Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. H... F... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler
la décision du 23 juin 2015 par laquelle le directeur du centre hospitalier (CH)
de Villefranche-de-Rouergue a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral.
Par un jugement n° 1503978 du 25 avril 2018, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 juillet 2018 et un mémoire enregistré le 10 avril 2020, M. F..., représenté par la SCP Cantier et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 23 juin 2015 refusant de lui accorder la protection fonctionnelle ;
3°) de mettre à la charge du CH de Villefranche-de-Rouergue une somme
de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que les faits ne pouvaient laisser présumer un harcèlement moral ; le directeur de l'hôpital avait été alerté sur la dégradation de ses conditions de travail le 8 octobre 2012 par le CHSCT, les 9 octobre 2012 et 3 avril 2013 par l'inspecteur du travail, ainsi que par le certificat médical initial de maladie professionnelle du 22 mai 2013 et les prolongations successives de son arrêt de travail jusqu'au 24 décembre 2014 ; les faits étaient détaillés dans sa plainte pour harcèlement moral dont M. N. avait connaissance en sa qualité de témoin assisté, ainsi que dans sa demande du 4 mai 2015 ; il existait ainsi, à la date de la décision, des éléments de fait de susceptibles de faire présumer du harcèlement moral, de sorte que le CH était tenu de lui octroyer la protection fonctionnelle ;
- la circonstance que le délit de harcèlement moral n'a pas été retenu est sans incidence sur le fait que les agissements dénoncés sont établis, de sorte que la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la direction a délibérément convoqué la CME le 10 septembre 2009, alors qu'il était en congé annuel, afin de l'empêcher de s'exprimer sur le recrutement du docteur U. avec lequel il devait travailler ;
- le CH lui avait accordé des jours de récupération en contrepartie d'un engagement sur un surcroît d'activité ; c'est à tort que le tribunal n'a pas fait droit à son argumentation relative à la rupture de cet engagement en 2009, qui est sans lien avec le schéma régional d'organisation sanitaire ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il a justifié, par ses écrits, de la réalité des propos dépréciatifs sur la chirurgie vasculaire tenus par M. N. lors de la réunion
du 12 décembre 2011 ;
- le fait que le courriel du 15 décembre 2011 demandant de modifier le planning des congés a été adressé aux deux chirurgiens vasculaires démontre une volonté de harcèlement dès lors que ses congés avaient été actés précédemment, que la permanence d'un d'entre eux n'était pas nécessaire, et que les praticiens de gynécologie-obstétrique et d'ORL ont pris leurs congés concomitamment en bénéficiant de remplaçants ;
- il a justifié, par la production de plusieurs documents, de la volonté du CH de l'isoler en l'accusant d'être l'auteur d'une pétition et en l'écartant d'une rencontre sur l'organisation de l'anesthésie le 14 novembre 2013 et d'une visite de conformité en avril 2014 ;
- il a démontré que par lettre du 11 juin 2012, le directeur du CH a tenté d'influencer défavorablement l'ARS pour le renouvellement de la part complémentaire variable de sa rémunération; c'est pour lui nuire que le CH n'a pas communiqué les éléments nécessaires au versement de la part complémentaire, dont l'ARS a demandé à plusieurs reprises la communication, ce qui démontre qu'elle incombait au centre hospitalier ; le CH ne l'a pas informé des raisons pour lesquelles la part complémentaire variable était annualisée, et a cessé de la verser à compter du 1er janvier 2015 ;
- à l'occasion de travaux, le bureau n° 5 qui lui a été affecté était le plus petit, et inadapté à son activité ; il n'a reçu aucune réponse à ses courriers des 18 et 27 septembre 2012 exprimant son refus d'un tel transfert ; le 28 septembre, son bureau n'a pas été déménagé, et le 1er octobre, il a dû mettre fin à ses consultations en raison des nuisances du chantier ; le médecin du travail a constaté la situation et alerté le directeur et le président de la CME par un courriel alarmiste ; lors de la CME du 3 octobre, M. N. a déclaré qu'il " pouvait rester dans la poussière ", et ce n'est que le 10 octobre, après un mois de combat et de souffrances et l'intervention de l'inspection du travail, qu'un bureau compatible avec son activité lui a été attribué par une lettre sans formule de politesse, transmise en mains propres par la secrétaire pendant une opération au bloc, afin de l'atteindre psychologiquement ;
- c'est à bon droit qu'il a refusé de fournir les justificatifs de son activité libérale des années 2009, 2010 et 2011 dès lors que celle-ci avait été validée par la commission d'activité libérale, que l'ARS avait validé son bilan pour le renouvellement de son contrat, que cette demande abusive a été faite à lui seul et qu'elle aurait nécessité un mois de travail avec la manipulation de 1 500 dossiers ;
- c'est à tort que les premiers juges, en ignorant les nombreux cas dans lesquels la direction n'avait pas répondu à ses demandes, n'ont pas retenu le refus du directeur d'instaurer un dialogue et de lui fournir les explications qu'il avait demandées ;
- les certificats médicaux non pris en compte par le tribunal font état de liens entre la dégradation progressive de son état de santé et le harcèlement moral qu'il a subi au travail ; l'atteinte portée à sa santé physique et mentale, constatée par plusieurs personnes auditionnées dans le cadre de l'instruction pénale, n'est d'ailleurs pas contestée en défense ;
- en refusant de lui accorder la protection fonctionnelle, le CH a commis une faute qui engage sa responsabilité.
Par des mémoires en défense enregistrés les 13 septembre 2019 et 1er septembre 2020, le CH de Villefranche-de-Rouergue, représenté par le cabinet Alexandre Lévy, Kahn, Braun
et associés, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge
de M. F... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. F... ne sont pas fondés.
En application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée au 21 octobre 2020.
Un mémoire présenté pour M. F... a été enregistré le 22 octobre 2020.
Par lettre du 2 décembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office l'incompétence du directeur du centre hospitalier pour statuer sur une demande de protection fonctionnelle à raison de faits de harcèlement moral qui lui sont attribués (CE 29 juin 2020 n° 423996, A).
Des observations ont été présentées par M. F... le 5 décembre 2020 et par
le CH de Villefranche-de-Rouergue le 9 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 86-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 17 octobre 2013, M. F..., chirurgien vasculaire exerçant en qualité de praticien hospitalier au centre hospitalier (CH) de Villefranche-de-Rouergue, a déposé plainte à l'encontre de M. N., directeur de cet établissement, en invoquant un comportement répété de ce dernier ayant des répercussions sur sa santé physique et psychique. Dans le cadre de l'information judiciaire ouverte le 23 décembre 2014 par le tribunal de grande instance (TGI) de Rodez, il a demandé au directeur du centre hospitalier, par une lettre du 4 mai 2015 détaillant les faits qu'il lui reprochait, de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par lettre
du 25 juin 2015, le directeur lui a répondu qu'il ne pouvait statuer valablement en l'absence d'éléments matériels de nature à établir le bien-fondé de ses allégations. M. F... relève appel du jugement du 25 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de ce refus de protection fonctionnelle. La procédure pénale engagée par M. F... et quatre autres praticiens hospitaliers pour harcèlement moral a donné lieu à une longue instruction, au cours de laquelle 65 témoins ont été entendus. L'ordonnance de non-lieu rendue le 9 mai 2018 par le TGI de Rodez a été confirmée le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Montpellier.
2. Le principe d'impartialité, rappelé par l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, s'impose à toute autorité administrative dans toute l'étendue de son action, y compris dans l'exercice du pouvoir hiérarchique.
3. Lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet. Si la protection résultant de ce principe n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Il résulte du principe d'impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison de tels actes ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l'autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné.
4. Il résulte de l'ensemble des dispositions qui gouvernent les relations entre
les agences régionales de santé et les établissements de santé, notamment de celles de l'article L. 6143-7-1 du code de la santé publique qui donnent compétence au directeur général de l'agence régionale de santé pour mettre en oeuvre la protection fonctionnelle au bénéfice des personnels de direction des établissements de santé de son ressort, que lorsque le directeur d'un établissement public de santé, à qui il appartient en principe de se prononcer sur les demandes de protection fonctionnelle émanant des agents de son établissement, se trouve, pour le motif indiqué au point précédent, en situation de ne pouvoir se prononcer sur une demande sans méconnaître les exigences qui découlent du principe d'impartialité, il lui appartient de transmettre la demande au directeur général de l'agence régionale de santé dont relève son établissement, pour que ce dernier y statue.
5. Dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 1, la demande de protection fonctionnelle présentée par M. F... avait pour objet des faits de harcèlement moral attribués au directeur du CH de Villefranche-de-Rouergue, ce dernier ne pouvait régulièrement statuer sur cette demande. Par suite, la décision du 23 juin 2015 est entachée d'incompétence.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens
de la requête, que le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 25 avril 2018 et la décision du 25 juin 2015 doivent être annulés.
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application
des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, les conclusions présentées à cette fin par les parties doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1503978 du 25 avril 2018 et la décision du directeur du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue du 23 juin 2015 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code
de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... F..., au centre hospitalier
de Villefranche-de-Rouergue et au centre national de gestion des praticiens hospitaliers
et des personnels de direction. Une copie en sera adressée pour information à l'agence régionale de santé Nouvelle Aquitaine, ainsi qu'au centre national de gestion des praticiens hospitaliers.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme G... E..., présidente,
Mme A... C..., présidente-assesseure,
Mme B... D..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2020.
La rapporteure,
Anne C...
La présidente,
Catherine E...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX02773