de l'accident de service à la charge de travail ;

- c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande de protection fonctionnelle et n'a pas suivi son argumentation relative à la mise en danger de sa santé et au temps additionnel imposé ;

En ce qui concerne la légalité de la décision du 23 juin :

- le CH de Villefranche-de-Rouergue était tenu de lui accorder la protection fonctionnelle du seul fait qu'elle était partie civile dans une instruction ouverte par le Parquet dès lors que le directeur mis en cause s'est attribué cette protection ;

- les agissements répétés d'atteinte à son intégrité professionnelle et à sa crédibilité professionnelle, la surcharge de travail qui lui a été imposée au mépris d'alertes médicales sérieuses, les accusations à vocation vexatoire, les pressions exercées sur elle et l'absence de prise en compte de ses alertes ont dégradé ses conditions de travail et généré une atteinte grave à sa santé et à sa dignité ;

- en raison de la dégradation de son état de santé, dont les agissements du directeur sont à l'origine, elle a développé un syndrome coronarien aigu le 27 mars 2015 et n'a jamais pu reprendre ses fonctions ;

- le refus de protection fonctionnelle est entaché d'erreur d'appréciation et d'erreur de droit ; le CH a également manqué à son obligation de sécurité dès lors qu'elle s'est trouvée exposée à une crise psychosociale majeure avec un exercice anormal de l'autorité hiérarchique ; il aurait dû saisir le CHSCT ;

- la décision est entachée de détournement de pouvoir dès lors qu'elle a été prise par l'auteur des agissements dénoncés ;

- la responsabilité pour faute du CH de Villefranche-de-Rouergue est engagée du fait de l'illégalité de la décision du 23 juin 2015, du harcèlement moral dont elle a été victime et de la violation de l'obligation de résultat quant à sa sécurité physique et mentale ;

- la circonstance que le juge pénal n'a pas retenu le délit de harcèlement moral est sans incidence sur son droit à la protection fonctionnelle ;

En ce qui concerne les préjudices :

- elle sollicite une indemnité de 30 000 euros au titre de son préjudice moral

et de santé compte tenu des répercussions des agissements de la direction sur son état de santé

et sa vie privée ;

- elle a subi un préjudice de carrière du fait des pressions exercées pour la faire démissionner de son poste de chef du service d'anesthésie et du blocage de sa candidature à un poste de chef de pôle ; sa retraite anticipée au 1er novembre 2015 au lieu du 25 février 2017 lui a fait perdre 77 413 euros de rémunération et 123 975 euros de pension de retraite, soit au total 201 388 euros ;

- elle a exposé 12 282,76 euros de frais de justice au titre de l'instance devant le tribunal de grande instance (TGI) de Rodez et de la procédure administrative, que le CH de Villefranche-de-Rouergue doit être condamné à prendre en charge au titre de la protection fonctionnelle.

Par des mémoires en défense enregistrés le 27 novembre 2019 et le 1er septembre 2020, le CH de Villefranche-de-Rouergue, représenté par le cabinet Alexandre Lévy, Kahn, Braun et associés, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme J... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- l'appel de Mme J... est irrecevable dès lors que la requête sommaire, insuffisamment motivée, n'a pas été complétée par un mémoire ampliatif dans les deux mois suivant son introduction ;

A titre subsidiaire :

- les moyens tirés de l'irrégularité du jugement ne sont pas fondés ;

- le courrier du 23 juin 2015 ne constituait pas une décision faisant grief, de sorte que les conclusions tendant à son annulation étaient irrecevables ;

- la demande était mal dirigée dès lors que seul le centre national de gestion est susceptible d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à un praticien hospitalier ;

- les agissements de harcèlement moral allégués ne sont pas établis.

Par lettre du 2 décembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office l'incompétence du directeur du centre hospitalier pour statuer sur une demande de protection fonctionnelle à raison de faits de harcèlement moral qui lui sont attribués (CE 29 juin 2020 n° 423996, A).

Des observations ont été présentées par le CH de Villefranche-de-Rouergue et

Mme J... le 9 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 86-634 du 13 juillet 1983 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 7 avril 2014, Mme J..., médecin anesthésiste exerçant depuis 2003 au CH de Villefranche-de-Rouergue en qualité de praticien hospitalier, a déposé une plainte pénale pour harcèlement moral à l'encontre de M. A..., directeur de cet établissement. Par lettre

du 28 avril 2015, elle a saisi ce dernier d'une demande de protection fonctionnelle et de réparation des préjudices qu'elle imputait aux faits de harcèlement moral invoqués, d'indemnisation de ses préjudices et de communication de son dossier administratif et médical. Par une décision du 23 juin 2015, le directeur du CH de Villefranche-de-Rouergue a rejeté sa demande de protection fonctionnelle au motif que la matérialité des faits invoqués n'était pas établie. Mme J..., admise à la retraite à compter du 1er novembre 2015, relève appel du jugement du 6 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de cette décision et d'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral qu'elle invoque. La procédure pénale engagée par Mme J... et quatre autres praticiens hospitaliers a donné lieu à une longue instruction, au cours de laquelle 65 témoins ont été entendus. L'ordonnance de non-lieu rendue le 9 mai 2018 par le tribunal de grande instance de Rodez a été confirmée le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Montpellier.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicable devant la cour administrative d'appel en vertu de l'article R. 811-13 du même code : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. "

3. Dans sa requête sommaire, Mme J... a présenté des conclusions, invoqué l'irrégularité du jugement, exposé succinctement la nature du harcèlement moral dont elle s'estimait victime, fait valoir que les premiers juges avaient estimé à tort qu'elle n'apportait pas la preuve de ce harcèlement alors qu'elle était partie civile dans le cadre d'une instruction pénale, et s'est prévalue des dispositions relatives au harcèlement moral de l'article 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Cette motivation est suffisante au regard des dispositions précitées. Par suite, la fin de non-recevoir tirée d'une tardiveté de la régularisation de la requête sommaire par un mémoire ampliatif doit être écartée.

Sur la régularité du jugement :

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier de première instance que si les pièces produites avec le mémoire en réplique de Mme J... étaient très nombreuses, elles étaient constituées majoritairement d'articles à caractère général sur la situation des hôpitaux publics et le harcèlement moral et d'éléments concernant d'autres médecins du CH de Villefranche-de-Rouergue, ce qui n'apportait aucun élément nouveau utile à la solution du litige. L'enquête administrative diligentée pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aveyron au sujet du malaise de Mme J... le 27 mars 2015 sur son lieu de travail avait déjà été produite et communiquée avec la requête. Par suite, l'absence de communication de ce mémoire et de ces pièces, au demeurant enregistrés le 19 janvier 2018 à 19 h 43, postérieurement à la clôture d'instruction fixée le même jour à 12 heures, n'est pas de nature à affecter la régularité du jugement.

5. En second lieu, contrairement à ce qu'affirme Mme J..., le jugement répond au point 10 à son moyen tiré du " manquement à l'obligation de protection des agents publics, alors qu'elle a subi un accident du travail " en relevant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'accident dont elle a été victime serait survenu en méconnaissance des prescriptions médicales édictées lors de sa reprise du travail après un arrêt pour maladie. Les moyens tirés de ce que les premiers juges auraient à tort écarté son argumentation relative à la mise en danger de sa santé et au temps additionnel imposé, et rejeté sa demande de protection fonctionnelle, ne relèvent pas de la régularité, mais du bien-fondé du jugement.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

6. Si le courrier du directeur du CH de Villefranche-de-Rouergue du 23 juin 2015 se conclut par " je ne peux à ce stade statuer valablement sur votre demande, l'ensemble des éléments matériels de nature à établir le bien-fondé de vos allégations n'étant pas rapportés ", il n'a pas un caractère simplement informatif, mais constitue une décision de rejet de la demande de Mme J... dès lors qu'il lui oppose l'absence de preuve des " prétendus faits de harcèlement moral " dont elle s'estime victime. Par suite, Mme J... était recevable à en demander l'annulation.

7. En faisant valoir que la demande de protection fonctionnelle aurait dû être adressée au centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction, le CH de Villefranche-de-Rouergue ne met pas en cause la recevabilité de la demande de première instance, mais la légalité de la décision contestée au regard de la compétence de son auteur.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

8. Le principe d'impartialité, rappelé par l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, s'impose à toute autorité administrative dans toute l'étendue de son action, y compris dans l'exercice du pouvoir hiérarchique.

9. Lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions,

il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet. Si la protection résultant de ce principe n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Il résulte du principe d'impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison de tels actes ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l'autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné.

10. Il résulte de l'ensemble des dispositions qui gouvernent les relations entre les agences régionales de santé et les établissements de santé, notamment de celles de l'article L. 6143-7-1 du code de la santé publique qui donnent compétence au directeur général de l'agence régionale de santé pour mettre en oeuvre la protection fonctionnelle au bénéfice des personnels de direction des établissements de santé de son ressort, que lorsque le directeur d'un établissement public de santé, à qui il appartient en principe de se prononcer sur les demandes de protection fonctionnelle émanant des agents de son établissement, se trouve, pour le motif indiqué au point précédent, en situation de ne pouvoir se prononcer sur une demande sans méconnaître les exigences qui découlent du principe d'impartialité, il lui appartient de transmettre la demande au directeur général de l'agence régionale de santé dont relève son établissement, pour que ce dernier y statue.

11. Dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 1, la demande de protection fonctionnelle présentée par Mme J... avait pour objet des faits de harcèlement moral attribués au directeur du CH de Villefranche-de-Rouergue, ce dernier ne pouvait régulièrement statuer sur cette demande. Par suite, la décision du 23 juin 2015 est entachée d'incompétence. C'est ainsi à tort que les premiers juges n'ont pas fait droit aux conclusions à fin d'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Eu égard au motif d'annulation retenu au point précédent, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au CH de Villefranche-de-Rouergue d'accorder la protection fonctionnelle à Mme J... doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

13. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs

de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont

il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement,

de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer

que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

14. En premier lieu, la circonstance que Mme J... avait déposé une plainte pénale à l'encontre de M. A... ne suffisait pas à faire présumer l'existence du harcèlement moral reproché à ce dernier. Par suite, la requérante, qui ne peut utilement se prévaloir de la protection fonctionnelle accordée à l'agent mis en cause par sa plainte, dont la situation n'était pas comparable à la sienne, n'est pas fondée à soutenir que cette plainte lui aurait ouvert un droit à la protection fonctionnelle.

15. En deuxième lieu, Mme J... invoque des remarques déplacées

de M. A... à son encontre dès son arrivée au centre hospitalier, un entretien mettant en doute son implication au sein du service à l'été 2011, des réflexions blessantes à son retour de congé de maladie en 2013, et des propos calomnieux et attentatoires à sa dignité dans le cadre de l'enquête diligentée par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Aveyron à la suite du malaise qu'elle a présenté sur son lieu de travail le 27 mars 2015. Toutefois, ni les pièces relatives à sa reprise d'activité après un congé de maladie en 2011, lesquelles font seulement apparaître que le directeur a refusé de la dispenser d'astreintes et lui a demandé un entretien afin d'échanger sur son positionnement dans l'établissement, ni ses propres déclarations lors de l'enquête

de la CPAM en 2015, selon lesquelles elle se serait " sentie insultée " lorsque M. A... lui aurait dit qu'elle était ingérable, n'établissent l'existence de propos excédant ceux susceptibles d'être tenus dans le cadre d'un différend survenant à l'occasion du service entre le directeur de l'établissement et un praticien hospitalier. L'ordonnance de non-lieu rendue le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Montpellier sur la plainte pénale de Mme J... relève d'ailleurs que les témoins qu'elle a cités n'ont pas confirmé ses accusations quant aux propos tenus par M. A... à son encontre. A supposer que le président de la commission médicale d'établissement (CME) ait déclaré à un autre praticien hospitalier, le 10 décembre 2013, au retour de Mme J... d'un congé de maladie, que celui-ci n'était pas médicalement justifié, ces propos, qui n'étaient pas destinés à lui être rapportés, ne caractérisent pas un harcèlement moral.

16. En troisième lieu, ni l'invocation de la réalisation d'astreintes de nuit rémunérées au tarif forfaitaire et sans repos compensatoire, ni l'affirmation que Mme J... se serait vu imposer une charge de travail " particulièrement importante " en 2014 à titre de " représailles " après son dépôt de plainte, ne sont assorties des précisions permettant de caractériser une quelconque méconnaissance des règles applicables au temps de travail et à la rémunération des praticiens hospitaliers. En produisant une lettre circulaire du 12 janvier 2015 transmettant à chaque médecin le contrat d'engagement individuel prévu par un arrêté

du 30 avril 2013, comportant à l'article 3 une case à cocher afin d'opter pour la rémunération ou la récupération du temps de travail additionnel, ainsi que son propre contrat qu'elle a signé en cochant la case " récupération ", la requérante ne met en évidence aucun comportement tendant à lui attribuer une surcharge de travail.

17. Si Mme J... s'est vu refuser, ainsi qu'il a été dit au point 15,

la dispense d'astreinte qu'elle avait sollicitée en 2011 à son retour d'un congé de maladie,

il ressort des pièces qu'elle-même produit que le service de santé au travail n'a constaté aucune contre-indication aux astreintes, mais l'a déclarée apte à reprendre le travail en limitant seulement les astreintes de nuit pendant un mois, et il n'est démontré ni que cet aménagement lui aurait été refusé, ni qu'une autre contre-indication aux astreintes aurait été médicalement constatée. Si le syndrome coronarien aigu à l'origine du malaise survenu le 27 mars 2015,

à la suite duquel Mme J... a été placée en arrêt de travail jusqu'à son admission

à la retraite le 1er novembre 2015, a été reconnu comme accident du travail, cette circonstance

ne peut le faire regarder comme une conséquence d'agissements de harcèlement moral ayant

eu pour effet de dégrader son état de santé.

18. En quatrième lieu, les " accusations disproportionnées à caractère vexatoire " invoquées par Mme J..., selon lesquelles M. A... l'aurait accusée de rendre le service moins attractif ou de vouloir " détruire l'hôpital ", reposent sur des propos qu'elle seule rapporte, dont la réalité n'est corroborée par aucune pièce émanant d'un tiers.

19. En cinquième lieu, Mme J..., qui s'est plainte au moment des faits,

en avril 2012, d'avoir " été démissionnée " de son poste de responsable de l'unité d'anesthésie par le médecin chef de pôle, et a déclaré, lors du dépôt de sa plainte pénale le 7 avril 2014, qu'elle avait démissionné sous la pression de ce médecin parce que ses collègues ne la soutenaient plus, n'est pas fondée à attribuer cette pression au directeur du CH de Villefranche-de-Rouergue. De même, ce dernier ne peut être à l'origine de " pressions " exercées par un médecin anesthésiste le 24 mars 2015. Les menaces que le directeur aurait proférées lors d'un entretien du 26 novembre 2012 et à la suite du dépôt de plainte, ainsi que la prétendue exclusion de Mme J... de la prise de décision au sein du service, ne reposent que sur ses propres déclarations. Dès lors que le courriel adressé le 9 novembre 2012 au chef du service anesthésie réanimation, par lequel Mme J... informait ce dernier de son souhait

de poser sa candidature aux fonctions de chef de pôle, ne constitue pas un acte de candidature,

il ne peut être reproché au directeur, qui n'en était pas le destinataire, d'avoir bloqué la carrière de l'intéressée en s'abstenant d'y répondre. Enfin, les " pressions de la part d'une organisation syndicale ayant pris le parti de la direction afin de s'attirer ses faveurs "

et " l'instrumentalisation des collègues par voie de presse en stigmatisant " les auteurs des plaintes pénales relèvent d'une interprétation subjective des pièces du dossier, dont il ressort que Mme J... et les quatre autres médecins auteurs des plaintes avaient publié à deux reprises dans la presse locale des attaques à l'encontre du directeur, et que ce dernier, qui avait exercé son droit de réponse, était soutenu par de nombreux chefs de service et praticiens hospitaliers, ainsi que par les syndicats de l'établissement.

20. En sixième lieu, les manquements du CH de Villefranche-de-Rouergue à son obligation de protection de la santé et de la sécurité des agents dont se prévaut Mme J... reposent, d'une part, sur les faits invoqués aux points 16 et 17 comme caractérisant un harcèlement moral, lesquels ne mettent en évidence aucune méconnaissance de la réglementation relative aux obligations de service des praticiens hospitaliers, et d'autre part, sur les pièces que la requérante qualifie d'alertes relatives à l'insuffisance de moyens en personnel de l'établissement. Tel n'est cependant le cas ni de la lettre adressée le 7 novembre 2007 par Mme J... aux praticiens des centres hospitaliers de Decazeville et de Figeac pour leur proposer une rencontre afin de discuter de l'opportunité de créer un centre hospitalier intercommunal, ni de celle du 30 septembre 2014 par laquelle les auteurs de la plainte pénale ont demandé un entretien à la directrice de l'agence régionale de santé en invoquant l'ambiance délétère dont ils imputaient la responsabilité au directeur du centre hospitalier. Les lettres adressées à ce dernier le 19 avril 2006 pour solliciter un remplacement systématique en cas d'absence pour congé d'un des quatre anesthésistes, et le 26 septembre 2006 pour appeler son attention sur une insuffisance de l'effectif au regard des besoins en anesthésie de la maternité, sont anciennes. Aucune autre alerte n'est invoquée jusqu'à un courriel envoyé le 20 avril 2012 par Mme J... au secrétariat qualité du CH de Villefranche-de-Rouergue pour signaler, en vue d'une réunion avec le président de la CME relative au bilan d'activité et au futur projet médical, la question de l'insuffisance des effectifs du service d'anesthésie réanimation qu'il lui semblait nécessaire d'aborder. L'absence de réponse aux dénonciations d'un manque de personnel, situation à laquelle les hôpitaux sont confrontés d'une manière générale, ne saurait caractériser ni un manquement du CH de Villefranche-de-Rouergue à son obligation de protection de la santé de ses agents, ni un harcèlement moral à l'encontre de Mme J....

21. Il résulte de ce qui précède que les éléments de fait soumis par Mme J... ne sont susceptibles ni de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral,

ni de caractériser un manquement du CH de Villefranche-de-Rouergue à son obligation

de la protection de la santé et de la sécurité de ses agents. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif

de Toulouse a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

22. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, les conclusions présentées à cette fin par les parties doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision du directeur du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue

du 23 juin 2015 et le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1503958 du 6 juin 2018 en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation de cette décision sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... J..., au centre hospitalier

de Villefranche-de-Rouergue et au centre national de gestion des praticiens hospitaliers

et des personnels de direction. Une copie en sera adressée pour information à l'agence régionale de santé Nouvelle Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme I... G..., présidente,

Mme B... E..., présidente-assesseure,

Mme C... F..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2020.

La rapporteure,

Anne E...

La présidente,

Catherine G...La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX02998


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX02998
Date de la décision : 29/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit - Principes généraux du droit.

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Garanties et avantages divers - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : CABINET ALEXANDRE LEVY KAHN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-29;18bx02998 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award